samedi 21 février 2015

DESTRUCTION 1985

"Destruction est un trio infernal couvert de cartouchières, de cuir et de cheveux, qui va pousser le Thrash-Metal américain au second rang en terme de violence sonore."

DESTRUCTION : « Infernal Overkill » 1985

En 1980, Led Zeppelin effectue une ultime et laborieuse tournée européenne. Le groupe n'est que l'ombre de lui-même. Ravagé par l'héroïne, l'alcool, et les drames personnels, le mythique quatuor des années 70 peine à reproduire la magie de sa musique. Le batteur ne suit plus le tempo, le chanteur ne peut plus monter dans les aigus, le guitariste a les doigts engourdis par les substances et aligne pain sur pain. Quant au bassiste, il a eu l'excellente idée de se mettre à jouer d'une ultra-moderne basse huit-cordes dont le son en concert ressemble davantage à celui d'une corde à linge qu'à une puissante machine à rythme.
De manière générale, la heavy-music se résume à la fin des années 70 à d'anciens briscards s'adaptant au son mélodique et commercial du moment, comme Kiss ou Blue Oyster Cult, et à des nouveaux carrément dans le bain consensuel comme Journey ou Foreigner. En Europe, le hard-rock garde un cachet chromé, grâce à Scorpions, Thin Lizzy ou UFO.
La New Wave Of British Heavy-Metal réussit le pari de prendre la suite du Punk moribond en gardant à l'énergie tout en l'incorporant à des influences anglaises typiques comme le Rock Progressif ou le hard-rock blues. Iron Maiden, Saxon, Raven, Diamond Head, ou Savage viennent s'ajouter aux pionniers que sont Motorhead, Budgie, Judas Priest ou Witchfynde. Leur influence sur le hard-metal mondial sera énorme. Mais un groupe va tout réellement déclencher : Venom. L'histoire va s'accélérer.
A la furie et la puissance de Judas Priest et Motorhead va s'ajouter la brutalité de Venom. Ce sera la surenchère : thrash-metal, speed-metal, black-metal, speed-metal, tout viendra de ce rustre mais séminal trio anglais. On ne peut d'ailleurs pas comprendre le heavy-metal des années 80 sans comprendre leur musique. Il y aura bien sûr des échappatoires, comme le Glam-Metal ou Sleaze-Metal américain avec Motley Crue, Ratt, Poison, ou Dokken. Il y aura aussi les nouveaux Aerosmith des années 80-90 : Guns'n'Roses.. Le Sleaze était une avant tout de l'entertainment. On parle de filles, de bagnoles et de bon temps. D'un vulgaire assumé, tous jouèrent plus ou moins sur l'ambiguité sexuelle héritée du glam-rock des années 70, et en particulier David Bowie. Même si cela cachait une virilité outrancière sous des tonnes de maquillage provocateur inspirée The Sweet.
Mais tout cela ne plaisait guère à tout le public fan de vraie heavy-music agressive et teigneuse. Le métalleux est un guerrier, il s'habille de noir, de jeans, de cartouchières, de blousons de cuir et de bracelets de force cloutés. Finie la déconne. La douce rêverie des années 70 est terminée : les espoirs de vie plus belle se sont envolée, place au pragmatisme économique et à la froideur clinique des années 80. Thatcher, Reagan et compagnie. Si pour le heavy-metal s'ouvre une période riche, il n'en va pas de même pour le Rock de manière générale. S'ouvre l'ère des synthétiseurs et du funk synthétique hérité du disco. La production se charge d'écho, la qualité des compositions disparaît sous des montagnes d'effets sonores boursouflés. Bob Dylan, Queen, Eric Clapton, David Bowie, Rod Stewart, les Rolling Stones, Paul MacCartney ne sont que l'ombre d'eux-mêmes.
1980 est une cassure nette dans les discographie, passant de l'intéressant à l'inécoutable en quelques mois, par le seul biais de la découverte des synthétiseurs. C'est un cauchemar éveillé, d'où ne surnagent que quelques artistes que l'on aurait jugé moyen dix années auparavant. Prince ou Michael Jackson pouvait-il passer la comparaison avec James Brown, Funkadelic ou Marvin Gaye ? Mais l'on s'habitua à la médiocrité. Même les grands de la Soul comme Stevie Wonder avait sombrer dans la bouse la plus inconsistante. Tout cela était bien conciliant, et même la ménagère anglaise dansait désormais un slow sur du Stevie Wonder avec « I Just Called To Say I Love You ».
