"On entend les déclics des médiators
sur les cordes des guitares sursaturées."
MOUNTAIN : « Avalanche »
1974
Le principal intérêt quand on écoute
de la musique sans se fier à rien d’autre qu’à son instinct,
c’est que l’on a de belles surprises. A de nombreuses reprises,
de grands groupes m’ont éblouis tant par leurs disques les plus
fameux que par des pépites oubliées de leurs discographies.
J’ai toujours été attiré par les
merveilleuses pochettes d’albums des années 70, chatoyantes de
couleurs et de motifs totalement improbables pour les musiques
proposées. Ainsi, les discographies illustrées restent pour moi un
grand plaisir visuel, et il m’arrive de m’arrêter de manière
totalement compulsive sur un album, rien que par sa pochette. J’ai
ainsi pu poser l’oreille sur des disques totalement méconnus et
d’une qualité rare. Et ce alors que parfois les groupes n’étaient
ni dans l’air du temps, ni au mieux de leur forme créatrice et/ou
commerciale.
Mountain est la quintessence de ce que
j’ai toujours recherché dans le Rock des années 70 dans mes
jeunes années : des illustrations magnifiques magnifiant un
Hard-Blues ultra puissant de poésie surréaliste. Ma découverte des
grands noms du Heavy-Rock des années 70 me poussa à chercher plus lourd, plus
agressif, plus puissant, mais aussi plus élitiste. Je me passionnai
pour tous ces groupes, cherchant celui qui serait encore meilleur que
la quintessence d’un Led Zeppelin ou un Black Sabbath. Le Graal
absolu en somme.
Il me fallut un certain temps pour assimiler
l’écoute de « Climbing » de Mountain. Leur premier
album, devenu une référence du genre, me cueillit un peu. Il y
avait en effet un clavier, et en termes de violence sonore, seul Deep
Purple était capable de dompter un orgue Hammond pour en faire le
bombardier allié de la guitare, en l’occurrence celle de Ritchie
Blackmore. Mais là, ce clavier me gênait aux entournures. La voix
puissante et rauque de West, ainsi que sa guitare sursaturée ne
pouvaient en côtoyer un. A la recherche de la bombe sonique absolue,
il était impensable que ce... cet instrument de ….enfin.... ce
n’était pas digne de virilité, voilà ! Je finirai par
apprécier pleinement toute la discographie de Mountain, y compris
l’apport discret mais indispensable de son organiste, Steve Knight.
Mes explorations discographiques
s’arrêtèrent un jour sur la pochette de cet album. Je fus
subjugué : d’abord ces oiseaux luxuriants aux plumes de feu,
et ce halo tout aussi incendiaire entourant la silhouette
montagneuse. J’y retrouvai ce qui me fascinait graphiquement depuis
que j’étais enfant : Brueghel l’Ancien et Jérôme Bosch,
la peinture flamande du 16ème siècle, Arcimboldo l’italien.
Ensuite il y avait ces photos de scène
du groupe, rougeoyantes comme le fer dans le brasier du forgeron. La
batterie double grosse caisse de Corky Laing, la Gibson Flying V de
Leslie West. Il se dégageait de tout cela une puissance
indescriptible, comme si ce disque allait faire exploser les
enceintes.
Enfin, un dernier détail me convint
définitivement : il n’y avait plus de claviers, mais un
second guitariste, un certain David Perry, en lieu et place de
l’inamovible Steve Knight.
Et la première écoute me cloua sur
place. Ce qui frappa mes oreilles, c’est la puissance effective de
la musique enregistrée. Là où les premiers disques de Mountain
étaient encore très ancrés dans un Blues électrique typique de la
fin des années 60, « Avalanche » est totalement un
disque de Heavy-Blues parmi les plus modernes du milieu des années
70. Il est même parfaitement en pointe, aux côtés du premier album
de Montrose ou du « Physical Graffiti » de Led Zeppelin.
Cette production est l’oeuvre du bassiste Felix Pappalardi.
