samedi 8 août 2009

THE BLACK KEYS

"C'est véritablement un état d’esprit qui revient à la vie."

THE BLACK KEYS : « Thickfreakness » 2003 et « Magic Potion » 2006

Lorsque j’ai commence à écrire pour le magazine “Blues Again !”, d’entrée, mes conceptions du blues n’étaient pas celles des fondateurs du journal.
Comme beaucoup d’amateurs de cinquante ans, on ne badine ni avec les références, ni avec les forçats du genre qui écument les bars de France et de navarre.
Le seul souci, c’est que cela entraîne d’une part une grande rigidité au niveau de l’appréciation musicale, et d’autre part, une grande complaisance vis-à-vis des artistes locaux et internationaux dont le talent n’est pas toujours avéré.
Personnellement, j’ai toujours eu une vision sentimentale et lyrique du blues. Pour moi, le genre est avant tout source d’émotions. J’ai toujours eu une vision fantasmée du blues. Une musique faites de sueur, de rage, de feeling, de son heavy, de mélancolie et de misère.
C’est la musique des prolos des villes industrielles qui vont s’exploser les neurones sur des sons qui leur parlent. Mais ce n’est certainement pas une bande de blaireaux pleurnichards qui roulent en Harley, qui boivent de la bière par tonneaux et qui gagnent deux briques par mois dans une entreprise de management commercial qui peut jouer le vrai blues. C’est le problème du blues en France, par exemple.
L’autre problème, c’est la gangrène démonstrative, tout ce blues pseudo-Chicago hendrixien à soli à rallonge, vide de sens et d’âme. Ce genre de musique pullule, mais l’esprit, le vrai a disparu. Le blues est devenu comme le jazz : une musique élitiste pour vieilles badernes bourgeoises qui comptent les éditions Stax ou Chess dans sa collection, et se gaussent du néophyte ne connaissant pas l’inédit de Muddy Waters de 1958 sur le label Fontana.
L’esprit prolo, la rage, la colère, la revendication a disparu, et jusqu’à présent, aucun disque que j’ai eu à chroniquer n’a fait preuve du centième de cette matière.
Ma déception a alors grandi, ne voyant rien à l’horizon qui soit compatible avec ma vision. Jusqu’à ce que… C’est un ami qui entendit l’album « Thickfreakness » à la FNAC. Il l’acheta et me dit combien il était formidable. Bien que nos goûts soient communs, son fanatisme de Dylan me rendit un poil méfiant. Mais là… The Black Keys est un duo composé de Dan Auerbach à la guitare et au chant, et de Patrick Carney à la batterie.
Dire que ce disque me redonna espoir est faible. The Black Keys est un immense groupe de blues gras et roots, bien dans la lignée de Hendrix, mais surtout de Hound Dog Taylor.
C’est véritablement un état d’esprit qui revient à la vie. C’est celui de l’attitude, de l’émotion plutôt que la référence. Ici, on se fiche bien de savoir si l’on est plus proche du blues noir ou blanc. L’ensemble fusionne en une musique sauvage et électrique faisant copuler Led Zeppelin, et John Lee Hooker, formidable geyser de riff en fusion et de slide râpeuse.
Il y a surtout ce côté brut de fonderie, cet aspect artisanal propre au vrai blues des pionniers. Pas question de claviers, de cuivres. Il n’est même pas question de basse, c’est vous dire.
Mais ce qui frappe, outre la guitare incandescente d’Auerbach, c’est la voix du garçon : une voix chaude, profonde, presque noire, justement. Ici, pas de hurleur à la voix nasillarde, comme Jack White des Whites Stripes. D’ailleurs les Black Keys y sont souvent comparés, à tort.
En effet, si les Stripes ont opté au départ pour une sorte de blues rugueux et irrévérencieux, entre pop 60s et vision arty, et les Keys optent pour une optique plus Rock, plus hargneuse, plus saine aussi. Le but, c’est de tirer du blues le meilleur de l’énergie et de cette colère intérieure que seul le blues peut faire ressortir.
Sur « Thickfreakness », les Keys sont arrivés à la synthèse parfaite entre le rock garage, le blues et le heavy-rock. On oscille entre titres puissants et blues cancéreux, râclant l’âme humaine au plus profond. Toutes les chansons sont géniales.
Par la suite, les Keys vont avoir du mal à renouveler un tel coup de grâce. Néanmoins, l'avant-dernier, « Magic Potion », est excellent.
Le duo a décidé de jouer très fort, et l’on sent la musique versée vers le heavy-blues zeppelinien. Il s’agit de leur disque le plus hard, le plus violent. Du percutant « Your Touch » en passant par le venin de « Just A Little Heat », jusqu’à l’enrochement de riffs granitiques de « Black Door », ce disque est une série de claques sidérurgiques.
On peut regretter la petite étincelle qui pourrait transformer certains morceaux en titres purement magiques, comme sur « Thickfreakness », mais force est de constater que malgré cela, « Magic Potion » est un album que beaucoup de groupes aimeraient sortir. Mais surtout, il ouvre à nouveau la porte à un blues hérité des années 60, fusion du blues noir des années 50 et du rock des années 60-70. Ce formidable alliage, loin des clivages et des querelles de spécialistes offre un grand souffle d’espoir dans une musique que l’on croyait perdu, alors que justement, l’homme n’a jamais eu autant le blues que ces derniers temps.



tous droits réservés

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut,
Formidable, je découvre et je savoure en même temps !
Merci,
Jean-Michel

rebeltrain a dit…

je vais de ce pas mwa aussi me pencher de plus pres sur ce groupe !!! son nom me disait quelque chose mais !!!a+

Olivier a dit…

Tiens, pas vraiment dans le même genre, plus hendrixien : Radio Moscow, ça déménage ce truc!
Et je sais pas si tu as déjà écouté Black Rebel Motorcycle Club, mais ces mecs ont tout des grands! C'est mon groupe actuel préféré. Ecoute leur album "Howl", petit bijou de folk/blues/country moderne. Ils ont aussi fait d'autres trucs plus dans une veine Shoegaze, mais avec pas mal de relents blues dans ce qu'il a de plus sombre!

Malvers Aurélien a dit…

Je ne sais pas si vous connaissez le Blues de Junior Kimbrough...? Une espèce de Blues assez moderne et surtout sale lourd et hypnotique c'est complètement fabuleux! D'ailleurs c'est une des principales influences des black keys... Tout ça pour dire que mon album favori des Black keys, c'est le "Chulahoma" aux riffs vénéneux et à la jaquette magnifique... Et je trouve que l'hommage qu'ils lui rendent est vraiment abouti(C'est pas un vil plagiat accélérer, ils ont le blues et ça se sent) Enfin pour moi ils y sont aussi bons que sur le "thickfreakness" et meilleurs que sur le "magic potion" ce n'est qu'une opinion viscérale...mais qu'en pensez-vous?

Julien Deléglise a dit…

J'ai effectivement ce disque de reprises, qui est par ailleurs très, bon comme tout ce qu'à sorti The Black Keys jusqu'à "Magic Potion". Junior Kimbrough a été très apprécié par de très nombreux musiciens, il existe notamment un disque de reprises datant de 2005 sur lequel on retrouve notamment les Stooges.