Le Thrash-Metal fit son apparition grâce à l'alliage furieux de deux groupes majeurs : Venom et Mercyful Fate. L'Amérique fut le pionnier sur la Bay Area, avec Slayer, Metallica, Anthrax, Exodus et Metal Church. Mais les racines du mouvement étant indiscutablement européennes, le Vieux Continent poursuivi sa propre évolution à base de Punk, de Heavy-Metal, et de références littéraires sataniques et guerrières.
L'Allemagne offrit quelques très bonnes formations, comme Scorpions ou Amon Duul II. Dans les années 80, elle se retrouva au milieu d'un tourbillon musical et politique d'une intensité rare. Musicalement, elle se situait sur le circuit des tournées des groupes les plus en pointe en matière de violence sonore : Venom, Mercyful Fate, Mayhem, Hellhammer, Raven, et les formations américaines qui en faisaient la première partie, en particulier Slayer et Metallica. Hasard de la route sans doute, oreille prédisposée aussi sans doute. Car la vie en Allemagne est complexe, coupée en deux par le Rideau de Fer qui se fissure de toutes parts. Le régime soviétique n'arrive plus à survivre, la population meurt de faim, et Moscou répond en durcissant le ton politique en soutenant moult dictateurs : Ceaucescu en Roumanie ou Jaruzelski en Pologne. Ce dernier est malmené par les syndicats, dont Solidarnosc avec Lech Walesa.
La répression est terrible, comme elle le sera en Tchécoslovaquie durant le Printemps de Prague. Malgré la Pérestroïka de Gorbatchev en URSS, il faudra attendre 1991 pour qu'enfin le Bloc de l'Est tombe. L'Allemagne connaît à l'Ouest une vie occidentale sous la menace des bombes soviétiques, pendant qu'à l'Est elle subit l'austérité grise de l'ère soviétique mourante. Les tensions entre les deux blocs sont attisés par un Reagan pas vraiment diplomate et ancien cow-boy de westerns cheaps. Le peuple allemand est donc là au milieu, et trouve donc dans le Heavy-Metal un échappatoire à ce bourbier.
Le pays voit fort logiquement se développer en son sein une scène Thrash-Metal particulièrement active portée par quatre groupes majeurs : Kreator, Sodom, Tankard et Destruction. Ces derniers furent fondés en 1982 par Marcel « Schmier » Schirmer à la basse et au chant, Mike Sifringer à la guitare et Tommy Sandmann à la batterie sous le nom de Knight Of Demon. Les influences furent ce qui se faisaient de plus brutal en matière de heavy-metal, à savoir Motorhead, Venom, Iron Maiden et Mercyful Fate. Ils se renommèrent Destruction en 1984 et publièrent une bonne vieille démo sur cassette sobrement intitulée « Bestial Invasion Of Hell » pour démarcher les labels. Le futur géant du métal Steamhammer les signa, et un premier EP tout aussi sobrement intitulé « Sentence Of Death » vit le jour la même année. « Infernal Overkill » est le premier vrai album du groupe, paru l'année suivante en 1985.
Depuis deux années, le Thrash-Metal a parcouru du chemin : Slayer a fait paraître « Show No Mercy », Anthrax, « Spreading The Disease », et Metallica, « Ride The Lightning ». Les groupes américains commencent même à loucher vers un heavy-metal plus conventionnel. Seul Slayer va poursuivre sa quête brutale avec « Reign In Blood » en 1986, fortement influencé par le Thrash-Metal teuton, bien plus agressif.
« Infernal Overkill » est un concentré d'adrénaline. C'est un album sans concession, d'une violence inouïe. Il est aussi ce que Venom aurait pu devenir si le groupe ne s'était pas disloqué musicalement à partir de 1985. Et que ses trois musiciens avaient aussi été plus compétents techniquement, avouons-le. Car Destruction fait preuve d'un niveau musical de haut vol pour un heavy-metal d'inspiration punk. On est encore à des années-lumières du thrash dit technique, soliloque à venir au moins aussi chiant qu'un mauvais concept-album d'Emerson, Lake And Palmer.