L’homme, qui officia derrière la console pour rien de moins que
Cream, offrit aussi son savoir-faire à de rares occasions pour
d’autres formations, et notamment Bedlam, le fantastique groupe de
Cozy Powell en 1973.
Sur « Avalanche », tous
les instruments sont totalement mis en valeur, parfaitement
distincts, et totalement poussés dans leurs retranchements
respectifs. La batterie claque magnifiquement, la basse vrombit, la
guitare rythmique tranche, totalement sursaturée, et les chorus
scintillent comme des étoiles dans le maelstrom de violence contenue
de la musique.
Car tous les paramètres qui ont fait
le brio de la musique de Mountain sont à nouveau réunis. Il fut
souvent reproché au groupe de ne pas être plus inventif, plus
aventureux. Ils n’étaient pas un groupe de Rock Progressif, mais
un monstre de Heavy-Blues mélodique. On retrouve donc du Blues et du
Rock’N’Roll des pionniers des années 50, du hard-blues en droite
lignée des premiers cités , et un blues-rock plus lyrique
davantage issu du cerveau fertile de Felix Pappalardi.
L’écoute de cet album me procure
toujours vingt ans après les mêmes sensations d’extase totale, comme
une sorte de félicité jouissive. Dès la reprise de « Whole
Lotta Shakin’ Goin’ On » de Jerry Lee Lewis, on est emporté
par une tornade électrique totale. On entend les déclics des
médiators sur les cordes des guitares sursaturées, comme si West et
Perry domptaient une vague sonique. Il semble qu’on la voit surgir
de leurs guitares dans un tourbillon de couleurs psychédéliques
lorsque les deux hommes lèvent leurs mains vers le ciel pour laisser
jaillir le son. Mountain dote ce morceau d’une emphase fantastique,
notamment sur sa partie finale sur laquelle Leslie West chorusse à
l’envi.
« Sister Justice » est un
méchant hard-blues chanté par Pappalardi. Le refrain mélodique et
mélancolique, soutenu d’une ligne de mellotron, est d’une beauté
parfaite. Bien que West et Pappalardi aient des voix bien distinctes,
les deux hommes chantent sur la même tonalité. Le premier sur un
registre plus rauque, le second de manière plus délicate, plus
maîtrisée. Ce qui est amusant, c’est que j’ai un temps cru
qu’il s’agissait du même chanteur, mais adaptant sa voix au
climat du morceau.
Après deux superbes morceaux de
hard-blues parfaits, Mountain se pose et joue acoustique. Les
tentatives dans ce domaine sont rares, et font plus office
d’intermède sur les disques afin de créer une pause à l’auditeur
qu’un véritable morceau. On retrouve cette approche chez Black
Sabbath. « Alisan » n’y coupe pas, mais cet
instrumental est réellement superbe, et prouve combien Leslie West
est un guitariste fin.
« Swamp Boy » est une
composition de Pappalardi qui m’a toujours fasciné. Alors peu au
fait de la mythologie du Deep South et de l’histoire du Blues, je
trouvai ce morceau particulièrement caractéristique du Bayou. Mes
recherches musicales me prouveront le contraire, mais ma fascination
de ce court morceau est restée. Je continue d’y voir à son écoute
les marais du Sud des Etats-Unis, les racines dans la boue, les
cyprès, les eucalyptus.
Quant à la magie du Blues, elle est
bien plus prégnante sur la reprise de « Satisfaction »
des Stones. Ralentie, malaxée à grands coups de roulements de
caisses, le morceau est propulsé dans la stratosphère à coups de
slide sur le manche. Le jeu de bottleneck de West est lui aussi tout
un poème, tant celui-ci est reconnaissable entre tous, et
parfaitement authentique et virtuose à bien des égards. On y
distingue l’influence de Duane Allman dans la précision et le
lyrisme. « Satisfaction » devient ici totalement entêtant
comme un leitmotiv. Exactement comme la version originale finalement,
mais Mountain lui a injecté la testostérone qui lui manquait, ainsi
que la disproportion emphatique liée au genre Heavy.
« Thumbsucker » est un
retour au Heavy-Blues plus classique, chanté par Pappalardi. Le riff
est tonitruant, comme celui de « Sister Justice ». Ici,
pas de refrain mélodique, juste du rock bien macho, mais toujours
avec son arpège saturé qui brille comme le soleil d’Espagne.
Leslie West enchaîne avec « You Better Believe It », un Hard-Blues brutal que Mountain joue déjà depuis de nombreux mois en
concerts. On y retrouve toute la dynamique inhérente à ce disque,
qui s’éloigne effectivement de la lourdeur Blues presque Doom
initiale que l’on retrouvait aussi chez Humble Pie ou Cactus.
Mountain se montre ici plus agressif, plus mordant.
Une nouvelle bouffée d’air vient
s’intercaler entre deux vagues de Rock brut. « I Love To See
You Fly » est, fait rare, une composition commune de West et
Pappalardi. Véritable titre acoustique, il dévoile une nouvelle
facette du talent de Mountain : celle de délivrer une chanson
acoustique d’une grande sensibilité, ayant la poésie mélodique
de son bassiste, et le parfum délicat du Blues de son guitariste.
« Back Where I Belong » revient au Hard-Blues gorgé de
bottleneck. Status Quo n’aurait pas renié cette rythmique boogie.
West fait jaillir des étincelles d’électricité miraculeuse de sa
slide. Corky Laing s’emballe sur ses cymbales, emporté par la
fougue.
« Last Of The Sunshine Days »
est un Blues au parfum Jazz New Orleans. Chaleureux, joyeux, il est
comme la main d’un bon copain sur l’épaule. On rit de bon cœur
de ses emmerdes dans le soleil couchant, un verre à la main. La
caravane chatoyante s’en va vers l’horizon, les instruments en
bandoulière, en direction de ce monde merveilleux où seul l’amour
et la musique comptent.
Ce n’est pas vraiment cette
direction que prit Mountain, puisque le groupe se sépara fin 1974,
et que Pappalardi sombra dans l’héroïne avant d’être abattu
par sa compagne Gail Collins, l’auteur de tous les visuels de
Mountain, en 1983. Il reste que la magie de l’univers de Mountain
reste intact, et que ce disque a pour moi la saveur des longues
heures de route à travers la France et l’Espagne, le cœur parfois
lourd de soucis et de doutes qui s’envolent peu à peu lorsque
s’égrène les chansons de ce bel album cher à mon cœur.
tous droits réservés
3 commentaires:
Voilà ! (ouf, j'ai eu peur... il revient dans l'droit chemin. - joke -)
MOUNTAIN ! Voilà, ça c'est d'l'musique. Certes, ce n'est pas du niveau d'un Humble Pie (pas totalement le même genre non plus) mais n'empêche ; tous leurs disques valent le détour (même le discutable "Go for your life").
Voilà qui réchauffe mon cœur. Un groupe dont on ne parle pas assez (à mon sens). Si West avait eu le look un peu plus avenant et charmeur, Mountain aurait eu une autre carrière (qui n'était pas si mal de 69 à 74), et serait encore mentionné fièrement comme une référence.
Crénom ! J'adore ce groupe.
Totalement d'accord au sujet des pochettes (mais j'écoutais avant achat.. because pas d'tune). D'où la découverte du premier Maiden par exemple ; alors que les 80's allaient battre des records de mauvais goût et de "foutage-de gueule" en la matière.
Aujourd'hui, c'est la scène Stoner et "Revival Classic-rock 70's / Heavy-psyché-blues-rock" (un truc de ce genre) qui a la délicatesse de faire un effort sur le choix de son artwork.
Le Stoner a effectivement pris le relais dans cette dimension d'art total qu'est la Contre Culture : musique Rock, peintures, bd... tout était lié, et formait un tout créatif et riche. Le Stoner offre de superbes affiches de concerts, des pochettes créatives, et une musique qui n'a pas hont de son passé Blues et psyché.
Question affiches d'ailleurs, l'ensemble des groupes alternatifs mainstream s'y mettent aux USA, des Artic Monkeys aux Black Keys.
Enregistrer un commentaire