mercredi 3 août 2011

SAVOY BROWN 1975

" Le choix du groupe ne faisait que confirmer mon statut de blaireau provincial, mais le choix de l’album est une insulte au bon goût."

SAVOY BROWN : « Wire Fire » 1975


J’accélère le pas sur les grands boulevards parisiens. Nous somme jeudi soir, et les fêtards, étudiants pour la plupart, envahissent les bars. Faune caricaturale, tous à l’image des magazines de mode. Cette dernière, en particulier féminine, n’est pas pour me déplaire, mettant en avant la jupe courte et les chaussures à talons. Fétichisme de ma part sans doute, j’ai toujours trouvé ce type de chaussure terriblement féminin et sensuel.
Pour ma part, je ne suis guère du type toy-boy, pas vraiment preppy. Avec mes cheveux courts, ma petite brioche ventrale, mon vieux jean, mes vieilles Adidas et mon tee-shirt uni râpé par le boulot, je ne suis guère le fantasme du moment. Mais plus que tout, je me sens totalement décalé ce soir. Ni vieux, ni ringard, juste pas du tout à ma place. Pourtant, je bois aussi de la bière comme tous. Par contre, je fume toujours la pipe (un petit succès auprès de la gente féminine éméchée) et la musique qu’assènent les baffles des bars me laisse froid. Black Eyed Peas, David Guetta, Pitbull, Lady Gaga, LMFAO et tout le barnum électro-pop-are’ène’bi-rap-dancefloor me donne des spasmes intestinaux assez rapidement. Finalement, cela ne me dérangerait qu’assez peu si tout cela était resté à sa place, c’est-à-dire dans les boîtes de nuit. Mais tout le monde s’y met, histoire de gagner un peu de cash. Les textes sont bien sûr ineptes, parlant de bouger son corps jusqu’au petit matin – vas-y DJ fait nous vibrer – Yo baby t’es super canon, toi aussi je vais te faire vibrer jusqu’au petit matin sur la vibe.
Quand je passe à Paris, j’ai toujours dans ma bouche ce goût amer d’une société artificielle basé sur la fête à tout prix, ce que l’on appelle l’évènementiel. L’embourgeoisement de Paris a fait disparaître le côté populaire de la ville. Il n’y a plus d’ouvriers, de petits commerçants, de cafés, de vie simple. D’ailleurs cet embourgeoisement et ce côté artificiel de la société se traduisent à la télévision, avec ces reportages sur les maisons dans le sud, avec des riches montrant leurs belles cheminées en pierre, leurs salons en cuir, et leur déco simple et design. Ils sont partout, ils achètent tout, font monter les prix et prennent les autochtones pour des personnages de parc Disney. Il est temps pour une révolution.
Tout doit être à la mode, branché, dans le vent. Expositions, galeries de peintures, bar-lounge, guinguettes, clubs… Il n’y a plus de vie à Paris, tout y est superficiel. Seuls les cadres qui y travaillent en journée rappelle que Paris est une ville économique, mais l’uniformisation du niveau de vie vers le haut par élimination des plus pauvres est une réalité. Je n’y trouve plus la vie populaire que mon père et moi trouvions dans les petites brasseries il y a vingt ans, là, juste vers les quais de Seine.
Alors, lorsque je traverse Paris et ces banlieues, je n’écoute pas de l’électro, ni du Folk-Rock indé branché. J’écoute Savoy Brown. Et plus précisément l’album « Wire Fire ». Le choix du groupe ne faisait que confirmer mon statut de blaireau provincial, mais le choix de l’album est une insulte au bon goût.
Savoy Brown fut abordé dans ces pages par le superbe « Blue Matter » de 1968, et par le très heavy « Savage Return » de 1978. Il faut d’abord que les choses soient bien claires : tout ce qu’a sorti Savoy Brown entre 1967 et 1978 ne souffre de quasiment aucune critique, hormis quelques chansons moins originales par ci par là. Précisons que le groupe distille un Blues-Rock fin, parti du Blues Noir américain pour arriver à un alliage de boogie-heavy-rock teinté de funk et de jazz.
