mercredi 23 avril 2014

CARAVAN


"Mais dans mon esprit, rien ne remplaça le délice de l'écoute de ce premier album."
CARAVAN : « Caravan » 1969

Alors que je chinais parmi les grands bacs d'albums vinyls à la grande foire aux disques d'Albi, je tombe sur un vieux numéro de Rock'N'Folk de 1972 relatant les exploits des Who à la Fête de l'Humanité, la couverture étant consacré à un Pete Townshend en transe sur cette fameuse scène. Rappelons que ce concert fut l'un de leurs plus gros, puisqu'ils jouèrent devant 400000 personnes, l'autre étant Woodstock, mais le public n'était pas venu que pour eux.
Toujours est-il qu'à l'heure où internet n'existait pas, j'aimais à feuilleter ces vieux magazines, notamment les chroniques de disques et ce afin de découvrir des albums inconnus de l'époque. J'aimais également lire cette rubrique pour la qualité d'écriture incontestable et la verve dont les auteurs faisaient preuve. Bien que les pochettes reproduites étaient en noir et blanc, je fus attiré par la chronique d'une réédition du premier album appelé Caravan. On y distingue un bus en marche, dont le design n'était pas sans rappeler le style Art Déco et ces affiches automobiles des années 30. ce disque me fascina. Au point où je finis par me résoudre par le chercher en cd. Mais il n'avait jamais été réédité. Mon cher disquaire, qui avait l'habitude de chiner des disques en Belgique (et qui me trouva en état neuf l'album « Ceremony » de Spooky Tooth avec Pierre Henry), finit par le trouver et m'en fis une copie cassette. Lui, l'amateur de Punk et fan d'Hawkwind, qui ne connaissait pas plus Caravan que moi, m'annonça qu'il adorait ce disque. J'en fus convaincu à l'écoute de la bande. Et lorsque enfin, en 2002, l'ensemble de la discographie de Caravan fut rééditée, nous fûmes deux à être ravis. Et à découvrir tous les trésors de ce fantastique quatuor anglais, dont l'ensemble des albums de 1969 à 1975 sont absolument somptueux.
Mais dans mon esprit, rien ne remplaça le délice de l'écoute de ce premier album. Et il resta pour toujours mon disque préféré de Caravan, malgré six autres merveilleux albums. Surtout, il reste dans mon esprit le symbole de ces recherches magnifiques dans les fêtes du disque ou les brocantes, dans les lieux les plus divers et les plus bucoliques, de magnifiques albums inconnus ou de revues ou livres de musique, sentant bon le papier et le carton ancien. Il véhicule la magie de la découverte d'un bel album un après-midi d'août dans un village de bastide tarnais. C'est le plaisir de la première écoute, les yeux émerveillés par ce Rock fantasmé, ces photos surannées, la poésie qui s'en dégage. C'est un monde merveilleux qui s'ouvrait à moi, l'adolescent timide et renfermé que j'étais. Il se dégage de ce disque le parfum d'une brise d'été, délicate et insouciante.
L'écouter aujourd'hui me donne une impression étrange de bien-être. Le moins que l'on puisse dire est que ces derniers mois m'ont été particulièrement pénibles et cruels, me plongeant dans un pessimisme et un cynisme redoutable, hélas confirmés par les faits. Alors que je me rétablis à petits pas, non sans me battre sans relâche contre l'adversité, je prends le temps d'écouter ce disque ce soir. Je me permets même un petit fond de whisky, boisson que j'évite ces derniers temps, mon état d'esprit noirci m'empêchant de l'apprécier à sa juste valeur.
Mais ce soir, je me sens agréablement bien, plutôt philosophe. Une douce et jolie jeune femme m'aime et mon cœur lui a réservé le plus charmant des accueils. Elle m'a redonné force et fierté, et même si mes angoisses me torturent encore, elle a su m'apporter la douceur et le réconfort dont j'avais tant besoin. Même loin d'elle, je sais qu'elle est là, et que je compte enfin pour quelqu'un. Professionnellement, j'essaie d'assurer mon travail tout en conservant le plus de recul possible, me concentrant avant tout sur moi-même. Bref, je profite d'un peu de sérénité pour jouer ce bel album. Et ce soir, il me plaît encore, comme à chaque écoute.
