"Il fallait de la hargne à tout cela, pas du conformisme. "
WITCHFYNDE : « Give’Em Hell » 1980
Je me sers un whisky, et j’allume ma pipe. La première gorgée du breuvage dorée me procure une inattendue sensation de quiétude. Les première bouffées de tabac ont un goût magique, familier, chaleureux. Ces deux vices me tueront sans doute un jour, tout le monde le dit. Mais en attendant, sans doute moins que de voir le gouvernement actuel pulvériser 50 ans d’acquis sociaux et de progrès industriel au profit des patrons, des actionnaires, des banques et de la finance boursière. C’en est à vomir, ou plutôt, cela donne envie de prendre un fusil et monter au maquis faire de la résistance.
Mais quand on est seul dans ce monde de cons, on se contente de quelques plaisirs simples, et sans doute pas aussi destructeurs que les anti-dépresseurs. Ou alors de les partager entre amis.
Ces derniers temps, j’ai un peu fait le vide. J’ai d’abord renforcé mon amitié avec un vieil ami en étant à ses côtés dans des moments difficiles (le décès de sa mère). Cela m’a paru évident d’être là, car je ne conçois pas l’amitié autrement. Je compte peu de vrais amis, mais je sais que je peux compter sur eux, comme ils peuvent compter sur moi. Cela me paraît une évidence naturelle d’être là en ces instants difficiles. Si il m’avait fallu me poser une seconde la question, à quoi bon ? cela n’a pas été le cas. Il ressortit de cette épreuve difficile un renforcement de nos liens, quelque de chose de fort émotionnellement. On ne connaît pas toujours tout du passé de nos vies, de celles de nos amis. S’immiscer dans la sienne fut un privilège autant qu’une source de chaleur humaine peu commune. Ce fut la plongée dans une famille ouvrière de mineurs de Decazeville dans l’Aveyron. Une ville aujourd’hui encore meurtrie de la fin de ses mines de charbon, dont les terrils fument encore. Une famille d’origine espagnol, de ceux qui fuirent la guerre d’Espagne à la fin des années 30 pour une France pas toujours très accueillante devant ces expatriés encombrants. Ce fut assurément un moment fort de ma vie, à la fois profondément triste et incroyable de vie et de lumière.
De l’autre côté, ce fut la découverte du vrai visage d’un ami de la famille, également collègue de travail. Sa profonde fourberie et sa jalousie m’ont assez douloureusement blessé ces derniers temps. Nous avions eu quelques altercations par le passé, mais personne ne peut être totalement en phase au travail, surtout avec les 20 ans qui nous sépare, et donc l’approche qui va avec. Mais ses attaques incessantes et ses raisonnements tordus ont fini par me convaincre de prendre du recul. Le fait est que je suis rancunier. Et que la trahison est une chose que je ne pardonne jamais, qu’elle qu’en soit la raison. La morale de cette histoire est que l’amitié est un bien rare et précieux. Et que la trahison est une douleur intérieure prodigieusement pénible.
Ce soir, c’est donc une pipe et un whisky pour apaiser le feu de la plaie. Les idées noires deviennent moins pénibles avec l’alcool et le tabac. Comme distordues, comme refoulées.
Le vrai antidote reste la musique, en ces heures sinistres, un disque de Blues pourrait s’imposer. Mais il n’en sera rien. Ce qui me vint à l’esprit est « Give’Em Hell » de Witchfynde.
J’adore les deux premiers albums de Witchfynde, mais j’ai une petite préférence pour celui-ci. Fondateur, séminal, riche, il a tout pour lui.
1979. La scène Punk se meurt à force de colère inepte. La rage est une chose, offrir des solutions en est une autre. Les rockers des années 65-66 eurent le même problème. Who, Rolling Stones, Yardbirds, Pretty Things, Beatles…. Tous firent du Rock en trois minutes avant de tenter d’offrir à leur public de nouveaux horizons. Ce fut « Tommy », « Sgt Pepper », « Let It Bleed »….. et la suite fut le Rock Progressif. Les Punks se retrouvèrent dans la même merde. Une fois l’urgence passée et la haine déversée, il fallait embrayer la suite. Ce fut le Reggae, la New Wave…. Stranglers, Clash, Buzzcocks, Damned…tous tentèrent d’apporter des réponses.
Mais pour les prolos, cela n’avait aucun sens. Il fallait de la hargne à tout cela, pas du conformisme. Ce fut donc le tour de la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM). Iron Maiden, Diamond Head, Def Leppard, Saxon, Savage, Tygers Of Pan-Tang, Holocaust…. Tous firent resurgir le spectre du Heavy-Metal vengeur, mais débarrassé de son côté Blues et Progressif. Il y eut même Venom, les pionniers du Black-Metal.
