mardi 16 avril 2013

UNCLE ACID & THE DEADBEATS

" Il est des atmosphères qui dépassent le quotidien."
UNCLE ACID AND THE DEADBEATS : « Bloodlust » 2011

Les vieilles croix de pierres dépassent le mur du vieux cimetière. Couvertes de mousse, un peu penchées, elles accusent leur âge. Des centaines d’années, sans doute. Les branches de vieux arbres recouvrent de bras maléfiques ces sépultures ancestrales, sans doute oubliées.

Je tire sur ma pipe, à l’ombre des frondaisons, en ce petit matin d’avril, frais et gris.Il y règne une atmosphère à la fois sinistre et profondément calme. Ce repos éternel n’est pas anodin, il a ici toute sa signification.
Il est des atmosphères qui dépassent le quotidien. Il est des horizons qui outrepassent le simple ressenti. Il est parfois nécessaire d'oublier notre monde médiocre pour se projeter dans des univers moins matérialistes et plus consistants philosophiquement parlant.
Le Doom est un genre underground difficile à renouveler, dit-on. Passé les maîtres originaux que sont Black Sabbath, Pentagram, et The Obsessed, on s’interroge. Uncle Acid vient pourtant de franchir le Pont des Soupirs du Heavy-Rock.
Vintage, références musicales calibrées, tout semble desservir ce groupe. Il n’y a rien d’original, c’est écrit. Sauf que tout commence par une influence. Comme Led Zeppelin avec le Blues de Howlin Wolf, Muddy Waters et John Lee Hooker.
 On démarre toujours par quelque chose, une influence. Le Doom vient de Pentagram, Black Sabbath, ou The Obsessed. Mais surtout une contre-culture 60’s faite de films, de pubs, de séries télévisées et de vieilles bagnoles. Et d’un certain imaginaire qui se veut issu de Lovecraft, Jean Ray, Allan Poe, et du cinéma de la Hammer.
Cambridge, 2009. Ainsi se forma Uncle Acid And The Deadbeats. Le nom est un hommage à Rusty Day, chanteur de Cactus, qui mourut en 1980, et dont le dernier le groupe portait ce nom. Et puis il y a ce premier disque auto-produit sortit en 2010, un 13 février, soit 40 ans précisément après le premier album de … Black Sabbath.
La référence est posée, claire, définitive. Mais l’interprétation de la musique de Black Sabbath reste en fait multiple. On peut suivre la voie du Heavy-Metal massif, lent et lourd, ou celui hérité du Blues psychédélique, plus électrique, vaporeux, angoissant, étouffant.
Dans ce pays plat et rural qu’est le Cambridgeshire, on s’ennuie ferme. L’ennui, je connais, moi qui ai vécu dans une petite ville de province dans le sud-ouest de la France. J’ai toujours ressenti ce son en moi, même avant de le connaître réellement. J’ai toujours eu ce spleen intérieur, cette mélancolie pour les temps antérieurs. J’ai toujours aimé les vestiges du passé, qu’ils soient une ruine de château, une maison abandonnée, un vieux cimetière, des photos anciennes ou une épave dans un champ. Je m’étais crée un univers nostalgique, fait de références visuelles issues de vieux livres et journaux. J’aimais me plonger dans cet univers loin de ce que je trouvais comme bien peu captivant. J’ai parfois partagé des bribes de cet univers avec quelques amis très proches. Certains se sont plongés dedans, d’autres n’y ont vu que source de moqueries.
Lorsque je quittai ma terre jurassienne natale, je plongeai dans l’exubérance et la superficialité typique des gens du sud de la France. Le mot pour rire, la provocation, l’apparente sympathie immédiate, et le conformisme culturel furent mon nouveau quotidien, et m’enferma un peu plus dans mon univers personnel. Adolescent mal dans sa peau, timide, perdu, je devins un loup solitaire que l’on aimait brocarder pour son accent et sa réserve. Les filles aimaient tant les rebelles, les grandes gueules, les beaux gosses. Je n’étais rien de tout cela, je ne partageais pas grand chose. Je n’aimais pas les mobylettes, la dance et ou les fringues Waïkiki. Je préférais les Who, Led Zeppelin, HP Lovecraft, les vieux Spirou et les livres sur la Campagne de France de 1940. Bref, rien pour attirer cette jolie brune à la poitrine généreuse, qui préféra Moustapha, jeune marocain au fond de la classe avec sa gouaille et son exubérance.

Curieusement, certains de ces sales gosses aimaient à me brocarder, tout en se révélant plutôt sympathiques avec moi. Comme s’ils semblaient pressentir que ce garçon terne et plutôt bon élève cachait un feu intérieur bien plus sauvage que toute leur folie réunie. Un danger.