Caravan est un groupe fondé en janvier 1968 sur les cendres des Wilde Flowers. Nous sommes à Canterbury dans le Kent, et ce groupe à l'origine Rythm'N'Blues développe une musique psychédélique décalée inspirée des Beatles mais aussi de courant littéraire comme le Dadaïsme. Fondé dans le milieu universitaire, il n'est pas étonnant que les influences culturelles soient plutôt mises en avant. Le leader de ce groupe n'est autre que Daevid Allen, un jeune étudiant d'origine australienne. Il est accompagné des cousins Sinclair, Dave à l'orgue, et Richard à la basse. Et puis de Richard Coughlan à la batterie. Ils seront remplacés en 1966 par Kevin Ayers à la basse, Robert Wyatt à la batterie, et Mike Ratledge à l'orgue. Mais pour des raisons de passeport, Allen ne pourra revenir en Grande-Bretagne en 1967 après une tournée française. Le trio sans Allen deviendra Soft Machine. Allen formera en France le groupe Gong. Les cousins Sinclair, Coughlan et le guitariste Pye Hastings, fondent eux un nouveau groupe début 1968 : Caravan.
D'une part ce petit monde formera ce qui sera appelé l'école de Canterbury, mais d'autre part, leur apport à la musique progressive en particulier, et à la musique en général sera décisif.
Soft Machine, Kevin Ayers, Caravan, Camel, ou encore Hatfield And The North sont les prodigieux fusionneurs de la mélodie de la pop anglaise, du Rock instrumental, du Jazz, et de la littérature anglaise. Curieusement, les Kinks, que l'on qualifia toujours comme les chantres de la Pop anglaise, décrivant le mieux cette société britannique des années 60-70 et ses travers, m'ont toujours fait chier, à l'exception de « Village Green Preservation Society » de 1968 et « Victoria Or The Decline Of The British Empire » de 1969. Sans doute parce que les mélodies étaient incontestablement au niveau des Beatles et des Who, mais aussi et surtout parce que l'humour typé Monty Pythons est encore bien présent. Le reste sera bien plus indigeste.
La particularité de Caravan est l'absence de délires instrumentaux ou free-jazz, ou de démonstrations instrumentales masturbatoires. Tout est axé est sur la mélodie, l'harmonie, qu'elle soit musicale ou vocale, le tout porté par une rythmique fluide, souple et structurée. Ainsi, même si le morceau dépasse les 10 minutes, il n'est qu'un puits de rebondissements mélodiques et rythmiques aussi fluides qu'inattendus. Il y a ainsi peu de soli, le but étant de créer une musique offrant un voyage émotionnel à l'auditeur.
Aussi, dés ce premier album de 1969 enregistré en octobre 1968, on est transporté par la douceur mélodique de ce bel album. Et d'ailleurs, on voyage vraiment, entre Grande-Bretagne et côtes françaises, douceur espagnole et dépaysement marocain.
Dés « Place Of My Own », on découvre le fil conducteur : un orgue Hammond chaleureux, une guitare douze-cordes en support, et une rythmique affirmée, lourde et épaisse. La voix est délicate, toujours juste, jamais poussée, donc à des années-lumières du Hard-Blues de l'époque, les Robert Plant, Paul Rodgers, Steve Marriott ou Ian Gillan.
Sur ce premier album, les chansons ne dépassent guère les quatre minutes, à l'exception du morceau final : « Where But For Caravan Would I ? ». Ce qu'il faut ce dire, c'est que quatre minutes c'est déjà plus que le cadre pop classique, puisque l'on dépasse les trois minutes réglementaires. Ce disque, c'est la douce ballade en vélo le long de la rivière, le nez au vent.
« Place Of My Own » est l'un de mes préférés. Sa mélodie douce amère, l'écho entre l'orgue et la douze-cordes.... C'est une belle ballade sur un chemin de campagne, le vent dans les herbes folles et les blés, le frisson des feuilles dans le sous-bois. Cet instant de douceur et de paix qui n'appartient qu'à soi, loin du tumulte et de la médiocrité quotidienne. C'est toujours ce que je ressens à l'écoute de cette chanson. L'orgue frais de David Sinclair virevolte sur la guitare rythmique de Pye Hastings et la batterie de Coughlan. Tout est déjà posé : Caravan n'est pas un groupe de Rock progressif démonstratif, mais une formation unie pour produire une musique mélodieuse voguant au gré des ambiances. Il y a pourtant de la maîtrise musicale chez ces quatre garçons, mais ils la mettent à la disposition de l'émotion. Et de l'émotion il y en a lorsque je réécoute « Place Of My Own » . D'abord la découverte de ce bel album, du haut de mes 17 ans, et puis toutes ces années passées, avec ses bonheurs et ses épreuves. La Halle du Castel Viel à Albi, la brocante avec ses vinyls, les ruelles de briques rouges, les paysans alentours vendant encore leurs poules et leurs canards sur de petits étalages en bois. Tout cela sera bientôt balayé par les grands projets politiciens. Cette humanité qui se meurt, comme si le temps qui passait ne devait être que la fin des bonnes choses et la montée en puissance de la nullité humaine. Peut-être est-il temps de se faire entendre, non ?
