dimanche 1 novembre 2009

DICKIE PETERSON

"Il peut pourtant mourir fier, Dickie. "

DICKIE PETERSON 1946-2009

Alors que je publie l’histoire de la naissance du hard-rock, une bien triste nouvelle est tombée : Dickie Peterson est mort le 12 octobre à 63 ans. Dickie fut le bassiste-chanteur de Blue Cheer et le pilier inamovible du groupe.
Sa mort passera sans aucun doute totalement inaperçue, et pourtant, elle me touche profondément. Il y a des gens comme cela, qui par leur personnalité et leur musique s’ancre dans votre âme pour toujours.
L’histoire de Dickie Peterson commence le 12 septembre 1946, à Grand Folks, dans le Dakota du Nord. Il vit dans une famille de musiciens : le père joue du trombone, sa mère du piano, et son frère Jerre, de la flûte et de la guitare. Dickie sut très tôt que sa vie serait vouée à la musique, dés treize ans, lorsqu’il prend possession d’une basse.
Jerre, son frère, sera toujours dans l’ombre de Dickie. Il sera notamment le lead-guitariste de Blue Cheer en 1967, aux côtés de Leigh Stephens, avant que le groupe ne se réduise à un trio, celui de « Summertime Blues ».
Lorsque le quatuor débute, il s’est fait les crocs à Detroit, écoutant du blues et de la soul, Otis Redding étant l’idole de Dickie. Pourtant c’est à San Francisco que le groupe trouve fortune, dénoyautant les tympans des hippies de Haight Ashbury. Il devient le San Francisco Blues Band, puis Blue Cheer. Janis Joplin les adore. Les Hell’s Angels aussi.
Il faut dire que Blue Cheer est une sorte de Cream rustre, préférant l’impact du blues pur plutôt que les effets de virtuose. Cela n’empêche pas le groupe de créer un son unique, largement moins suranné que celui de Cream.
En mai 1968, « Summertime Blues » est un tube aux USA et dans le monde. Il ouvre les portes de la gloire au trio, qui s’y engouffre comme trois renards lâchés dans un poulailler. La drogue va être consommée par palettes entières, d’abord le LSD puis l’héroïne, dont Peterson ne décrochera qu’en 1993.
Le second disque, « Outside Inside » paru huit mois après le premier album, enfonce le clou, mais Leigh Stephens, le guitariste prodige, détenteur de ce son à la fois blues et totalement doomy, s’en va. Il est remplacé par un autre prodige, Randy Holden. Le groupe signe un disque totalement en décalage avec les précédents : « New Improved ! ». Cet album fabuleux, délice psycédélique ultra-électrique, voit pourtant l’ambiance se calmer pour une colère plus sournoise. Mais l’époque est à l’orage, et face à Led Zeppelin, puis Cactus, Mountain, Deep Purple et Black Sabbath, le groupe est totalement hors sujet en moins de six mois.
Blue Cheer persévère dans un rock plus calme et psychédélique, les changements de musiciens devenant de plus en plus fréquents, notamment au niveau de la guitare. Un clavier entre en jeu. Seul Paul Whaley, le fidèle batteur, reste dans les rangs la plupart du temps. Et ce garçon mériterait à lui seul un article, tant son jeu est totalement unique et fabuleux, à l’instar d’un Mike Kellie, mais je m’emporte. Le son de Blue Cheer est alors un mélange d'influences entre rock, blues rural et soul, toujours teinté de psychédélisme, mais vaporeux, diffus. Peterson partage de plus en plus le chant avec les autres.
Blue Cheer disparaît finalement en 1972, dans l’indifférence générale. Pourtant ces disques ne manquent pas de panache, mais face à ses concurrents soniques, il fait bien pâle figure. Seulement voilà, Blue Cheer, en une année, est déjà passé de l’autre côté du mur du son. On trouve dans ces derniers disques les prémices du genre sudiste, certains titres, notamment sur « Oh Pleasant Hope ! » en 1971, semble annoncer certains titres de Lynyrd Skynyrd ou The Outlaws.
S’en suit de longues années chaotiques, entre came, jams entre potes et oubli complet des médias. Le rêve hippie est mort à Altamont, les vieilles gloire du heavy sound sont achevés par les punks.
