dimanche 1 décembre 2013

SAMSARA BLUES EXPERIMENT

" Samsara Blues Experiment apparaît enfin sur scène. Je suis ému."

SAMSARA BLUES EXPERIMENT : « Revelation & Mystery » 2011

La bande blanche de l'autoroute défile dans mon rétroviseur. Je suis sur l'A6 vers Paris. Je me sens curieusement bien, et j'écoute avec délice l'album « Golden Section » d'Isotope, du jazz-rock anglais aérien et funk datant de 1975. je me laisse bercer par la guitare de Gary Boyle sur « Illusion », et la basse soyeuse de Hugh Hopper, l'ex-Soft Machine.
J'ai passé beaucoup de temps sur la route, et beaucoup dans le Gâtinais mais aussi le Morvan, savourant les jolis reflets des collines couvertes de vignes jaunies par l'automne du côté de Cosne Sur Loire, comme la profondeur des forêts entre Chateau-Chinon et Autun la nuit. Alors que je pensais voir ma vie sentimentale prendre un tour heureux auprès d'une nouvelle compagne, je dus stopper net mes ardeurs, refroidis par quelques caprices et chantages mal placés. Je ne voulais plus de tout cela, je ne voulais plus avoir à faire de concession pour sauver un couple. Je préférai passer brutalement à autre chose. En attendant, je vécus ces dernières semaines entre ma conquête et des concerts sur Paris.
Mais ce dernier retour de Nevers serait le dernier. Je sentais d'ailleurs comme une bouffée d'air frais à fuir, une pression immense se délester. Un malaise insidieux s'était invité en moi, sans que je sache vraiment qu'elle en était la cause. La cause, je la comprendrais quelques jours plus tard, lorsque ma décision fut évidente.
Ces dernières semaines, mon écoute fut aussi décousue que ma vie personnelle. Je passais du jazz-rock d'Isotope et de Nucleus au Blues-Rock de Pat Travers, en passant par le furieux Heavy-Metal de High On Fire et Red Fang. J'étais proprement incapable d'écrire sur un album complet. D'abord parce que j'étais incapable de me concentrer sur un disque entier, mais sur quelques chansons. Ensuite parce que mon esprit était trop perturbé pour offrir un discours concis et réfléchi. Mes relations devenues un tant conflictuelle avec ma famille ne fut pas pour arranger la situation, tout comme le fait que ma fille soit témoin de mes colères successives. Je décidai brutalement qu'il était tant que je reprenne le contrôle de la situation, quitte à faire de la casse : famille et compagne en firent les frais. Je ne supportais plus d'être mal à l'aise, et d'être considéré comme un homme d'à-peu-près. Après tout, je n'avais pas si mal réussi ma vie. Malgré quelques erreurs humaines, je n'avais pas raté ma vie : une fille adorable et en bonne santé, un emploi intéressant et pas trop mal rémunéré, et quelques qualités humaines. Je me suis donc dit qu'il était enfin temps de vivre le bons moments présents, et laisser de côté le merdier qui m'agressait quotidiennement.
Je me rends sur Paris à nouveau, mais pour voir un groupe que j'apprécie réellement depuis deux ans : Samsara Blues Experiment. Quatuor allemand fondé en 2009, il est constitué de Christian Peters à la guitare et au chant, de Hans Eiselt à la guitare rythmique, de Richard Behrens à la basse et de Thomas Vedder à la batterie. Je découvris ce groupe par accident, en recherchant des informations sur d'autres groupes dits Stoner. La scène allemande et hollandaise fourmille d'excellentes formations de ce style.
Curieusement, l'Allemagne fut pendant les années 90 et 2000 LA scène techno, avec ses clubs berlinois super-pointus dans le genre. Rêves de liberté de la génération post-Mur, l'Allemagne fut le théâtre de scènes musicales aussi excessives que riches. On se souvint du Krautrock, celui de Amon Duul II, Can, Birth Control, Ash Ra Tempel, Faust ou Guru Guru, entre hard-rock préhistorique, psychédélisme, progressif, gauchisme exacerbé et hippisme halluciné. Et puis il y eut l'arrivée des sons électroniques, les premiers du genre : Klaus Schulze, Tangerine Dream, Kraftwerk, Popol Vuh. Un grand délire musical qui fut pêle-mêle baptisé quarante ans après précurseur du Punk, de la Techno et de mon cul sur la commode.
Et puis comme le Rock était mort dans les années 2000, il n'y avait que la Techno, Trance, et compagnie. Même les grands vendeurs de disques dits Rock comme U2, Radiohead ou Muse se mirent à l'électro, car les guitares, c'était fini. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que cette même scène allemande reviendrait au Rock, et en serait le plus gros moteur. Et les moteurs allemands....
Le hard-rock allemand eut ses heures de gloire aussi. Enfin.... Il y eut Scorpions, qui produisit quelques très bons disques entre 1974 et 1982, mais pas toujours très fins au niveau attitude, pochettes, et paroles. Un peu comme une taverne bavaroise vers 2h du matin ou une chaussette de tennis dans une sandale l'été. Il y eut aussi le frangin Michael Schenker (le frère de Rudolf, le leader de Scorpions), mais sa précision et sa folie furent canalisées par la finesse mélodique (pas visuelle par contre....) du groupe anglais UFO.
Ainsi apparut plusieurs groupes dits Stoner. Leur qualité fondamentale est d'avoir décidé de reprendre la musique Rock sur de bonnes bases. C'est-à-dire en gros de tout reprendre depuis 1979. Avant que le Rock international ne plonge dans le hard-FM, la variété, les synthétiseurs et le Live Aid. Ils décidèrent de s'asseoir sur du solide : Black Sabbath, Led Zeppelin, Mountain, Humble Pie, Deep Purple, Johnny Winter et toutes sortes de groupes plus underground typés heavy-rock : Leaf Hound, Pentagram, Sir Lord Baltimore.... Le tout saupoudré de musique psychédélique à guitares, comme Nektar, Jethro Tull, King Crimson ou les albums de Pink Floyd période 1969-1977.
 Les merveilles se nomment Kadavar, Heat, Samsara Blues Experiment en Allemagne, et Sungrazer et The Machine en Hollande. Mais eux avait une influence majeure en plus : Golden Earring. Loin de la parodie navrante et stéréotypée, ces groupes ont développé une musique organique, enregistrée à l'ancienne, à la fois ancrée dans un passé riche et totalement originale et personnelle. Tellement, que les meilleures formations anglo-saxonnes (Orchid, Red Fang, Uncle Acid And The Deadbeats, Firebird....) ont parfois du mal à suivre. Leur musique est tout cas suffisamment brillante pour être diffusée dans l'émission Rockpalast, ce qui est un gage de reconnaissance majeur.
Mon vieux frère, sa moitié et moi-même nous dirigeons vers cette petite salle de la Porte de la Villette qu'est le Glazart. Aucun de nous n'y a jamais les pieds. Nous avions failli en 2005, pour la tournée de High On Fire suivant la sortie du magistrale « Blessed Black Wings ». Nous sommes ce soir une grosse poignée pour une soirée presque hebdomadaire du nom de Stoned Gathering. Ce qui me terrifie le plus, c'est qu'à Paris, le public Stoner ne remplit pas cette petite salle, et que la moitié du public est étranger, spécialement venu pour l'occasion. Je suis horrifié de constater que même dans la capitale, un excellent groupe de Stoner ne puisse pas remplir une petite salle. D'autant plus que la première partie est l'envoûtante Jex Thoth. Cette jeune femme à la beauté magique, au charisme et à la voie troublante délivre un Witch-Rock entêtant et hallucinatoire. La compagne de mon amie craque littéralement sur la musique de ce premier groupe. Je lui achète son premier album. L'ambiance est conviviale, Rock et chaleureuse.
 Samsara Blues Experiment apparaît enfin sur scène. Je suis ému. Davantage que lorsque Bob Dylan, Status Quo ou ZZ Top montèrent sur scène. Ils sont charismatiques, jeunes, et délivrent l'une des musiques les plus excitantes du 21èmesiècle. Ce qu'ils vont faire pendant une heure trente. Puissants, possédés, ils vont élever pour la première fois depuis 35 ans le Rock au-dessus de la stratosphère. J'attendais de vibrer à nouveau comme cela. Depuis Sleep à la Villette en 2012. Mon vieux frangin et sa dulcinée décollent eux aussi. Elle qui manqua le trio premier de Matt Pike il y a un an est aux anges. Elle vient de découvrir le Rock, le vrai, celui qui se joue avec des références, du talent et des tripes.
Le set se termine. Je cours partout, un peu bourré pour compléter mon merchandising : deux tee-shirts magnifiques, l'exemplaire vinyl du premier album de Kadavar, un sac, et un exemplaire du nouvel album de Samsara Blues Experiment, que je ferai dédicacer par tous les musiciens sauf Peters, à ma grande peine. J'aurais aimé lui dire combien sa musique est fabuleuse, mais qu'importe. A cette occasion, je constatai que le grand échalas barbu et le petit blond à l'allure de mousquetaire qui me vendirent mes deux tee-shirts avant le concert n'étaient autres que.... Eiselt et Behrens, le guitariste et le bassiste de Samsara Blues Experiment. Humilité, simplicité, et aussi beaucoup de talent, tant dans la musique que dans les textes et les graphismes, tous crées par Christian Peters.
Le nouvel album m'enchanta mais il avait un obstacle de taille : ma découverte récente, et seulement quatre morceaux entre 12 et 13 minutes intenses.
Et puis, parce qu'il fallait bien définir une porte d'entrée à leur monde magique, je préfère vous parler de leur second disque : « Revelation & Mystery ».
Cet album est entré dans ma chair. Il est à la fois incroyablement Heavy et Doom, et mélodique et psychédélique à souhait. Il est un cri de fureur et de liberté dans un monde de merde.
Ce qui fait toute la différence avec son prédécesseur, c'est l'enchaînement magique des quatre premiers morceaux. « Flipside Apocalypse » débute par un effet spatial avant l'arrivée d'un riff d'une brutalité inédite pour le groupe, avant de replonger dans un psychédélisme coi de courte durée. Le riff doom déchire l'air. On ne rigole plus. Samsara Blues Experiment est un groupe soudé, cela s'entend. Et il est composé de musiciens compétents et inspirés, ce qui s'entend aussi. Les choeurs majestueux et planants sont une grande constante sur cet album, apportant une dimension dramatique à la musique. Ce morceau est une cathédrale de riffs majestueux qui plonge soudainement en un effet psychédélique digne de Hawkwind.
Mais décolle le puissant « Hangin' On The Wire ». Ce redoutable morceau de heavy-metal est déjà un prodige. A la fois puissant, et planant au-dessus de cette quatre voie dégueulasse, que ce soit à Paris ou à Berlin, la frustration reste la même. La fin du morceau cherche un peu d'air, comme un homme agonisant par le manque d'oxygène dans l'atmosphère. Les soli gorgés de wah-wah de Peters apportent une dimension épique totale et mélancolique. Les riffs implacables de Eiselt soutenus par la basse vrombissante de Behrens offrent un terrain de jeu tendu sur lequel brode Peters, entre écho et chorus hallucinés. Puis la rythmique se ralentit pour revenir dans un territoire heavy-doom menaçant. Peters fait décoller sa guitare encore et encore avant que le morceau ne reparte dans un boogie furieux. La batterie de Vedder emporte tout sur son passage, avant que les guitares fassent réatterrir le morceau en un riff heavy-metal redoutable.
Dans la continuité de « Hangin' On The Wire », « Into The Black » est un autre brûlot instantané. Débuté de manière massive, en un heavy-metal épique et désespéré, il rebondit sur une rythmique tribale. Les guitares se mettent à résonner sur les toms, puis le morceau s'emballe comme une locomotive lancée à pleine vitesse. On reste pantois devant une telle unité musicale. J'adore la voix de Peters, déclamatoire, à la fois sûre et menaçante. L'homme ne joue pas un rôle, il n'est pas question de pose ou d'attitude, mais bien d'un homme habité par sa musique, poussé par un groupe redoutable et soudé. La fureur et la colère laisse place au Blues. Dans la droite lignée de ses grandes sources d'inspiration musicale, Samsara Blues Experiment, comme son nom l'indique, revendique une filiation avec ce Heavy-Rock en droite lignée du Blues-Rock anglais des années 60.
