GRAVEYARD : « Lights Out »
2012
Voilà un disque qui sonne comme si il
avait été enregistré en 1972. C’est le genre de commentaire que
l’on peut lire dans les (rares) chroniques françaises de cet
album. Cette phrase est par ailleurs applicable à l’ensemble de ce
qui est qualifié comme Stoner-Rock ou Revival-Rock, ce qui réduit
ces groupes à une sorte de plagiat des années 70. ce qui explique
sans doute le peu d’intérêt que porte la critique pour ce
Heavy-Rock.
Il est amusant de constater combien
cette même critique use comme références musicales pointues et
comme métaphores poétiques pour décrire la musique de disques
beaucoup plus branchés. Skip The Use, Shaka Ponk, Mumford And Sons,
Muse, et autres formations encensées par la critique pour leur
anticonformisme et leur originalité ont droit à tous les honneurs.
Mais Graveyard, comme d’autres, non.
Ils sont un groupe de Stoner, c’est-à-dire, des ersatz
sympathiques de Black Sabbath, grosso-modo, mais trop ancrés dans le
passé. Comme Kyuss, Unida, Firebird, Danava, Uncle Acid, Sleep, High
On Fire et bien d’autres génies de notre temps.
Preuve si il en est que la bonne
musique ne passe plus à la radio, mais doit désormais se
rechercher. Graveyard est une fantastique formation. Origina ire de
Suède, comme pas mal de groupes amateurs de ce heavy-Rock 70’s
aussi vaste que brillant (Led Zeppelin, Cream, The Who, Deep Purple,
Black Sabbath, Jethro Tull, mais aussi Cactus, Humble Pie, Mountain,
Thin Lizzy, Captain Beyond, Budgie....), ils ont décidé de créer
leur musique sur cette base magique. Pas idiot au demeurant comme
idée. Ainsi, Led Zeppelin et le Sabbath n’ont-ils pas puisé leur
inspiration dans le Blues Noir Américain et la Soul des années
50-60, comme par ailleurs 90 % de la production Rock de la fin
des années 60 ?
Donc, voilà quatre garçons qui en
novembre 2006, décident de créer une musique à partir de celle
qu’ils aiment. Le résultat est un premier album éponyme en 2007.
De très bonne facture, Blues en diable, il éveille les oreilles des
amateurs du genre Stoner, jusqu’à atteindre la 27ème place des
charts... danois. Après la faillite de leur premier label Tee Pee,
ils sont rattrapés par Nuclear Blast qui saura leur donner les
moyens de développer leur musique.L’excellent second disque,
« Hisingen Blues », est paru en 2011 et il me faudra y
revenir. Et puis voilà le troisième.
Alors, il semble avoir été
enregistré en 1972.... Sérieusement, si à son écoute vous pensez
cela, vous n’avez rien compris. La vraie différence avec le reste
de la production mondiale est que la musique de Graveyard est
enregistrée à l’ancienne, sans logiciel de retouche sonore et
vocale. Il n’y a ici que la musique de ces quatre garçons, leurs
instruments, leurs mélodies, leur feeling, et les aspérités qui
font le charme de tous les grands disques. Bref, ici il n’y a rien
de calibré, et à l’heure de Katy Perry, Pitbull, et David Guetta,
cela semble totalement anachonique. Comme si la musique était encore
un art, et pas un tiroir-caisse.
Aussi effarant cela puisse paraître,
Graveyard produit un Rock issu de la musique des années 70, mais
développe un univers totalement personnel et moderne. Pour les plus
pointus, on pourra citer l’influence du Doom des premiers
enregistrements de Pentagram, les mélodies cancéreuses des Doors,
Tim Buckley et de Spooky Tooth, et l’influence du Blues acide des
Rolling Stones de la fin des années 60. Point de Black Sabbath,
contrairement à ce que l’étiquette mal collée de Stoner pourrait
faire penser.
Ces influences sont magnifiées dans
un Rock à la fois hargneux et brûlant, d’où émergent de
sublimes mélodies d’une mélancolie infinie, et un chant
rocailleux et soul, totalement possédé par le propos. « Lights
Out » est un aboutissement total, affirmant la personnalité
magique du quatuor de Göteborg.Joakim Nilsson au chant et à la guitare, Jonatan Larocca-Ramm à la guitare lead et au chant, Rikard Edlund à la basse, et Axel Sjöberg à la batterie ont réussi une synthèse magique.
Une sirène malsaine retentit. Une
ligne de basse et de guitare retentit. « An Industry Of
Murder » retentit. Lente montée psychédélique, slow-burn
électrique, ce premier titre dévoile déjà toute la complexité de
la construction musicale de Graveyard. Les rebondissements musicaux
sont multiples, portés par l’incroyable dextérité des musiciens.
Nilsson a une voix décidément fabuleuse, rappelant parfois Jeff
Buckley. C’est notamment le cas sur le précieux « Slow
Motion Countdown », fulgurant d’emphase cinématographique.
Larocca-Ramm sait broder des soli courts et concis, où le feeling
est primordial. On sent la cohésion de la formation totale.
Tout est audible, chaud, sensible.
« Slow Motion Countdown » se clôt dans le piano et le
mellotron magique. Il n’y a rien ici de sirupeux. Au contraire,
tout est rêche, avide de désir et d’amour. On y sent toute la
mélancolie des contrées du Nord de l’Europe, à la fois sauvages
et sombres. Superbe envolée lyrique, ce superbe morceau est à la
fois un risque prodigieux pour Graveyard, et la preuve que l’on
peut composer un morceau mélancolique sans tomber dans la diarrhée
auditive. Mille souvenirs m’ont traversé l’esprit aux premières
écoutes. La magie est là, comme sut le faire Jeff Buckley,
justement, il y a... bien longtemps. On y trouve la tristesse
majestueuse de King Crimson. Les deux guitares arpègent en choeur,
délicatement.
Faut-il que les chevaux s’emballent
pour que la mélancolie ait de la valeur ? « Seven Seven »
est un boogie endiablé, rugueuse et épique cavalcade qui conduit au
sourd et heavy « The Suits, The Law & The Uniform ».
La rythmique est grondante et électrique. On cherche la référence.
Qui a ce son ? Les deux premiers albums d’Humble Pie ?
T2 ? The Who ? Le son est magique, il prend aux tripes. La
basse et la guitare rythmique semblent souffler dans notre âme,
pendant que la voix rugit, Blues, implacable. Ce titre est d’une
formidable efficacité. Dans un monde parfait, il ferait un excellent
tube radiophonique, mais nous sommes hélas condamnés à écouter
WillIAm, toute la daube électro et la chiasse pop française. Il
vous faudra donc vous procurer ce disque pour comprendre de quoi je
parle. Et vibrer à nouveau à l’écoute d’un disque de 2012. N’y
chercher pas non plus le Stoner des Queens Of The Stone Age. Le
groupe de Josh Homme, après quelques très bons disques, a oublié
ses racines musicales pour produire un Rock plus mainstream, qui
n’est que le rabâchage rébarbatif de l’excellent « Song
For The Deaf ». On espère que l’Homme se souviendra de son
passé Kyussien, et saura retrouver son indépendance artistique.
« Endless Night » est un
fabuleux morceau de heavy-rock rageur roulant comme une Pontiac
Firebird 1969 à travers la ville de San Francisco la nuit. Sauf que
les garçons de Graveyard sont de Suède... Alors, une Volvo S70 à
travers … Göteborg ? Mais hormis son origine natale et
l’incroyable noirceur intérieure de ces hommes, rien ne laisse
penser qu’ils sont originaires du Grand Nord, mais plutôt d’une
banlieue ouvrière de Birmingham. Ceci étant dit, on ne va pas
chipoter sur la latitude et le parallèle géographique, mais bon...
La noirceur est pourtant de mise sur
le lugubre « Hard Times Lovin’ ». On y retrouve toute
la poésie des Doors, et ce goût de poussière dans la bouche. On
retrouve le timbre de Jim Morrison dans la voix de Nilsson, celle de
« Riders Of The Storm ». C’est beau, puissant, possédé.
Beaucoup se sont déclarés héritiers des Doors, mais aucun ne sut
en approcher le quart de la beauté. C’est chose faite. Loin du
Blues racoleur que l’on pourrait attendre d’un groupe fan de
Cactus et Black Sabbath, on plonge dans une faille spatio-temporelle
qui aurait non pas fait de Crosby, Nash, Stills And Young la base du
Rock californien, mais plutôt Neil Young And Crazy Horse et les
Doors. Le plaisir est immense. Mais de courte durée. Car telle n’est
pas le cas. Aussi, cette superbe ballade cancéreuse restera un
fantasme, pourtant bien réel.
Le brutal et expéditif « Goliath »
revient au Heavy-Rock le plus efficace. En à peine trois minutes, le
Rock revient à la vie. Tout est parfait : l’intro tendue en
forme de chorus. La cavalcade de la rythmique, le chant rageur, et
puis l’intro qui fait écho avant l’explosion du refrain. C’est
rugueux, brutal, Rock.... ROCK !!!! Le chorus est sublime, tout
en poésie, sans aucune démonstration gratuite. Larocca-Ramm n’est
pas un branle-manche, mais bien l’homme qui enlumine la musique de
son groupe.
.Le rêche « Fool In The End »
confond le Rock brutal des origines Hard et la musicalité des Doors
et de Jeff Buckley. Il n’est que l’avant goût de « 20/20 »,
merveilleux Blues cancéreux qui rappelle celui de Robin Trower,
« Bridge Of Sighs », ou « I Can’t Wait Much
Longer ». Lente montée d’incandescence, combustion
progressive de guitare et de quelques notes de piano électrique
liquide qui ondule sur les riffs, ce merveilleux disque se termine en
un goût amer. Celui du Nord, la colère, le désespoir. La
poussière. Le vent dans les grandes herbes sèches un matin de
février. On allume une cigarette, le nez au vent, résigné. Encore
une journée triste, comme les autres. Mais tout de même un peu
moins, parce que Graveyard aura réchauffé notre cœur de son
Heavy-Blues inventif et mélancolique.
tous droits réservés
2 commentaires:
Salut !
Une critique qui partage ton enthousiasme. Et sans employer une seul fois le mot stoner : http://www.leseternels.net/chronique.aspx?id=5604
Continue, perso je te lis toujours !
@+
Oyax
Magnifique..! Je reviens pas de Hard times lovin' et 20/20 et ce ne sont que les premières écoute.... Moi,si je cherche les influences, ils me font penser à un groupe ultra blues mélancolié garage fin 70 de leur contrée justement! "Gandalf", mais en plus effusifs et incandescents et moins blues! Je ne sais pas si tu les connais d'ailleurs( moi j'adore sur certaines chansons chantée en Danois (un petit lien) http://www.youtube.com/watch?v=DKErkAOifX8 ) I wanna drink agaain... bon je retourne dans le cercle sans fin de 20/20, merci et c'est vraiment doux et plaisant de pouvoir se dire "merde! Ce n'est pas niais, ce n'est pas prétentieux et égocentré, c'est simple, c'est sourd, corrosif et hargneux.. et c'est maintenant!!)
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