Pourtant aux débuts des années 80, le heavy-metal revient en force avec la NWOBHM. Aux USA, c’est la contamination, avec Motley Crue, WASP, mais aussi Metallica, Megadeth, Slayer ou Anthrax. On reparle alors de l’histoire du hard-rock, et l’on commence à se souvenir d’un trio de fêlés qui fit rugir les amplis Marshall avant tout le monde, et de la manière la plus heavy du monde : Blue Cheer. Contrairement à Jimi Hendrix, Cream ou Led Zeppelin, Blue Cheer devient le groupe culte des zonards et des seconds couteaux. Parce qu’ils n’étaient pas des virtuoses, comme Black Sabbath, ils ont privilégié l’efficacité. Et pour des gamins de quinze ans, rien de mieux que de reproduire les riffs de « Paranoid » de Black Sabbath ou « Babylon » de Blue Cheer plutôt que les arpèges de « Rain Song » de Led Zeppelin. Et ne parlons pas de la neuvième de Bach par Ritchie Blackmore.
Peu à peu, Dickie Peterson sent le vent tourner dans le bon sens. Il reforme alors Blue Cheer avec Paul Whaley et un nouveau guitariste, Tony Rainier. Stephens a depuis longtemps quitté le métier pour devenir graphiste malgré quelques superbes albums. Et puis Rainier a un jeu plus métal, plus frais.
Le groupe réapparaît en peaux de bêtes, spandex, et tout le tremblement du métal de l’époque. Il publie également un nouveau disque du nom de « The Beast Is Back », en 1985. Le titre est con, la pochette est ridicule, genre tee-shirt hippie vendu sur les puces de Saint-Ouen par les Blacks. Et la moitié des titres ne sont que des réarrangements de vieilles chansons comme « Babylon », « Parchman Farm » ou « Summertime Blues ». Pourtant, le disque est très bon, avec de nouvelles chansons géniales comme « Nightmares » ou « Heart Of The City ».
Mais on n’attendait plus Blue Cheer, et le groupe échoue. Dickie Peterson et Paul Whaley deviennent alors ces perdants magnifiques qui dans l’ombre tentent de faire vivre leur musique.
Installés tous deux en Allemagne, il rencontre un guitariste américain du nom Andrew « Duck » McDonald. Il a traîné ses guêtres avec les plus grands has-been du rock : Kim Simmonds, The Rods, Ross The Boss et bien d’autres…. Il est plus jeune, mais il aime le blues, et il est fan de Blue Cheer. Lorsque Dickie lui propose la place de guitariste, il signe des deux mains. Blue Cheer revit alors discographiquement avec « Highlights And Lowlives » de 1991, superbe de disque de heavy-blues, ou avec le dispensable « Dining With The Sharks » sans Paul Whaley (une hérésie).
Et puis il y a un passage à vide, Dickie se soigne. Et Blue Cheer revient en 1999 avec une tournée japonaise. Il en sort le live « Hello Tokyo, Bye Bye Osaka ». Ce disque, plus que n’importe quel autre, est un classique absolu. Le son est saturé. Les 500 japonais dans la salle sont restés collés contre le mur du fond pendant deux heures. Tout est saturé, violent, blues. C’est un chef d’œuvre absolu. Il est surtout la preuve absolue que Blue Cheer est le pionnier du Doom et du Stoner.
D’abord parce Pentagram, le fondateur du courant doom avec Black Sabbath, dédie tous ces disques à Blue Cheer. Ensuite, en écoutant ce live, un paquet de groupes a trouvé sa voie, de Nebula à Fu Manchu, en passant par Clutch ou Corrosion Of Conformity.
Et puis… et puis…. Dickie Peterson est devenu un bluesman. D’ailleurs entre 1997 et 1999, il enregistre deux disques de blues, « Child Of The Darkness » et « Tramp ». Tous empreints de ce feeling de loser, teintés de la voix rauque et grave de Peterson, rompu à la clope et à la dope, ils sont de fabuleux témoignages d’un homme brisé, un survivant.
Blue Cheer reprend à nouveau la route, gonflé par le buzz du groupe précurseur du doom et du stoner. Le groupe enregistre un nouveau disque en 2008, mais Peterson est déjà bouffé par le crabe infâme. Il accomplira une ultime tournée, ne voyant dans la musique que son salut.
Il peut pourtant mourir fier, Dickie. Il est passé du stade de freak à celui d’un musicien hard-blues insoumis. On pourrait comparer sa personnalité à celle de Lemmy Kilminster, mais Peterson était moins provocant, plus discret, comme une sorte de sage du heavy-rock. Il avait tout connu, de la gloire à la dope, en passant par la déchéance et l’oubli. Les générations de kids d’aujourd’hui se mirent à se repaître à nouveau de sa musique et de celle de son groupe, découvrant des pépites soniques merveilleuses. Et puis ils furent les rois du pendant maudit du hard-métal. Alors que la face lumineuse, celle des Deep Purple, Led Zeppelin, Thin Lizzy, UFO ou Kiss, fut celle du succès, de la démesure, et de l’attitude machiste et victorieuse, Blue Cheer furent le terreau initial de ce que l’on appela le Doom avec Black Sabbath. Des groupes comme Pentagram, Bang, St Vitus, The Obsessed ou Trouble trouvèrent le matériel nécessaire à une musique sombre hérité du blues le plus noir. Se basant sur ces accords simples, rugueux, mais redoutablement efficaces, ils furent les chantres du désespoir, le reflet morbide des bas-fonds de la société et de l’âme humaine. Et certains d’entre eux, à l’instar des bluesmen noirs ou de Dickie, connurent une carrière difficile, erratique, traversée de drames, de drogues et de merveilles sonores.
Pour ma part, Dickie, se fut bien sûr Blue Cheer, les deux premiers disques, pendant crasseux, du hard-rock anglais flamboyant. Mais ce qui me fascinait, c’était le son de guitare de Leigh Stephens, qui devint presque une obsession pour moi. Pourtant, je découvris bientôt que l’homme était bien démuni seul.
Il me fallut du temps pour me plonger dans les albums suivants. Et puis un jour, j’achetai le live « Hello Tokyo, Goodbye Osaka ». A mon interrogation, mon disquaire me dit qu’il sonnait plutôt bien. Je tournai autour un certain temps avant de l’acheter. Et je me souviens du rugissement rauque de Dickie, ce « Hello Tokyo » sortant de la gorge d’un homme taillé dans la pierre de la vie la plus âpre. Il y avait ces petits commentaires entre chaque chanson, quelques mots, puissants, lucides, sur son frangin, les filles, ce « Summertime Blues » qui fut leur heure de gloire et leur tombeau. Et puis il y avait cette batterie, celle de Paul Whaley, qui fut aussi pour moi une énigme. Elle était impeccable, intact, encore plus puissante. A chaque fois que je faisais écouter ce disque à mes potes, ils s’accrochaient à ce qu’ils pouvaient. Il faut dire que le son y est particulièrement puissant. Tout sature, comme une boule d’électricité.
Après la découverte de ce miracle (en import japonais à prix d’escroc), j’achetai tout, et je ne fus pas déçu. Des obus métalliques des années 80, en passant par le blues-rock psychédélique venimeux des années 70, je découvris un groupe, et des hommes.
Il est difficile de dire où s’arrête la qualité musicale et la puissance humaine. Je crois que Blue Cheer ne fut pas forcément un groupe exceptionnel, mais la fusion des qualités humaines et musicales de ses musiciens fut à l’origine d’un groupe formidable. Dickie Peterson fut le fil conducteur de cette épopée commencée quelque part à San Francisco, et qui s’achève en Allemagne, dans l’indifférence générale.
C’est ce qui me tue le plus dans tout cela. Pas de trace de Blue Cheer, de leur apport à l’histoire de la musique. Ils n’existent plus, ils sont déjà morts depuis longtemps. Puissent que tous les fans de musique qui lisent ceci fassent vivre encore l’esprit de Dickie Peterson et de Blue Cheer.
tous droits réservés

2 commentaires:

Iro22 a dit…

Yeah!
Merci pour l'hommage à Dickie!

Quel homme que ce dernier...
Et quel groupe!

Jean-Michel a dit…

Hello,
Encore un qui va nous manquer.
Rock'n broc !!!
Jean-Michel