lundi 18 janvier 2010

WISHBONE ASH 1971

"Car il s’agit en fait du disque de blues progressif du quartet, rien de moins."

WISHBONE ASH : « Pilgrimage » 1971

Déjà abordé dans ces pages, le cas Wishbone Ash fut appréhendé via son « Live Dates » de 1974. Une seconde approche aurait voulu que m’attarde sur « Argus », le chef d’ouvre de 1972, et nous n’auriez pas tort.
Seulement voilà, même si ce disque est impeccable de bout en bout, proposant et des chansons magnifiques et une production intemporelle, mon préféré à moi reste « Pilgrimage ».
Prédécesseur de « Argus », donc, il est paru en 1971. Ce qui me charma avant tout, c’est cette pochette énigmatique superbe, ce coucher de soleil rougeoyant derrière un enchevêtrement de branches d’arbres totalement énigmatique, fantomatique. Et puis il y a ce nom mystique, dont la pochette en révèle la nature plutôt champêtre et païenne.
Il y a enfin parmi les meilleurs titres de Wishbone Ash, j’entends les plus proches de l’os. Car il s’agit en fait du disque de blues progressif du quartet, rien de moins. Alors que les disques suivants défricheront davantage un rock heavy mélodique luxuriant, le Ash joue ici le blues et le boogie. Mais à sa manière.
Ce qu’il faut savoir, c’est que Wishbone Ash se forma sur les cendres encore fumantes du British Blues Boom. Ce courant de la fin des années 60 vit Chicken Shack, John Mayall And The Bluesbreakers, Fleetwood Mac, Savoy Brown, Cream et bien d’autres défricher le blues et le jazz avec la furie du rock.
Dés « Vas Dis », superbe et énergique instrumental jazz-rock, le groupe explore des couleurs inédites avec une rigueur magistrale. On pourrait n’y voir qu’une simple jam, mais déjà, le mordant des instruments en fait plus qu’une simple backtrack.
Suit alors « The Pilgrim ». Vaporeux, mélancolique, notamment dans son introduction, il révèle la vraie influence majeure du Ash : le Fleetwood Mac de Peter Green. Plus précisément le disque « Then Play On ». On retrouve ainsi dans l’introduction de « The Pilgrim » le magnifique « Underway ». Et plus généralement les twin-guitars. Car les vraies inventeurs de cette technique n’ont en fait prolongé et perfectionné la technique des dialogues de guitares de ¨Peter Green et Danny Kirwan. Cette longue odyssée instrumentale, elle aussi ponctuées de lignes vocales jazzy, plonge l’auditeur dans un univers étrange fait de vieilles photos des 70s jaunies, de vastes prairies et de bois traversés d’une onde qui joue avec les galets. Et puis il y a ces ruptures en larsen, noircissant le ciel, indiquant l’arrivée du danger. L’inquiétude grandit, le vent souffle dans les grands arbres, et une silhouette, voûtée et grimaçante se dessine sans les éclairs de l’orage. Une renard fuit devant cette vision, les grandes herbes se couchent sous le vent, et la silhouette semble annoncer le mauvais présage.
La suite, c’est « Jailbait ». C’est le retour au milieu urbain, à la petite ville industrieuse, aux visages fermés des travailleurs partant tôt au travail, le soleil même pas levé. C’est l’histoire de ce taulard qui va s’évader, et qui prévient sa baby. Le doute s’installe. Le larsen monte, les vibratos de la Flying V et de la Stratocaster se répondent de concert dans des hululements terrifiants, annonçant une fin funeste. L’homme va sortir, mais que va-t-il trouvé ? L’aime-t-elle encore ? Il s’agit en tout cas d’un boogie rustique, faisant la part belle à de superbes joutes de guitares. Mais ce sont les guitares de Wishbone Ash, c’est-à-dire maîtrisées, fines, ciselées, tour à tour cristallines, et piquantes, voire coassantes. Ne cherchez pas ici un boogie à la Status Quo, ce n’est pas le genre de la maison. Le riff gras n’est pas leur créneau. Tout semble réfléchi, les juxtapositions de guitares rythmique et solo s’emboîtent parfaitement, Rien ne semble laissé à la facilité, au riff primaire. Pourtant, il en ressort une incroyable sensation d’honnêteté et de simplicité.
Est-ce un hasard si le prisonnier et son « Jailbait » sont suivis de « Alone », un instrumental mélancolique ? Si concept-album il n’y a pas, ce disque semble bien pensé. Ce petit encart de 2’30’’ est pourtant un petit miracle. « Lullaby » est un joli instrumental, qui n’apporte rien, mais qui rafraîchit. « Valediction » est le point faible de l’album. Sa mélodie un peu trop religieuse et impersonnelle gâche la cohérence, malgré sa bonne tenue.
Heureusement, le final fait oublier ce petit faux-pas : « Where Were You Tomorrow » est un boogie typé Savoy Brown. Simple, exubérant, il emporte l’auditeur durant dix minutes dans une odyssée presque passéiste pour l’époque, main incroyablement revigorante. Pièce enregistré live, donc gorgé de spontanéité, elle est un délice de musique rock. Vous vous surprendrez à écouter cette piste en entier, sans zapper la moindre seconde, des soli de batterie, de basse, ou les échanges avec le public.
De cet album, très instrumental, bancal, il reste une sensation étonnante. Si l’on compare avec « Argus » ou « New England », ce disque est mal dégrossi, presque, plus que son prédecesseur, ce premier album qui contenait « Phoenix ». Pourtant on distingue le superbe son, ce blues rugueux, et ces horizons imparfaits mais merveilleux qui font de cet album une pépite magique. De ces imperfections sont nés une grande tendresse, celle que l’on peut avoir pour des gens honnêtes, droits et généreux.
tous droits réservés

Aucun commentaire: