SIMPLE
MINDS « Street Fighting Years » 1989
J’ai
séché mes larmes. Le paysage défile dans la vitre arrière gauche
de la voiture. Je suis redevenu un enfant. J’ai 10 ans. La Renault
9 nous emmène dans le Pays de Galles. Ma mère, professeur
d’anglais, parle couramment. Les grandes autoroutes britanniques
défilent, sous un ciel grisonnant et des averses d’une violence
égale à la soudaineté de leurs chutes. Nous sommes en été, et
Albion était moins Bobo et plus accueillante qu’aujourd’hui.
Elle ne se résumait pas au Londres branché et à quelques villes
dévastées par la misère du chômage. C’est sans doute ce qui
expliquait que les Anglais restaient chez eux plutôt que de fuir
dans le Sud de la France.
Au Pays de Galles, on
pouvait manger de la viande d’une qualité rare, et du poisson
frais. Les gens étaient accueillants. Je me souviens de ce bœuf
grillé dans le parc du village où nous vivions, avec les rugbymen
locaux ivres de bière brune provoquant un concours de coups de boule
dans le poteau central du chapiteau. Mon père fut invité à suivre,
mais du haut de son mètre soixante-dix et de ces 65 kilos, il n’osa
pas. Ce qui ne fut pas le cas des gaillards dont les deux mètres et
cent-cinquante kilos de muscles ne craignaient pas le choc avec le
bois.
Je me souviens des
ballades dans la lande le long des côtes. Je me souviens de cet air
frais empli d’embruns dont la fraîcheur apaisait mes pensées
d’alors.
Et puis il y avait les
bambous le long de la route sableuse. Ces petites cabanes de
parpaings bruts dans les champs d'agrumes. Les vieux camions Pegaso
stationnés, alimentant en eau les citernes des rigoles d'irrigation.
L'air chaud et salé venant de la mer. Les bassins d'eau résurgente
si fraîche en ce mois de juillet, l'ambiance des bars vers 22h, la
piété de ces gens qui se mêlent à ces traditions païennes, comme
le lancer de bonbons depuis le clocher de l'église sur la place du
village, donnant lieu à une joyeuse bagarre entre enfants et
adultes.Ce mélange d'aridité et de verdure, de fraîcheur et de
chaleur accablante. C'est l'Espagne et la région de Valence, à bord
cette fois-ci de la Renault 11 Spring familiale. Les goulée de jus
de fruit frais, le muscat doré pour les parents, et cette
fantastique sensation de liberté, cette joie de la découverte.
Pourtant, une pointe
de mélancolie se mêle souvent à ces souvenirs de voyage d'enfance.
Celle de la musique de l'album « Street Fighting Years »
de Simple Minds. Il reste à jamais la bande-son de tous ces
souvenirs. Il était l'album de l'époque, un disque militant. Ma
sœur l'avait acheté en cassette, suite au passage de Simple Minds
au concert de soutien à Nelson Mandela alors en prison, et qui
interpréta « Mandela Day » qui devint un tube
international. Simple Minds n'en était pas à son premier tube.
Groupe britannique fondé en 1977, il fut l'un des membres actifs et
inspirés de la New Wave anglaise, avant de se plonger dans un Rock
dit héroïque que poursuivra l'un des autres ténors du genre :
U2. Simple Minds signera plusieurs tubes dans les années 80, comme
« Don't You ». La musique des Simple Minds se fait alors
de plus en plus recherchée, presque progressive, s'éloignant du
format tube à stades. C'est pourtant avec ce disque nullement
commercial que Simple Minds connaîtra le sommet de sa carrière. Jim
Kerr au chant, Charles Burchill aux guitares, et Michael MacNeil aux
claviers vont développer 11 morceaux dont 10 entre 5 et 7 minutes.
Riches en rebondissements émotionnels, ils sont un voyage à la fois
individuel et collectif qui sera la bande-son de la bande blanche qui
défile dans le rétroviseur.
Je me souviens des
platanes qui longent la nationale en allant vers Thuir puis Perpignan
avant de partir vers l'Espagne. Le Soleil, la poussière. Les
villages abandonnés lors du franquisme, que l'on visite la gorge
serrée, les maisons encore meublées plus de cinquante ans après,
laissées en précipitation pour éviter l'exécution sommaire.
L'émotion est
d'autant plus grande qu'il faut souvent des heures de marche pour
atteindre ces pinacles de pierres calcaires blanches sur des sentiers
escarpés traversant la lande sèche.
Les années 80 sont
pourtant une décennie navrante musicalement : l'avènement du
synthétiseur, des sons FM, du Hard-FM, du Glam-Metal. Phil Collins,
Rod Stewart, WASP, Motley Crue, Bon Jovi, Heart, Cure, Erasure.....
On chercha de la poésie dans ce merdier électronique, mais il vint
de ces satanés anglais. U2 et Simple Minds, rien d'autre. Et puis le
naufrage alcoolisé et cocaïné des grands du Rock 70's qui tentent
de survivre : Bowie, Dylan, les Stones, Neil Young, Bruce
Springsteen, Paul McCartney.....