« Ride » est son introduction arabisante font écho à la pochette originale, certes moins esthétique que la réédition de 1972, mais qui se veut le reflet du nom du groupe, soit les caravanes de chameaux du désert. On retrouve pourtant le beau tapis d'orgue Hammond soutenu par la guitare en accords ouverts. Des herbes folles des chemins de traverse, on se retrouve à marcher sur les dunes du désert de Mauritanie au soleil couchant, avant de partager le thé à la menthe.
L'enchaînement n'est que musical lorsque retentit « Policeman ». Nous voilà à nouveau en Grande-Bretagne, le bobby sillonnant les ruelles verdoyantes de la banlieue londonienne de 1968. C'est Richard Sinclair, également bassiste, qui tient le chant. Sa voix profonde, plus grave que Hastings, nous entraîne dans une balade au galop dans cette Grande-Bretagne perdue à jamais.
« Love Song With Flute » fait partie des chansons que j'aimerais partager avec l'être de mon cœur. Lui faire partager la douceur et la volupté de ce joli morceau, l'emphase du refrain, la poésie des paroles, simples et délicates. Simplement serrer sa main, lui faire écouter ce morceau, et longer la mer en se regardant, plein de sourires gourmands et complices. J'aime la douceur de la musique de Caravan, comme si tout coulait de source. Surtout, j'apprécie leur capacité incroyable à vous faire TOUT relativiser. C'est magique. Chaque album vous permettra de mettre un coup de pied dans une pierre par terre, et de vous dire que finalement, à quoi tout cela peut bien rimer. N'y a-t-il pas plus important que toutes ces conneries ? La vie n'est-elle pas plus belle avec l'amour d'un être cher ?
« Cecil Rons » est le seul vrai écueil à ce disque. Voulant porté dans le genre un peu diabolique à la « Fire » d'Arthur Brown, c'est un échec musical juste sauvé par un refrain efficace réellement digne de la patte Caravan.
Hereusement vient « Magic Man », un beau morceau où David Sinclair joue de la wah-wah sur son Hammond comme Mike Ratledge de Soft Machine. La marque de fabrique Canterbury. Hastings égrène de jolis arpèges, et Coughlan vient en soutien de son solide jeu de cymbales à la fois sensible et ferme. Richard Coughlan est un incroyable batteur. Précis, virevoltant, inventif, il soutient puissamment la musique délicate de Caravan, lui donnant sa puissance réelle. Son départ sonnera la mort du groupe, bien plus que tous les autres musiciens. En attendant, « Magic Man » est un beau morceau délicat, où toutes les qualités de Caravan s'expriment. Les accords d'Hastings, la rythmique précise des deux Richard, Sinclair et Coughlan, et le bel orgue de David Sinclair. Les harmonies vocales font aussi partie de ce premier album, donnant de l'emphase plus que de la majesté ampoulée comme on peut le craindre chez les Moody Blues.
Richard Sinclair nous offre une nouvelle chanson du nom de « Grandma's Lawn ». Attention au double sens sinistre... Le morceau est moyen, sans âme réelle.
Ce n'est pas le cas de la pièce maîtresse qu'est « Where But Caravan Would I ? ». J'adore ce morceau. C'est la délicatesse de tous les fabuleux morceaux précédents poussée dans le retranchement absolu. Ce que fera Caravan plus tard sur leurs cinq prochains albums, développant à l'envie de magnifiques morceaux à tiroirs de dix à quinze minutes. Ce titre est donc le premier du genre. L'orgue Hammond rebondit de toutes parts, le reste du groupe étant à son entier soutien musical.
Le disque se termine et l'on se sent différent. Un apaisement intérieur résonne en soi. La musique de Caravan est un formidable médicament. En ces moments difficiles de ma vie actuelle comme passée, ce superbe groupe est à mes côtés, et son premier album en est le premier le jalon de réconfort, celui dont la résonance personnelle est aujourd'hui la plus forte.
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1 commentaire:

demo a dit…

Ce premier album de Caravan est vraiment fantastique!!
Et encore aujourd'hui il est pour moi aussi une "madeleine Proust" qui me fait revenir sur le film mouvementée d'un vie riche en rebondissements.
Le souvenir de sa première écoute et la sublimation auditive qu'il me procura resteront à jamais gravés!
J'ai tendance toujours à le rapprocher avec le tout premier Soft Machine où la voix de Wyatt et son côté mélodique sont un bon pendant à cet opus quoique plus dada dans sa forme!
Les deux s'enchainent sans forcer!
Ah les vieux Best,...Canterbury...!!
Content de revoir une chronique
A plus!