"Le problème de ces garçons est qu’ils ne savent rien faire comme tout le monde."
BOXER : « Below The Belt » 1975
C’est l’été, il fait chaud sous les tee-shirts, sous les maillots, comme le disait l’immense poète Eric Charden. Le contexte de la saison fait irrémédiablement penser à l’oisiveté et à la détente, mais aussi au charme et à la volupté à la vue de jolies créatures à peine post-adolescente déambulées en bikini ou en trikini (cherchez, c’est la mode) sous vos yeux de trentenaires bedonnants et casés.
C’est dans ce contexte, la chaleur, la foule, et donc les petits culs en moins (j’ai fui en Normandie), que j’ai réécouté ce disque. Un disque authentiquement joyeux et insouciant, voilà bien une grande première dans ces pages hautement mélancoliques. La réalité est tout autre.
L’histoire remonte à la fin de l’année 1974. Le guitariste Ollie Halsall est le nouveau guitar-hero du trio Tempest, formation initialement fondé par le batteur Jon Hiseman, lui-même fondateur du groupe Colosseum. Après deux albums de très grande qualité distillant une fusion particulièrement réussie de Heavy-Metal et de Jazz-Rock, Tempest jette l’éponge dans l’indifférence générale, Glam-Rock et Rock Progressif oblige. C’est le temps de Yes, Bowie, ELP, Marc Bolan, Elton John. De son côté, le chanteur Mike Patto a cru faire une bonne affaire en rejoignant Spooky Tooth, quintet anglais de heavy-rock progressif de la fin des années 60 qui s’est reformé en 1972 et qui compte dans ses rangs le clavier Gary Wright. Spooky Tooth connaît une jolie petite carrière aux USA avec leur nouveau guitariste Mick Jones, futur fondateur de Foreigner et ancien guitariste de… Johnny Hallyday. Aussi, lorsque le chanteur historique Mike Harrison s’en va, Patto saute sur l’occasion. Le résultat sera un excellent album (chroniqué dans ces pages) du nom de « The Mirror », paru en 1974. La tournée qui suit est mitigée dans le contexte glam-progressif, et Spooky Tooth jette l’éponge à la fin de l’année.
Le point commun de ces deux garçons est d’avoir fait partie d’un exceptionnel quatuor de jazz-rock anglais totalement passé inaperçu du nom de Patto, et qui publia trois superbes disques dans l’indifférence générale. Déçus par ces échecs commerciaux successifs (pas musicaux, hein, tout ce que je viens de citer figure, ou figurera dans ces pages), ils décident de se retrouver pour fonder leur propre groupe de glam-rock !
Ces deux losers embauchent donc deux autres losers : Tony Newman, ancien batteur du Jeff Beck Group période « Beck-Ola » puis de Mayblitz, et Keith Ellis, bassiste de Spooky Tooth que Patto a pris sous son bras en partant. Bref, ce ramassis de seconds couteaux du heavy-blues-rock anglais décide enfin de tenter de se faire une place au soleil par opportunisme musical.
On pouvait craindre le pire, les grands musiciens ayant succombé aux sirènes de la musique commerciale sont aujourd’hui irrécupérables : Rod Stewart, Elton John, Peter Frampton, Bruce Springsteen….
Le problème de ces garçons est qu’ils ne savent rien faire comme tout le monde. Alors, du glam, ils vont tenter d’en faire, mais à leur sauce. C’est-à-dire sous la forme d’un rock direct, mais dont la sophistication leur est propre. Le résultat est ce premier album. Le nom du groupe est une référence à la carrière avortée de boxeur professionnel de Mike Patto. Décidément…. La pochette, ultra-sexy et ultra-stylisée devait attirer le chaland, ou au moins l’œil des média. Ce sera le cas, mais pas vraiment au profit du groupe, qui subira les foudres des féministes et de certains journalistes qui la trouve vulgaire.
L’ouverture se fait par un ce qui aurait dû être un hit-single (ce qui est en fait le cas de la moitié de ce disque) : « Shooting Star ». Une guitare aigrelette et nerveuse, typique des morceaux de Bowie ou de Bolan. Mais déjà, il y a ces petites notes funky qui traînent entre deux accords, et puis ce pont progressif sur le refrain. La voix de Mike Patto apparaît : puissante, hargneuse, originale, l’homme met tout son talent au service de la chanson. Seulement voilà, on ne trouve rien ici d’ambigu sexuellement, ces sortes de fin de phrases soupirées qui inondèrent les culottes de milliers de collégiennes anglaises lorsque Marc Bolan, Davis Bowie ou Sweet jouaient leurs tubes. L’homme a des tripes, et cela s’entend, mais aussi de la classe, car son chant est ultra-maîtrisé. La rythmique est parfaite de parfaite de précision et de concision. Ellis et Newman se font un peu funky, histoire de. Seulement voilà, ces deux-là ont un tel niveau technique qu’il est déjà impossible de les rattacher aux morceaux de deux accords du glam. Et ne parlons pas du solo de Halsall, brillant et coupant comme une lame, qui achève à la fois superbement le morceau, mais aussi tous les espoirs d’un succès quelconque dans le genre du moment.
« All The Time In The World » se fait ultra-funky, et va chercher les amateurs de Funk-Music. Halsall double son riff de guitare avec un piano électrique, et le résultat est irrésistible. Dans un monde parfait, Beyonce et Katy Perry se trémousseraient de plaisir sur ce morceau. Mais comme ce n’est pas le cas, il ne vous reste plus qu’à regretter que Boxer n’ait jamais brillé dans les charts, car cela vous aurait évité de danser sur « Les Magnolias » de Claude François au mariage de votre sœur.
« California Calling » se veut plus Rock, et va chercher des références californiennes très en vogue, comme les Eagles. Seulement voilà, le jeu de guitare slide de Halsall, et cette rythmique rebondissante rapproche davantage ce morceau d’une sorte de heavy-rock anglais lorgnant vers l’americana que vers le Rock californien.
A tenter de coller aux poncifs à la mode, tout en se loupant pour notre plus grand plaisir, il fallait bien que Boxer dérape vraiment. Ce sera « Hip Kiss ». Tornade possédée d’orgue Hammond et de piano électrique jouée par Ollie Halsall, doublée d’un petit riff de guitare, et poussée par un ensemble basse-batterie particulièrement épais, ce morceau sent la folie. La voie de Patto tourne à la folie sur le refrain hurlant comme un possédé. Il a beau sussuré sensuellement « Hip Kiss », on est loin de la sensualité d’un Bolan vu le contexte, mais plutôt dans l’antre d’un maniaque sexuel.
Et c’est sur un « Right Now » distordu que démarre la superbe ballade « More Than Meets The Eyes ». Cette chanson n’est ni glam, ni … rien du tout, c’est du blues-rock de très haut niveau, une chanson qu’aurait dû chanter Steve Marriott avec Humble Pie en cette année 1975. Rien que d’y penser, je bande.
« Waiting For A Miracle » est une reprise d’une chanson de Halsall publiée sur le second album de Tempest, « Living In Fear ». C’est dire l’indifférence, qu’à ce point, une chanson publiée d’une année à l’autre soit totalement passée inaperçue. Surtout vu la qualité, car elle est tellement lumineuse et bien construite qu’elle aurait dû bercer l’été 1975.
« Loony Ali » et « Save Me » s’avèrent les deux points faibles de ce disque. Pas mauvaises, mais pas géniales non plus, entre pop et rock nerveux, on se rapproche du Elton John de l’époque, ce qui n’est pas vraiment un compliment pour ma part. Halsall fait pourtant à nouveau des merveilles, et les relèvent par sa guitare enchanteresse.
Heureusement, « Gonna Work Out Fine » est d’une telle qualité qu’il vous fera oublier ces deux bibelots. Tout y est : le brio et l’inventivité de la guitare (et du piano) de Halsall, la voix superbe de Patto, la batterie ultra-blues-funk de Newman et Ellis. La basse vrombit dés le décollage du refrain. Le rugissement de l’orgue de Halsall emballe la chanson, et mérite que l’on écoute ce disque à fond sur l’autoroute des vacances. Voilà un morceau de liberté, intelligent et brillant de qualité. Chaque détail est pensé, des petits points en écho de SG Gibson de Halsall à ce son de basse grognard. On sent le brio de ces musiciens, leurs qualités de compositeur.
Ce superbe album se clôt sur « Town Drunk ». Ballade mélancolique, enluminée d’arpèges et de piano délicat, elle décrit la destruction par l’alcool de la jeunesse qui s’emmerde en banlieue. Boxer compatit à cet ennui dans la gnôle, parce qu’à Manchester ou à Sheffield, et même à Paris, il n’y a rien à faire d’autre. Brillant, juste, pointu, et encore une fois, mélancolique, le quatuor fait mouche, avec en point d’orgue, un superbe chorus de Ollie Halsall, tout en poésie contenue.
Boxer publiera deux autres disques, fort intéressants. Seulement voilà, malgré le talent de ces quatre musiciens en studio et sur scène, rien n’y fera. Boxer mourra dans l’indifférence générale en 1979. Est-cela douleur de l’échec qui brisa de si brillants musiciens ? Mike Patto mourut d’une leucémie fin 1979, et Ollie Halsall d’une overdose d’héroïne dans son appartement minable en Espagne en 1992. Le tout dans l’indifférence générale.
Ne reste que des cendres, et à l’écoute de ce premier album Boxer, on aurait aimé que ce disque devienne un classique du Rock, histoire de sortir des références habituelles type Michael Jackson ou Prince. Assurément, nous volerions plus haut de nos jours.
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1 commentaire:
Merci de m'avoir fait passer le pas de l'écoute de cet album dont la pochette m'avait toujours repoussé (vulgaire, je sais pas, mais moche, oui). C'est avec des détails aussi débiles qu'on passe à côté de très bons moments, et les préjugés c'est le mal (donc encore merci d'avoir dénoué mes oeillères).
Petite précision que tu dois sûrement connaître, un Boxer français a commis quelques enregistrements à la fin des années 90 et c'était pas mal foutu du tout dans le genre hard rock boogie à l'ancienne, "Touche c'est du rock" valant son pesant de cacahouètes y compris au niveau des textes à la Audiard assez réjouissants. @+
Oyax
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