Le respect s’installa un jour lorsque je rectifiai brutalement le propos d’un professeur d’histoire-géographie voulant nous enseigner le capitalisme, et commençant sa phrase par : « Le principe de base du capitalisme, c’est l’égalité des chances ». Ma timidité maladive s’éteint à ce moment précis. Bien sûr, quelques rebelles tentèrent de protester par de vagues propos issus de chansons des Têtes Raides et Tryo. Mais lorsque je me mis à sortir avec un certain aplomb plusieurs références historiques sur l’Industrie du 19ème siècle, et les Première et Seconde Guerres Mondiales, je sentis chez cet enseignant que j’estimais pourtant un flottement considérable. Une sorte de gêne, de malaise s’imprima dans son regard. Il semblait désarçonner, comme si ce qu’il redoutait de pire venait de lui arriver. L’heure de cours se clôt dans un brouhaha assourdissant. Je restai dans mon coin, encore bouillonnant des propos entendus, sans me rendre compte que j’aurais pu pavaner devant mon incroyable succès populaire dans la cour de lycée. Je sentis les regards des jolies brunes bien formées me regarder différemment. La rébellion ne passait donc pas forcément par des mauvaises notes, un comportement de branleur et des mauvaises blagues aux profs. Cela pouvait passer par la culture, aussi personnelle soit-elle.

Je ne devins pas pour autant le sex-symbol du lycée, et mon intervention paraissait trop cultivée pour certains, qui me classèrent bientôt dans les intellos. Sauf que je ne brillais pas non plus par mes résultats, qui n’étaient ni mauvais, ni fabuleux, mais juste au-dessus de la moyenne. Aussi retrouvai-je ma position d’homme moyen dans la société.
Pourquoi vous raconter tout cela ? Car c’est avec ce disque que je viens de trouver la vraie bande-son de cette époque. Pourtant, je découvris Black Sabbath, Deep Purple, King Crimson, AC/DC, Motorhead ou Judas Priest. Mais jamais un disque ne colla aux images de cette époque qui reste à jamais graver dans ma tête autant que cet album.

On y retrouve la violence, l’âpreté, la folie, et l’obscurité que furent ma vie entre disques, films livres, et BD. Et puis l’on ressent cette fureur intérieure, ce malaise, cette contre-culture que l’on se crée pour fuir l’ennui du quotidien.
Dés « I’ll Cut You Down », je ressens le Blues et l’obscurité, la violence du Heavy-Rock, et la folie des gens qui veulent que parfois, le quotidien sorte un peu de ses rails. Rythmique lourde et saturée, la guitare, pourtant très Blues, rugit, gronde, comme la guitare de Tony Iommi sur ce fameux premier album de 1970. Du Blues, mais malaxé par la personnalité et la colère de ces hommes du sang de la Terre.
Le premier vrai miracle arrive pourtant avec le dantesque « Death’s Door ». Longue odyssée funéraire Blues, elle est une procession vers ce rivage abandonnée qu’est la créativité. Il y en aura d’autres, comme « I’m Here To Kill You », percutant Jazz-Doom rappelant « Wicked World » de Black Sabbath.
 Et comment ne pas parler de ce « 13 Candles ». Incantatoire, avec son solo de guitare décollant comme un Jumbo Jet au-dessus de la misère humaine. Rien ne peut résister à sa rage féroce mêlée à son désespoir profond. On y ressent toute la folie des hommes qui, comme moi, lirent Lovecraft, Crowley et autres apprentis satanistes, mais vrais esprits indépendants.
En en ce disque je vois la pluie jurassienne, les vertes plaines, ces grottes où l’on retrouve parfois un casque allemand de 1944, et une arche d’une abbaye perdue. On y retrouve toute la folie vintage de ces hommes marginaux qui veulent qu’un jour, une autre Rock Culture soit entendue.

Ce Rock aujourd’hui existe. Uncle Acid And The Deadbeats ont fait du Rock Doom une vraie identité musicale qu’il serait bon d’écouter avant que le chaudron de la connerie finissent par se carboniser lui-même. Ce disque sera votre salut. Vraiment.
TOUS DROITS RESERVES

1 commentaire:

Pascal GEORGES a dit…

Bon là, découverte totale pour ma pomme, donc j'ai foncé sur Deezer afin d'avoir substance...
Pff le son deezer (!)...
Mais bon, je vais donc creuser plus car ce gros son âpre et brut, sous ton article biographique et "romancé" ça attire et finalement ça rapproche autour de nos modes d'approche de la musique et de ce qu'elle sous entend, souvenirs, sensations, anecdotes, idéaux et engagement social, politique, humain...
Bref, pas si anodin que cela quand la vie est marquée au fer du rock.
Curieux hasard, cette semaine je recroise un ami musicos via le blog qui est resté fondamentalement rock, s'autoproduit et revendique comme voici... oserais l'avouer, plus de vingt ans.
Quand on est passé par le rock en mode de vie, la trace reste indélébile, j'en sais quelque chose et même si je balance entre nombre de musiques, que je revendique une certaine vision du jazz, il est des racines associées au mode de pensée social qui ne se renient pas...
Alors quand je t'écris ça avec en bande son pas en fond mais à fond "Blood lust", qu'effectivement les Black Sabbath me sautent à la gueule et que Manson et son cirque me font définitivement rigoler, alors qu'on vient de se mettre Alice Cooper à fond dans la voiture en rentrant du squate park avec mon fils de 11 ans je me dis que le rock a sacrément changé la vie de certains, allant jusqu'à inonder leur entourage...
Pour le meilleur je n'en sais rien, mais en tout cas, c'est tout de même vraiment bon... ça suffit en soit à s'en satisfaire...
Bon, ce groupe, quel son !
merci.