Car il y a dans la NWOBHM les germes des genres extrêmes du Metal. En fin connaisseur, il est bon de rappeler que le premier disque de Heavy-Metal doté d’une tête de Malin est celui-ci, soit le premier disque de Witchfynde. Le second fut « Welcome To Hell » de Venom, en 1981. Ce que l’on dit moins, c’est que la musique est radicalement différente, mais pas moins possédée.
Venom, c’est un trio de brutasses aussi incompétent que génial qui produisit une sorte de mélange de Motorhead-Judas Priest sous-accordé avec une voie de goule malade. C’est brutal et primaire. Tout est là pour la suite. En fait, le pire, c’est que des groupes prirent cela pour argent comptant. Et firent de ce disque un manifeste où tout était savamment réfléchi alors que les trois de Venom produisirent cela dans l’urgence la plus totale, sans réfléchir.
« Give’Em Hell » de Witchfynde est par contre un diamant sonore. Il est par ailleurs doté d’un son unique, celui de la guitare de Trevor Taylor, alias Montalo. Ce qu’il faut savoir, c’est que Witchfynde fut un groupe inspiré de Black Sabbath formé à Derbyshire dans les East Midlands. Le chanteur Neil Harvey et le bassiste Richard Blower furent à l’origine du groupe en 1974, et recrutèrent en 1975 Montalo, dont le talent indéniable, est comparable dans le malaise sonique à la guitare de Tony Iommi. Blower et Harvey quittèrent le groupe, laissant Montalo avec le nom, génial. Il recruta le bassiste Andro Coulton et le batteur Gra Scoresby, puis le chanteur Steve Bridges.
En 1979, le quatuor signa un premier simple sur le label de Heavy-Metal Rondelet du nom de « Give’Em Hell ». La pochette est identique au futur album, avec ce diable barbu et chevelu. Ce qui frappe sur ce premier titre, c’est la batterie souple et presque Blues de Scoresby, avec ce côté brinquebalant dans le rythme comparable à Jerry Shirley d’Humble Pie. La basse de Coulton est par ailleurs calquée sur celle de Greg Ridley du même groupe. Et puis il y a la guitare.
Venu de nulle part, insaisissable, à la fois Blues et sombre, le jeu de Montalo est totalement original. Il irradie l’auditeur d’un malaise profond, celui des ténèbres de la musique. Bien que fort différent dans la sonorité, la guitare de Montalo a bien des points communs avec celle de Tony Iommi, notamment dans les ambiances crées.
Le premier album est publié début 1980. Le label étant petit, le quatuor doit gagner ses galons en tournant autant que possible, et notamment avec Def Leppard (on ne rit pas, à l’époque, le Lep était autre chose qu’un bousin FM). Witchfynde bénéficia aussi du soutien de Tommy Vance, le DJ de la BBC qui avec le Friday Night Rock Show assurait la promotion de tout ce que le pays comptait comme nouveaux groupes de Heavy-Metal : Iron Maiden, Tygers Of Pan-Tang, Saxon, Diamond Head, Def Leppard, Samson….
Le disque débute par « Ready To Roll ». Un riff mélodique en arpèges sort du bois après quelques coups de charley. On se dit que effectivement, tout cela n’a pas l’air bien méchant. Mais une fois les accords en arpèges passés, un cri de dément en fond rugit, et la Gibson de Montalo écrase le tempo. Coulton et Scoresby tabassent le rythme. La voix de Bridges est à la fois juste et totalement possédée, toujours au bord de la rupture, de la folie. Déjà, sous le tapis épais de guitare, on distingue la finesse du jeu. Quelques chorus aèrent le riff lourd, lui aussi doté de nuances sous son aspect massif. Il y a comme une forme de lueur dans la brutalité générale. Le refrain est entêtant à souhait, et le solo concis et précis. Les rebondissements rythmiques sont déjà nombreux dans ce morceau de quatre minutes. Déjà, on distingue que Witchfynde n’est pas un imitateur de Sabbat Noir de plus. Il insuffle en plus des aspects progressifs que l’on retrouve chez pas mal de groupes de heavy-rock dit de seconde division : T2, Nektar, Morley Grey, Hard Stuff…
Cet héritage est là, et on distingue aussi des similitudes entre la musique de Witchfynde et celle de pionniers du Doom comme Pentagram.
« The Divine Victim » est un riff boueux similaire à celui de « Heartbreaker » de Led Zeppelin. Mais il y a dans le son ce côté malade, comme la vision d’un elfe maléfique vous appelant du fond des ruines d’un château une nuit de pleine Lune. La voix de Bridges renforce encore ce sentiment d’atmosphère possédée. Coulton et Scoresby martèlent une rythmique massive, très Blues dans l’approche. Il est question de sorcière, mais une fois encore, le morceau bénéficie de ponts mélodiques lumineux qui extraient le morceau d’une linéarité heavy trop évidente.