« Thirsty Moon » démarre tout en arpèges et guitare acoustique slide. La mélodie est magique. De la mélancolie noire, on virevolte vers une lueur d'espoir. Les choeurs sont magnifiques. L'atmosphère entre électricité et country-blues acoustique est un vrai plaisir, surmonté d'un chorus délicat. Puis Peters reprend sa ligne, et pleure sa baby. Ce morceau est un délice, et aussi une sorte d'ovni sur les trois albums du groupe, tous très électriques. Il se dégage une vraie sensibilité, et une grande poésie.
« Outside Insight Blues » est un Heavy-Blues typique, redoutable. Sa structure est classique, similaire à de très nombreuses pièces de musique des années 70, du même genre : Status Quo, Cactus, Savoy Brown, Chicken Shack, Leaf Hound et tant d'autres..... Sauf que les rebondissements mélodiques et rythmiques sont d'un autre calibre. Le groupe, d'une puissance de feu irrésistible, appuie chaque variation musicale de guitares, de basse et de batterie proche du Doom. Ce morceau à la structure classique et à l'inspiration Stoner prend dés lors une dimension tout à fait particulière, et n'inspire à aucun moment le moindre ennui. Véritable collection de séquences Blues-Rock, on ressent l'inspiration d'un groupe majeur du genre : Humble Pie.
Un petit acoustique à la saveur germanique : « Zwei Schatten In Schatten », et arrive la pièce maîtresse de cet album. « Revelation & Mystery » est un morceau de 12 minutes. La chose n'est pas inédite chez Samsara Blues Experiment, mais ce titre est une cathédrale de riffs majestueux, de choeurs possédés, et de mélancolie dévastée. Ils sont rares les morceaux où votre vie défile durant de longues minutes. Rebondissant de riffs en riffs, d'atmosphère en atmosphère, votre âme voit se dérouler tous les souvenirs d'une vie : les échecs, les espoirs déçus, les joies, les amours perdus. Au fur et à mesure, on plonge dans les abysses de son for intérieur. C'est la vraie expérience psychédélique : ressentir par la musique toute son existence, comme se sentir faire le point sur soi-même, et sortir de ce morceau avec un sourire en coin, les yeux mi-clos, tirant sur une cigarette afin de clôre ce moment de réflexion inattendu et intense. Les choeurs sont encore prenants, presque grégoriens dans leur approche, mais jamais emphatiques.
Il me semble marcher sur cette colline, face au soleil, pour connaître enfin ma destinée. Je serai un initié. Comme je le suis devenu avec la musique, cette dernière va me le permettre à propos de ma vie. Je sens le goût de la poussière dans ma bouche, et la lumière rasante me brûler les yeux. Il est temps pour moi de savoir ce qui se cache derrière cette colline, derrière le soleil.
Il est désormais temps pour moi de laisser derrière moi mon passé, et de vivre enfin mon existence pleinement. Je me sens apaisé. Une sensation de bien-être m'emplit. Je sais que désormais, je connais la vérité.
tous droits réservés

3 commentaires:

demo a dit…

Content de te revoir animé du feu sacré . Savoir canaliser ses émotions en pareils instants n'est pas chose aisée!! Une critique digne de ce nom pour un groupe qui n'en mérite pas moins!!!
J'espère ne pas repasser autant de fois sur ton blog sans avoir de news!!
A plus
Benoit

Julien Deléglise a dit…

Merci mon ami. Ce fut une longue route. Un apprentissage. Mais la musique est là, triomphant du merdier quotidien. Je crois qu'il s'agit d'un nouveau départ, sincèrement. Merci de ta fidélité.

Anonyme a dit…

Le précédent m'avait laissé dubitatif ; du bon et du moins bon, trop de fuzz peut-être... Par contre ce petit dernier me fait une belle impression. Un groupe apparemment en constante progression.
Et de superbes pochettes (comme la plupart des groupes de Stoner et de "Revival" 70's)