DANAVA : « Hemispheres Of Shadows » 2011
Ils sont la lumière. Ils sont un espoir formidable pour moi, et un réconfort inné pour mon âme. J’avais fini par devenir un vieux con. Cette sensation effrayante de n’aimer que des disques et des groupes du passé, de ces années 1965-1985 aujourd’hui préhistoriques pour les ados d’aujourd’hui, cette aigreur d’esprit finit par me rendre malade.
Alors je cherchai : Black Lips, Coldplay, les derniers U2, Muse, Simple Plan, Arcade Fire, Amy Winehouse …. Même Beyonce… C’est vous dire le désarroi. En vain. Moi qui sut trouver à toutes les étapes de ma vie un groupe ou deux qui sut m’extasier, de Soundgarden aux Queens Of The Stone Age, en passant par Kyuss ou Sleep, il y eut, malgré la relative pauvreté qualitative, des groupes géniaux.
Il faut dire qu’en ce moment, chaque nouveau morceau m’irrite le cortex. Je ne supporte plus certains sons. Ces boîtes à rythme faisandées, ces chanteuses pseudo-soul que l’on nous présente comme la nouvelle Aretha Franklin, ces groupes dits électro qui produisent une daube Dance pour boîtes de nuit au moins aussi pourrie que celle des singles jetables des années 80-90. Dés les premières notes, je sens mes nerfs à vif, j’ai envie de coller un coup de pompe dans l’autoradio. Le phénomène commercial s’étend à tous les genres : le Rock, le Folk, la Soul, le Heavy-Metal. Jolies, filles, groupes bien propres sur eux, sons calibrées, voix et intonations uniformisées, production aseptisée, on ne distingue plus rien. Tout est interchangeable. C’est à la fois rassurant pour le public qui n’est jamais perdu et les maisons de disques qui ne prennent aucun risque, mais c’est profondément blessant pour tout amateur qui veut ressentir un tant soit peu des émotions en écoutant de la musique.
Mais avec MySpace, Facebook ou n’importe quelle connerie de réseaux sociaux, des milliards de groupes formidables auraient dû sortir de la fange, et bousiller les majors et leurs purins auditifs. Il n’en fut rien. Blackout total.
Cet album est sans doute ce qui est sorti de plus formidablement fédérateur pour tous les amateurs de Rock de tous bords. Il rassemble les nostalgiques du passé, mais aussi tous les amateurs de musique pour qui ce dernier terme ne signifie pas uniquement fond sonore de club ou de soirée entre amis super-cools. Car sa richesse est telle qu’il vous faudra autant le savourer en voiture qu’assis sur un fauteuil, le casque sur les oreilles.
Ce disque s’appelle « Hemispheres Of Shadows », et le groupe, Danava (pronounced DON-UH-VUH folks). Fondé à Portland, dans ce sympathique état de l’Oregon ou il fait bon se faire chier, par le guitariste Gregory Meleney alias Dusty Sparkles et le bassiste Zachariah Dellorto Blackwell, le bientôt décide de fusionner Heavy-Rock psychédélique et Rock Progressif des années 70.
Sparkles et Blackwell furent rejoint par Rockwell aux synthés vintage et Buck Rothy à la batterie après le passage de Monte Mattson. La position de claviers au sein du quatuor semble fort précaire puisque Sparkles en joue pas loin de 98 % sur les deux premiers disques. Avec l’arrivée du batteur Matt Oliver, et le second guitariste Andrew Forgash, le quatuor se stabilise depuis 2009.
Le résultat est une mixture unique mélange de guitare Heavy-Blues, de souffles de basse Rickenbaker ou Gibson, de batterie organique, et de synthétiseurs obsédant. Un premier très bon album parut en 2005, et aurait déjà, par sa qualité, amplement mérité sa place ici. Seulement voilà, « Unonou » en 2008 est tellement fantasmagorique, qu’il est indispensable à la bonne immersion du public non averti dans la musique du groupe. Et ce nouvel album lui est encore supérieur.
« Hemispheres Of Shadows » est paru en 2011, mais semble sorti tout droit de l’année 1971. Enfin presque, parce qu’il est néanmoins d’une incroyable modernité dans la construction des chansons, le 21ème siècle ne pouvant le renier. Recyclage certes, mais surtout synthèse géniale ouvrant sur de nouveaux horizons musicaux. Ce disque est en fait l’alliage parfait de deux losers magnifiques : Stray et Budgie. Soit des constructions mélodiques et progressives osées collées sur un son lourd et sombre.
Que le lecteur qui ne connaît ni l’un ni l’autre se rassure, il basculera dans l’autre monde. Car j’ai trouvé dans cet album une incroyable chaleur que je n’avais plus retrouvée depuis mes émois sur les premiers Led Zeppelin, sur Humble Pie ou sur les premiers cités. Je me suis senti chez moi, comme si des amis m’avaient accueilli et m’avaient réconforté. Il y a une puissance dans les mélodies, dans le jeu qui fait que vous ne pourrez plus dire que les musiciens des années 70 étaient meilleurs que ceux de maintenant, inspiration parlant, bien sûr. Vous y retrouverez à la fois ce qui fait que le Rock des années 70 était si riche, et vous y découvrirez une richesse musicale exceptionnelle, totalement nouvelle.
C’est aussi et surtout une tornade. Dés le début. Dés « Shoot Straight With A Crooked Gun » (un titre que n’aurait pas renié Budgie, justement), on part sur un riff tourbillonnant et épais, doublé par Forgash. La basse ronfle, tapis dans l’ombre derrière la batterie d’Oliver, qui n’a jamais sonné aussi bien que celle de Ian Paice sur « Machine Head » de Deep Purple. Les synthétiseurs sont encore là, mais plus discrets, enluminant le refrain d’un arrière-goût spatial proche d’Hawkwind, référence déjà évidente sur « Unonou ». La voix de Meleney est à la fois juste et fragile, mais surtout parfaitement originale, unique. Incontestablement, elle donne à ce morceau cette atmosphère possédée, que ne lui aurait pas donné, je ne sais pas moi, un chanteur de Metal allemand par exemple. La succession de riffs, de ponts, de soli tourbillonne dans les oreilles comme l’effet d’un grand verre d’alcool blanc. Ivresse des sens, Danava ne va être que cela pendant quarante minutes.
« White Nights Of Murder » est un boogie déglingué plus classique, plus directement dans la lignée du heavy-blues de Stray. Classique, certes, mais d’une efficacité redoutable par ses multiples rebondissements instrumentaux : solo et harmonies de guitares, changement de riffs….
Il n’est finalement que le passeur du redoutable « The Last Goodbye ». Cavalcades de riffs dignes de la New Wave Of British Heavy-Metal,mais sur un tapis de roulements de toms et de caisse claire totalement fou, mêlant une forme de jazz-rock à ce heavy-metal rude du début des années 80. Meleney chante comme un être maléfique, menaçant, au bord de la rupture. Le premier pont en harmonies de guitare semble frôler le doom, rebondit lourdement, avant qu’un prodigieux solo d’orgue Hammond B3 retentisse, et emmène l’auditeur imprudent dans ces contrées magiques que Deep Purple effleura parfois en 1970. La lande, une voiture anglaise grondant de tous ses cylindres sur les petites routes de campagne, entre deux haies verdoyantes, avant de s’arrêter devant cette petite chapelle celtique, là au bord de la mer. C’est tout simplement étourdissant de majesté et de brio, d’autant plus que suit un superbe solo de guitare de Meleney, emmenant encore ce titre au firmament avant qu’il n’explose de sa superbe en plein vol.