Ce talent de mélodiste est mis en exergue sur l’introduction de « Leaving Nadir ». Arpèges scintillants, ligne claire. Steve Bridges se fait plus délicat, plus sophistiqué. Montalo superpose une guitare acoustique de toute beauté. Puis la rythmique débute en lente procession. La guitare monte en harmonie jusqu’au firmament avant d’éclater en un riff massif se terminant en deux notes distordues et lugubres. Scoresby joue encore une partition proche de celle de Jerry Shirley de Humble Pie, tout en roulements de toms sourds. Le solo final est une merveille, et fait de « Leaving Nadir » l’un des grands sommets de cet album. J’aime écouter ce titre à la fois pour sa violence contenue et son incroyable grandiloquence teinté d’ironie. Il y a toujours dans la musique de Witchfynde ce côté amer des hommes blessés.
« Gettin’ Heavy » est une tournerie heavy-rock carrée, sans grande originalité mais addictive, où Bridges n’en finit plus de hurler comme un loup qu’il est temps de « Gettin heavy ! ».
« Give’Em Hell » suit, et sous son aspect de simple immédiat, il cache bien des surprises. Il y a d’abord ce riff tendu, à la limite de l’overdrive. La basse de Coulton lui colle au cul, soutenu par une batterie démentielle, brillant de mille cymbales sous son aspect foutraque. Là encore, Humble Pie et Jerry Shirley viennent à l’esprit par ses touches de toms et de cymbales furtives qui enluminent un tempo d’Enfer. Steve Bridges est possédé, démoniaque, râclant le plancher la bave aux lèvres, hurlant comme un égorgé qu’ils faut leur donner l’Enfer. Montalo râpe son manche comme un forcené, rebondissant entre riff serré et accords ouverts. « Give ‘Em Hell » fonce comme un bombardier à travers la nuit, raid mortel semant le feu et le sang sur son passage. Immédiat, ravageur, ce morceau est un hymne. A combien de gens aimerait-on envoyer en Enfer ? Il est probable que ce titre vous en donne la capacité, par son côté effrayant et furieux.
Le pinacle de cet album est assurément « Unto The Ages Of Ages ». Cavalcade folle de près de neuf minutes à travers les ténèbres, il est la synthèse du talent de Witchfynde. Des accords mélodiques lumineux en introduction doublés de guitare acoustique, avant que la guitare plonge dans un riff démoniaque et furibard, soutenu par la basse et la batterie, tribaux comme les tambours des mages d’Afrique. C’est une plongée vers les entrailles de l’Enfer, mais aussi vers celles de cette musique. On y retrouve les bases des percussions du Ghana qui servirent d’écrin initial au Blues des esclaves noirs. Ce même Blues qui engendra Led Zeppelin et le premier album de Black Sabbath. Les riffs tonnent en écho derrière les chorus tout en modulation de Montalo. Bridges se fait mage maléfique, racontant son histoire sous les cymbales fuligineuses de Scoresby. Coulton rédémarre la mélodie d’un riff de basse vénéneux. Comme Jimmy Page, Montalo se met à jouer avec l’écho, rappelant les coups d’archets de « Dazed And Confused ». Coulton double le jeu de toms de Scoresby. Montalo improvise, enlumine. Bridges hurle dans l’écho. La guitare déclenche la foudre. Charge infernale, le Heavy-Metal est implacable. Scoresby court sur ses toms, Coulton écrase son médiator sur ses quatre cordes. Et puis tout se déglingue, et puis le silence…. Et puis Montalo décoche un riff dans le silence incertain. Bridges rugit comme un possédé, et puis Witchfynde s’emballe au grand complet en une cavalcade furieuse. Open Up And Bleeded. My Hero. Furia électrique, le morceau se termine en accords écorchés.
« Pay Now, Love Later » est un titre bien machiste, d’une vulgarité…..exquise. En rangs serrés, le groupe décoche un dernier obus, de riffs et de sang. Witchfynde y est concis, totalement en osmose : la voix de Bridges, les riffs malades de Montalo, la rythmique déglinguée de Coulton et Scoresby. Comme un cheval fou, cette garce asiatique fera bien l’affaire. Un autre Enfer. D’autres démons.
D’une richesse maléfique, cet album s’écoute encore et encore, et ne cesse de dévoiler son sortilège. Witchfynde réussira le tour de force de renouveler l’expérience avec « Stagefright ». Puis la formation implosera avant de proposer un nouveau venin du nom de « Cloak And Dagger », plus Metal et un peu moins fin que ce disque fondateur.