Et la Renault 11 file
à travers la lande. L'autoradio résonne avec « Kick It In ».
Et puis « Mandela Day ». Je me souviendrai toujours de ma
première écoute de ce morceau : l'arpège de guitare
électrique, les percussions, la voix de Jim Kerr. Et puis ce clip
sur scène, le regard pénétré du chanteur, le sérieux de ces
hommes face à ces paroles si puissantes que je ne comprenais pas.
C'est les dents
serrées que l'on écoute ce disque. On sent toute la détresse d'un
monde qui s'effondre lentement. Et qui se redresse dans une brise
poussiéreuse. Et lorsque retentit « Belfast Child », on
ressent toute la puissance de l'écriture. Surtout, les synthétiseurs
sont forts discrets, naturel support aux violons et à la flûte
irlandaise. Il y a bien quelques scories 80's, comme cette batterie
clinquante, apanage de cette époque, dont Phil Collins et Dire
Straits furent les chantres. Pour l'anecdote, c'est un certain Manu
Katché qui œuvre ici aux baguettes, soit le futur juré bouffi
d'orgueil d'un célèbre télé-crochet télévisuel.Son jeu n'a ici
rien de très impressionnant. Très propre et professionnel, il n'a
par contre pas beaucoup d'imagination et de punch, et c'est
finalement le seul point un peu terne de ce disque.
Mais l'on est tout de
même bien loin de la détresse que l'on peut ressentir en écoutant
un album typique des années 80. « Street Fighting Years »
vieillit même parfaitement bien, ce qui n'est par ailleurs pas le
cas de tous les albums de Simple Minds.
Aujourd'hui, je ne
suis plus à courir des paysages méconnus comme durant mon enfance.
Un jour peut-être cela reviendra. Mais je ressens toujours cette
mélancolie de la route vers l'inconnu lorsque j'écoute ce disque.
Je revois ces images gravées dans ma tête. J'ai à nouveau ressenti
cette sensation lorsque, seul, je descendis vers le Sud-Ouest pour
aller chez mes parents. Je ne l'avais pas fait depuis dix longues
années.
Et au fond, je suis à
nouveau sur cette route vers l'inconnu. Je dois reprendre ma vie en
main. Reconstruire ce qui a été détruit, regarder à nouveau
l'horizon. Regarder ce tourbillon de poussière s'envoler aux milieux
des oliviers autour de Seville. Voir le vol des flamands au-dessus
des marais argentés de Camargue. Sentir le vent de la mer emplir mes
poumons intoxiqués de haine et de médiocrité d'air pur et
salvateur. « Kick It In », « This Is Your Land »,
« Biko » (reprise de Peter Gabriel).... tous ramènent à
ce besoin de prendre ce temps d'arrêt et de regarder derrière soi
avec ce demi-sourire de l'homme qui a survécu à l'Enfer. J'ai senti
les flammes me lécher les bras. J'ai senti l'acide brûlé mon cœur,
je l'ai pensé condamné, à tout jamais. Incapable d'aimer, d'avoir
envie de vivre, de réaliser des projets. Médiocre, à jamais.
Etroite porte dont les vantaux se ferment inexorablement devant moi
alors que je cours à perdre haleine.
Et lorsque cette jeune
femme rencontrée depuis peu m'envoie quelques mots, je ressens mon
cœur à nouveau palpiter. Parler de tout, de rien, de nos vies, de
sexe, de travail, d'enfants, de cinéma, de télé, sans tabous. Ce
délice intérieur qui fait vibrer à nouveau mon âme. Et j'entends
vibrer sa voix dans mon cerveau. Je vois la douceur de ses yeux, sa
fragilité à fleur de peau. Je vois à nouveau ces horizons
magiques. La pointe de Gibraltar, le phare blanc, les plages, le
petite route déserte pour y parvenir, ces quelques pas dans le
sable, au soleil couchant, quand enfin, la chaleur écrasante cesse.
J'aimerais la prendre par la main, partager ce moment d'éternité
avec elle... J'aimerais surtout vivre mon existence sans regret.
Qu'enfin, le bonheur me tende la main. Des sensations, des choses
simples. Que mon cœur noir se purge de ce venin qui me brûle depuis
tant d'années. Est-elle cet ange qui viendra me sauver ? Je le
souhaite. Je souhaite qu'il vienne me sauver de l'Enfer. Qu'il ait
pitié de ma pauvre personne.
En attendant, avec cet
album de Simple Minds, je reprends la route là où je l'avais
laissé, un peu plus vierge de douleurs que maintenant. Et les figues
de barbaries, les camions Pegaso, les champs de tabac, les bonbons
lancés depuis le balcon de l'église reviennent à mon esprit.
Et puis mon cœur s'emplit de cet espoir fou de reprendre à nouveau la route dans le bon sens. Et que cette fois-ci je ne resterai pas au bord une fois de plus. Comme un « Biko ».
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1 commentaire:
Une pensée pour toi en sortant du concert de Kadavar à Mulhouse, découvert grâce à toi. J'en ai pris plein les portugaises.
Keep on rockin' !
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