En 1975, Kim Simmonds, guitariste-compositeur-leader de Savoy Brown, se retrouve à nouveau seul pour la seconde fois de sa carrière. En 1974, il accepte un alliage furieux avec deux fine lames du British Blues-Boom : Stan Webb de Chicken Shack et Miller Anderson du Keef Hartley Band . Néanmoins, vue l’époque plus portée sur le Glam et le Progressif, il était à parier que Blues-Rock fut peu porteur.
Les Etats-Unis, pourtant toujours réceptif à ce type de musique, leur permirent d’assurer une longue et glorieuse tournée qui se finalisa au Madison Square Garden de New York. Rappelons que Humble Pie, Led Zeppelin, Lynyrd Skynyrd, Aerosmith, Deep Purple et Black Sabbath étaient de grosses ventes dans le pays. La collaboration des trois virtuoses échoua pourtant rapidement. D’abord parce que le groupe fut renommé Savoy Brown par la force des choses, puisque seul ce patronyme était populaire aux USA. Ensuite parce que le disque, hormis trois chansons, n’est pas vraiment enthousiasmant, l’union des trois n’ayant pas fait de miracles, dont le prodigieux « Highway Blues » ouvrant le disque.
Passé la dissolution des Boogie Brothers, Kim Simmonds remonte un Savoy Brown de toute pièce. Il rappelle son clavier fétiche du moment, Paul Raymond, et le batteur Dave Bidwell tous deux anciens Chicken Shack et compagnons de Simmonds sur « Street Croner Talking », « Hellbound Train » et « Lion’s Share », trois albums à succès du Brown. Les problèmes de dope et d’alcool de Bidwell finiront par conduire ce dernier six pieds sous terre mi-1975 après avoir quitté le groupe durant les premières sessions d’enregistrement. Il est remplacé par Tommy Farnell, et Andy Rae prend la basse et le chant.
L’introduction se veut pop et enjouer avec « Put Your Hands Together ». Simple, efficace, cela aurait pu faire un tube. Il dévoile en tout cas une approche du Blues-Rock plus Pop, plus mainstream. C’est ce qui a sans doute déçu les fans, découvrant un Savoy Brown semblant répondre aux sirène du music-business, mais ne trouvant pas de la guitare fumante comme le suggère la pochette.
C’est pourtant une erreur fatale. Car « Wire Fire » est un disque superbe, alliant des chansons originales et redoutables alliées à des parties de guitare magiques, d’une plus grande subtilité qu’il n’y paraît. Et cette vraie personnalité se dévoile dés « Stranger Blues ». Aux atours classiques, typiques du Blues-Rock qui râcle le fond des clubs américains sans grand succès, il se révèle être en fait terriblement contagieux. La voix de Rae, simple, sans rugissement inutile, parfois jouant avec des intonations croonantes, fait des merveilles. Il y aussi les claviers, à la fois discrets et très présents, apportant une ampleur mélancolique infinie à ce titre. Simmonds décoche de petits chorus, avant d’écraser sa wah-wah pour le solo, concis. On se dit que ce Blues-là est vicieux, qu’il s’injecte comme une drogue dans les veines. « Stranger Blues » a ce spleen des fins de soirées solitaires.
« Here Comes The Music » accélère le tempo et la slide magique de Simmonds décoche le riff. Sous son aspect heroic-song, elle fleure pourtant bon la route. C’est la chanson à écouter à fond sur l’autoroute, où que vous soyez. Que ce soit vers les cieux grisonnants du Nord de l’Europe où vers le Soleil brûlant de l’Espagne, la slide de Kim Simmonds vous hurlera dans les tripes. « Here Comes The Music », c’est celle qui vous court dans le bide quand on est au volant, face à son existence, avec ce curieux plaisir d’évasion lié à la bande blanche.
« Ooh What A Feeling » est une funk-rock song. On s’attend au pire, un mauvais pastiche de Stevie Wonder. C’est pourtant encore une chanson de route, faussement enjouée. Là, encore, vos tripes ne seront pas épargnées. Car comme toute road-song, elle va emmener vos pensées très loin. Tranquillement, au rythme de ce sax discret, du piano électrique de Raymond, et des riffs de la Stratocaster de Simmonds. La paire Rae-Farnell est redoutable, puissante, soutien parfait aux mélodies lumineuses de la paire Simmonds-Raymond. Au fil du pont final, vous repenserez à cette jolie brune sur la plage qui vous a adressé la parole pendant que votre femme est partie se baigner avec les enfants. Simplement, vous avez échangé quelques mots, et puis ces regards et ces sourires. Et ses yeux bleus restent dans votre cortex depuis, le trentenaire bedonnant étant devenu d’un coup un peu plus attirant quelque part dans sa tête.