Si la cavalcade héroïque fut déjà une voie de composition sur laquelle s'engagèrent plusieurs géants du genre métal, de Judas Priest à Budgie en passant par Led Zeppelin et même Venom, jamais elle n'aura atteint ce degré de possession. La plupart du temps, on s'identifie à une folle course à pied, à cheval ou en Chevy Big Block à travers pêle-mêle la lande écossaise, le désert d'Arizona, ou le bush australien. Venom avait amené la chose sur les terres des Enfers, la lutte des anges démoniaques. « Infernal Overkill » est une cavalcade permanente, une course effrénée contre la Mort et le Diable.
Ces démons de tous les jours, sous les formes les plus hirsutes, qui nous entravent et nous agressent constamment, jour après jour. Comme pour conjurer le sort. Mais aussi pour dompter ces monstres du fond des Ages ou de l'ère atomique, menace permanente de l'arme de guerre entre les deux Blocs. Ces victimes hideuses et désincarnées du monde que par la force dynamique de la musique on tente de retourner contre les bourreaux, les hommes politiques, les militaires. Le Heavy-Metal devient la toute puissance dominant les Forces du Mal, et ses musiciens en sont les Cavaliers de l'Apocalypse faisant la Justice par la violence sans pitié, la terreur et la cruauté contre ceux qui terrorisent et traumatisent le monde, réveillant les créatures d'en Bas de HP Lovecraft.
Destruction est un trio infernal couvert de cartouchières, de cuir et de cheveux, qui va pousser le Thrash-Metal américain au second rang en terme de violence sonore. Le son coupant de la guitare de Sifringer est poussé par une batterie fulgurante, gorgée de double-grosse caisse et de roulements de toms brutaux. La basse claque sur ce rugissement grésillant d'électricité. Schmirer chante comme un démon furieux, entre la gouaille rauque de Cronos, et un ton plus nasillard, plus vicieux encore.
Les huit morceaux que composent ce disque sont tous sur un tempo d'enfer, tous redoutables d'efficacité, sans la moinde once de concession musical. Ils sentent le soufre, le danger. « Invisible Force », « Tormentor », ou « Death Trap » sont de brutaux hymnes à la violence pure, à la décharge de haine furieuse. Seuls « The Ritual » et « Antichrist » ralentissent un brin le rythme, mais alors très légèrement, juste le temps d'enfoncer à grands coups de grosses caisses un long clou rouillé dans la tête d'un prêtre. Mais reprendre sa respiration n'est pas permis dans ce galop sauvage.
 Je n'ai jamais rien trouvé d'aussi extatique, d'aussi trépidant. On y trouve tout le maléfice véhiculé par le Heavy-Metal européen de l'époque, et en même temps cette descente aux enfers vers une musique sans concession qui s'adresse à un public averti. Le Rock des stades n'a plus rien à voir avec tout cela, la vraie musique rebelle se trame là, invoquant le Diable comme le fit le Blues dans les années 30.
tous droits réservés  

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut,

Merci pour cet article très intéressant, comme d'habitude.

En revanche, on parle de thrash metal (et non de "trash" metal).

Et Anthrax n'appartient pas à la scène de la Bay Area puisqu'originaire de New York.
Le cas de Metal Church est plus litigieux : originaires de la banlieue de Seattle, ils ont effectivement fait un tour en Californie avant de retourner dans leurs terres d'origine pour se lancer.

Encore merci et à bientôt !
Oyax

Julien Deléglise a dit…

Le h est une erreur de ma part. Pour Metal Church et Anthrax, ils ne sont effectivement pas de San Francisco, mais à l'instar de beaucoup de groupes américains de la fin des années 60, beaucoup sont allés chercher fortune là où tout se passait à l'époque.
La scène métal des années 80 me fascine en ce moment, tu devrais être satisfait.

Anonyme a dit…

Je le suis et j'attends la suite ! ;-)

Oyax