« I Am The Skull » lui succède avec une certaine pression artistique. Ce nouveau morceau ne vous décevra pas, car il est lui aussi gorgé de ce heavy-blues épais et de ce lyrisme musical, qui, semble-t-il, n’a plus de limite. Vous vous surprendrez à taper du pied en même temps que la grosse caisse d’Oliver une fois qu’aura retenti la cavalcade de riffs introductive. Mon cœur s’emplit de plaisir. Sous le friselis de ride se cache la voix menaçante de Meleney. Le heavy-rock gronde avant que le chant ne dérape dans l’espace. De superbes nappes de synthétiseurs inondent l’horizon sonore. En quelques mesures, c’est un incroyable décollage vers Cassiopée. Avant que le superbe solo de guitare vienne clore les débats dans l’électricité libératrice.
« Riding Hood » est en fait un excellent morceau de Budgie. Extatique, possédé, pris de soubresauts doom, il rebondit sous le riff lourd de la rythmique. La basse de Blackwell gronde sous la folie avant que la rythmique ne s’emballe. Ce manège se répètera deux fois de suite, de plus en plus furieux. Prenons également un instant pour faire une parenthèse sur le batteur Matt Oliver. Brillant depuis le début de ce disque, il remet au goût du jour le roulement extatique de toms, et la frénésie de caisse claire si chère au Jazz, et que de nombreux batteurs de Rock des années 70 usèrent avec délice, à commencer par Ian Paice de Deep Purple et John Bonham de Led Zeppelin. Le son de la guitare rythmique est d’une lourdeur absolue, massue même dans les accélérations du refrain.
« The Illusion Crawls » arrive en écho rythmique et sonique de « Riding Hood » dans son introduction. Puis un filet de synthétiseur vient annoncer une plongée dans l’abysse de l’inter-espace. Sous les coups de ride de Oliver, le vaisseau spatial plonge à toute allure à travers les poussières de comètes. La voix de Meleney se fait prophétique, presque fantomatique. Les guitares et la basse font gronder les moteurs au bord de l’explosion. Curieusement, dans sa construction faite d’une cathédrale de riffs, il n’est pas sans rappeler « Helpless » de Diamond Head. Il faut savoir que comme ces derniers, Danava ne pratique pas le solo systématique, et préfère les tourbillons d’accords de métal luisant.
De cet acier est également constitué « Hemisphere Of Shadows ». Epaisse tranche de Heavy-Rock furieux mêlant Stray, Budgie et Blue Cheer. La voix de Meleney se fait menaçante et vicelarde. Puis Forgash et Meleney s’envolent dans une embardée de guitare en harmonie typique de Wishbone Ash ou Thin Lizzy (principe qu’ils emploient par ailleurs sur plusieurs ponts depuis le début de cet album. Mais si je vous disais tout, vous ne courriez plus acheter ce disque). Les harmonies sont superbes dés la fin du premier solo. Parce que comme un feu d’artifice, les deux guitares vont s’entrecroiser dans une furia électrique miraculeuse, rapidement rattraper par le riff entêtant du thème central.
Ne reste alors que « Dying Into Light », délicate coda jouée au synthétiseur. Elle rappelle parfois Klaus Schulze, tous ces pionniers du Rock électronique allemand, influence indéniable de Danava. Dans un soupir vaporeux se termine ce disque brillant, magistral, à la fois riche de ces références anciennes mais débouchant sur un Rock résolument moderne, qui a su enfin se montrer digne de la créativité de ses prédécesseurs.
Il est hélas certain que Danava n’atteindra pas la tête des charts ni ne fera le festival branchouille californien Coachella. Mais, on s’en fout : amateurs de Rock, êtres humains dotés d’ouïe et de sentiments, ce groupe est à vous.
tous droits réservés
1 commentaire:
Site particulièrement érudit.
Précis, curieux, documenté,
...sans parler de la touche classieuse du lien vers le Blog de la Méluche...
Un sans faute !
Enregistrer un commentaire