Est-ce suite à cette délicieuse sensation que Savoy Brown enchaîne avec le terrifiant « Hero To Zero » ? Superbe Blues mid-tempo, Kim Simmonds y fait des miracles, soutenu par une très efficace section de cuivres. Passé du statut de héros à zéro. Et puis encore la route, ou plutôt ce train qui arrive en gare, que l’on prend pour fuir, pour espérer trouver des jours meilleurs, loin de l’enfer. La plage, le sable chaud, les bars sur le port, tout cela est bien loin. Les sourires, les regards, les jolies filles, les rêves d’une évasion possible s’envolent. Le quotidien, la routine, le boulot, les embouteillages, les courses au supermarché, tout cela revient comme un camion fou sur une autoroute en contre-sens. La Ford Mustang du héros laisse place à la Clio à crédit des petits matins gris.
« Deep Water » ne fera que confirmer cet état de fait. Nouvelle chanson de la loose, Blues pur, il s’aborde comme un de ces titres téléphonés du genre. Sauf que la mélodie au piano électrique, le refrain sombre, et ces chorus de guitare en forme de cris d’agonie vous partage entre l’envie de reprendre la route pour retrouver utopiquement la belle brune sur cette plage en plein mois de septembre, et rejoindre votre trente mètre-carré en banlieue avec les gosses qui crient, et votre femme qui ce soir, et particulièrement ce soir, vous exaspère de questions aussi creuses que « T’as pris rendez-vous au garage pour le Scénic ? », « Tu as fait les papiers de garde de la petite ? », et « T’as payé la facture EDF-GDF-Suez-Bouygues ? », ponctué d’un « J’ai vraiment l’impression qu’il y a que moi qui tient cette baraque ! ». Il n’est pas improbable que le « Ecoute connasse, tu commences à me gonfler avec tes merdes. Si t’es pas contente, t’as qu’à faire ta valise et te barrer, ça me fera de l’air. » soit au bout de vos lèvres.
Et cela tombe bien, car « Can’t Get On » est cette fameuse réponse. Basé subtilement sur « How Many More Times » de Led Zeppelin, lui-même reprise de « How Many More Years » de Howlin Wolf, Il est un boogie plombé où la wah-wah de Simmonds fait des miracles, rendant ce titre boueux et menaçant à souhait. Il sent pourtant la mort, parce que l’homme cherche ici de l’aide, qu’il ne trouvera pas. Plombé, noir, violent, « Can’t Get On » ne fait pas de quartier. C’est une superbe chanson sur la rage intérieure. Le piano, la slide, la wah-wah, la voix de Rae, la batterie de Farnell, tout est de plomb.
Un vrai bon disque de Blues ne peut pas se finir en happy end. « Born Into Pain » annonce bien la couleur. Terrifiant morceau gorgé de wah-wah, il n’est que douleur contrie. Les rêves, les espoirs, l'amour, tout s’envole. Vous êtes à nouveau sur la route, pour le travail sans aucun doute. Vous regardez sur le bord de l’A6 et l’A7 ces garrigues, ces paysages calcaires, ces vignes, ces bastides. Le solo de Simmonds semble calmer le jeu. C’est presque jazzy. On relativise les choses. Les cuivres vrombissent. Le piano électrique et l’Hammond de Raymond souffle ce rythme chaud sous ce riff noir. La guitare n’est que chorus discrets, hululements, encore, comme une plainte. Simmonds rivalise sur ce disque avec ce que fit de meilleur Peter Green avec Fleetwood Mac période 69-70, celle de « Then Play On », voire « The End Of The Game ». Mais Kim va au-delà. La route, encore. Et les yeux bleus de cette belle brune, son sourire coquin.
Et puis le titre se termine lorsque vous garez votre Megane sur le parking du bureau. Et une nouvelle journée de travail en banlieue démarre. Vivement 18h que l’on se remette « Born Into Pain ».
PS : cet article n’est pas sponsorisé par Renault.
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7 commentaires:

Anonyme a dit…

Un Savoy-Brown bon cru, mais presque totalement inconnu.
Kim y délivre des soli très inspirés et maîtrisés.

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec l'introduction, notamment "cet embourgeoisement et ce côté artificiel de la société, etc, etc...". Malheureusement cela ne se limite pas à la capital.
Chronique où sourde une certaine rancœur ou lassitude, non ?

Julien Deléglise a dit…

Je dois t'avouer qu'effectivement, je commence à me lasser de cette univers. pas que j'y vive, puisque j'habite à la campagne. Néanmoins, voir tout cela dans les villes, et en permanence à la télé, cela me pèse.
Ce qui m'irrite, c'est de ne surtout pas discerner dans la jeune génération (les 15-35 ans), la moindre envie de se rebeller, de refuser le système. Tout le monde semble s'y complaire avec résignation, approuvant avec au plus une pointe de désinvolture toute la politique mise en place. Mais j'ai toujours été à part, je n'aime par nature pas suivre la mode et la masse. Alors forcément, on se sent parfois un peu seul.
Parfois, on a envie de sortir de ce train-train pesant. le Rock reste un excellent carburant.

Malvers Aurélien a dit…

Personnellement j'ai vingt ans, (je sort des vendanges) avec une furieuse envie de blues... je viens sur votre "site" voir si par hasard il 'y aurait pas eu un nouvel article et là paf! un groupe que je connais pas..tant mieux j'ai le cafard alors je lis et tout en lisant votre article je trouve un morceau "can't get next to you" de Savoy Brown sur "Street Corner Talking" (1971) et là! ben, revers de baffes! ça exprime motpourmot ce que je ressens pour la copine d'un ami... je pensais que l'acide du raisins et le soleil l'effaceraient... c'est pathétique...bref! du coup (je l'écoute en boucle)et je me tâte à lui envoyer le lien insidieusement par "ce putain de réseaux social que l'on appel face de bouc"..Je la'i fait avec "I'm not awake Yet" sur "Deuce" de Rory et ça lui a bien plu, mais la c'est un peu "trop" évident les paroles...
D'autre part connaissez vous Amon Duül II? (je pense que oui) car je me serais régalé à lire une de vos truculente chronique sur leur album I ou Yeti par exemple...
D'autre part moi j'ai pas envie d'une révolution, ou même de me rebellé quand je me trouve face à ce genre de personne et de situation...j'ai juste envie qu'ils crèvent étouffés (de dinde au mar...)dans leur connerie...
PS: c'est dur de faire la fête sur du david guetta quand on connait "In my time of dying"...

Malvers Aurélien a dit…

D'autre part je n'arrive pas à me procurer THE GROUNDHOGS « UK Tour 76 » 2004 dont vous nous aviez parler... Auriez vous une idée, à tout hasard?

Julien Deléglise a dit…

Salut à toi mon garçon,
Heureux de voir que le Blues te permet d'exprimer tes frustrations profondes. Par contre, je ne sais pas si Rory Gallagher et Savoy Brown soient les meilleurs outils pour draguer. En tout cas, si il y est sensible, garde-là, c'est une perle rare.
Pour ce qui est du Groundhogs, il était publié très officiellement chez MLP Live, mais est épuisé.
On peut le trouver sur ebay, ou alors, mais attention, hadopi guette, par téléchargment à :
http://rapidshare.com/files/420640323/Groundhogs_Live_UK_76.rar

A+

Anonyme a dit…

On peut refuser un système sans pour autant être révolutionnaire. Beaucoup de gens on, à leur façon, tourné le dos à un système d'uniformisation, de vide culturel et de "lobotomisation".
Ce n'est pas une chose facile, surtout lorsque l'on a des enfants. On tombe parfois et facilement dans un engrenage qui nous rend dépendant d'un certain système. Il en faut un, certes, pour vivre en société, cependant il ne doit empêcher les gens de penser pas eux-même, d'être eux-même, d'avoir le choix.
Le sujet est vaste mais d'actualité.