Le Heavy-Metal proposa de beaux disques, dont la richesse dépasse le simple plaisir binaire. « Give’Em Hell » est de ceux-là. Comme « Lightning To The Nations » de Diamond Head. Comme un coin de ciel nocturne où les nuages noires de l’orage dévoile une pleine lune menaçante. Et tout cela nous apporte un grand réconfort.
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3 commentaires:
Bonsoir ça fait un petit moment que je passe voir vos récits sonores dès que j'ai un ordi en main... et je ne vous ai pas encore laisser d'encouragements! Alors je tente ici d'y remédier... je suis tombé sur ce site par hasard au début du printemps dernier car je venais de découvrir le premier album de Black Sabbath et le Presence de Led Zeppelin et je cherchais des infos des chroniques des images... bref totalement sécouer par leur puissance et leur spleen... Et Paf! Electic Buffalo! De la subjectivité virile, sûre d'elle même ne se cachant pas derrière la volonté objective. Succinctement de la vraie, de la pure partialité émotionnelle! Bien servie par la truculence du phrasé et le souffre de la langue française! Cela seiait parfaitement à ce que je pouvais ressentir et à ce que je voulais exprimer... Mais ce n'est pas tout, à cette époque je connaissais vaguement rien...Seulement la musique des grands du rock fumeux, lysergique, niais (Doors, stones, beatles, J.Airplane, joplin, Le Tull... et les types surexités des mods (Kinks, who...etc) J'écoutais surtout du blues mais je n'arrivais pas à faire le lien entre tout ça! Puis il y eu les yardbirds! Donc j'ai cherché dans le sillage et j'ai découvert Led Zeppelin,(qui est pour moi encore un miracle d'émotion, et dé-niaisement totale (cela dura trois ans)...Mais cela ne suffisait pas, alors je découvris le Sabbath Ténébreux qui m'ébranla dans ma citadelle gothique... Et puis ce fût d'un seule coup la salutaire et insidieuse initiation au fils des chroniques soniques et véloces: La toute puissance des Ground Hogs Stray, Stray dog..; La beauté mystique de Trapeze, l'effroyable abysse de "Speech" et puis Savoy Brown, Chicken Shack et le peter gren's fleetwood Mac qui sertirent mon coeur d'un profond réconfort établissant une fabuleuse assise de velours pour Le petit Homme d'Irlande que je rencontrais au même moment que les autres mais qui me marqua si fort que ce fût lui, qui dernièrement me sortit des ténèbres codéïnés, par son blues gaélique si chaleureux, sa simplicité et sa générosité incroyable. J'espère ne pas vous avoir fatigué de niaiseries. Je souhaite que ça vous encourage à continuer. merci
maladroitement votre
Mon cher Aurélien,
Si il y a bien une raison autre de la l'auto-satisafaction égomaniaque d'écrire ce blog, c'est d'avoir ce type de message. J'ai toujours voulu faire partager ma passion pour mes disques chéris en écrivant. Mais j'ai toujours détesté les chroniques ineptes constituées d'expressions comme "ça déchire", "ça envoie" qui ne signifient rien et dont le vide de sens rejoint la nullité de bon nombre de textes de Ar'N'Bi.
J'ai toujours préféré la qualité des chroniques de Paringaux dans Rock'n'Folk dans les années 70, cette qualité du verbe, des comparaisons, cette sorte de dissertation poétique à l'écoute d'un disque. Surtout, on peut aisément noyer le lecteur néophyte sous des tonnes de noms et de dates, afin de démontrer la toute puissance de ses connaissances. Mais cette tendance actuelle des phraseurs médiatiques sur le Rock me rappelle les verbeux de la musique classique qui analyse note à note chaque morceau en faisant état de leur sottise émotionnelle.
Le plus important dans la musique est ce qu'elle provoque à son écoute. On a tous en tête des images, des scènes de vie qui se rattachent à une chanson, à un disque. J'essaie donc de traduire modestement avec des mots ce que je ressens, tout en donnant quelques repères historiques et en mettant en lumière des musiciens oubliés. ces derniers ne sont pas toujours des virtuoses ou des génies absolues et mégalos, mais ils avaient une personnalité, un son unique qui fait d'eux des gens importants dans l'histoire du Rock. Le Rock est vivant, mais pour que la bonne musique se perpétue, il faut en comprendre le sens profond depuis son âge d'or, et ne pas négliger certains groupes.
Merci à toi pour ce message chaleureux qui me conforte dans mon travail.
J'aurais beaucoup aimé savoir ce que vous pensez d'amondull II et surtout de "1970 - yeti"... moi je trouve que ç'est le son parfait(stimulant, ambiance) pour écrire des contes fantastiques... Ces allemands ont rendu toute la puissance littéraire et le bizarre spirituel de leur ancètre compatriote Hoffmann (le trés simple "Ernst Theodor Amadeus")... A+
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