vendredi 29 avril 2011

MC5 AT THE BEAT CLUB

"Il est la quintessence du Rock incendiaire, le napalm sonore qu’il fallait en 1972, et encore plus en 2011. "
MC5 : « Live At The Beat Club » Live 1972

La pluie vient à peine de cesser sur Brest. Brève accalmie en cette journée pluvieuse qui succède aux dix précédentes, toutes plus grises et humides les unes que les autres. L’air marin est plutôt doux, et tempère la profonde sensation de fin du monde de ces derniers jours.
La ville est connue pour sa rade, mais aussi pour ses bars étudiants pleins de joie de vivre et de jolies filles. Je me souviens il y a quelques années, durant mes vingt ans, d’une jolie brune aux grands yeux bleus. Elle avait un charme fou, et un rire d’une spontanéité et d’une douceur égale à ses grands bonbons roses de fête foraine. Nous n’étions du même univers, nous n’écoutions pas les musiques, n’avions pas la même approche de la vie, et pourtant, je me souviens d’une soirée passée à ses côtés à refaire le monde parlant encore et encore, un verre à la main, entrecoupée de rires et de longs regards profonds qui mettaient en feu mon cœur. Nous nous séparâmes sur un doux baiser à la fois prude et qui en disait long sur le feu qui nous dévoraient. Depuis, Elisabeth ne quitta jamais vraiment mon coeur, et chaque fois que je vais à Brest, c’est avec l’espoir un peu fou de la retrouver au coin d’une rue ou au détour d’un verre, dans un de ces bars.
Et puis la dernière fois que j’y suis retourné il y a quelques mois, je me sentis totalement désemparé. Outre les dix années qui me séparaient de mon précédent périple, je n’y trouvai qu’une inhumanité consternante. Toutes et tous étaient absorbées par leur portables, leurs i-phones et autres gadgets électroniques. Les conversations étaient d’une nullité sans fond, toujours vissées dans l’utilisation et les applications des dits gadgets. Enfin, la musique, certes déjà pas terrible il y a dix ans, se résuma à du Ar’N’Bi type Rihanna, de la pop branchée Muse, Coldplay, ou U2, et de la soupe comme Katy Perry (qui me fait par ailleurs fortement penser physiquement à Elisabeth) ou Lady Gaga.
Je repartis désespéré. J’étais dévasté. J’avais espéré entendre auprès de ces kids une envie de changement, une colère sourde qui gronda dans leurs tripes. Je fis deux autres bars pour le même résultat édifiant. Je me sentis profondément seul. Ces gamins étaient prisonniers de cette technologie de merde, simulacre de liberté d’expression. Pour autant, aucun n’avait envie de mettre le feu, de rejeter les majors du disques, les multinationales, les guerres, le capitalisme, bref, toute la fange libérale qui pourrit nos existences. Le plus terrifiant, c’est que dans cette univers commercial, tout est bon à récupérer, y compris Iggy Pop et ses Stooges, qui deviennent des guignols en jouant à Monaco ou au Hall Of Fame.
C’est en pensant à tout cela que j’ai parfois envie de me réfugier dans un coin d’une pièce en tenant ma tête dans mes mains, à attendre des jours meilleurs. A l’horizon les grues du Port de Brest sont comme de grands squelettes métalliques étendant leurs bras lugubres vers l’horizon gris. Le vent fouette de ses embruns les rues bordés d’immeubles des années 60, sans âme, terrifiants vestiges d’une ville martyr qui regarde toujours au-delà de l’Océan.

Pourtant, il est des musiques qui ravivent le feu sacré. Je ne suis pas un fan maladif du MC5. A vrai dire, les premier album du groupe me laisse de marbre par l’aspect totalement bordélique qu’il déploie malgré la qualité des compositions. « Back In The USA » est un très bon disque au niveau des chansons, mais la production est tellement rachitique, volontaire ou non, qu’elle détruit l’impact de celles-ci. « High Time » de 1971 est le seul vrai album du 5 digne de la légende, les titres alignant hargne scéniques et brio créatif. « Thunder Express », paru bien plus tard, effleura le brio scénique de MC5 de près. Pourtant, aucun bootleg, aucun live officiel, ne sut rendre vraiment justice à la puissance sonique de MC5.
Il n’y a finalement qu’un enregistrement vraiment à la hauteur : le Beat Club. Enregistré en février et mars 1972, le MC5 est considéré comme au bout du rouleau. C’est l’époque du Glam, de Ziggy Stardust, de ELP du Progressif, et du Hard-Rock, celui de Led Zeppelin, The Who ou Deep Purple. Même les vieux brins ne sont pas en reste, comme les Stones, avec le superbe « Exile On Main Street ».
En 1971, le MC5 vient de sortir « High Time ». Comme tous les disques du groupe, c’est un four commercial, comparable à ceux des Stooges, eux-aussi résidents de Detroit. Trop brut, trop Rock’n’Roll, pas assez virtuose.
Pourtant le 5 a atteint en 1971 un niveau d’excellence musicale qu’aucun ne trouvera jamais plus. Et cet enregistrement le prouve. MC5 n’est plus seulement un groupe politiquement hargneux, ni un nostalgique du Rock’N’Roll et du Blues noir des années 50 et 60.
Il est la quintessence du Rock incendiaire, le napalm sonore qu’il fallait en 1972, et encore plus en 2011. A l’heure de Zaz, de Yannick Noah, de Florent Pagny, de Kesha, de Rihanna et des Black Eyed Peas, il est temps de revenir à quelques fondamentaux.
Le Rock est une musique rebelle, violente et sans concession. Mc5 en synthétise tout ici : l’esprit, la rage, la virtuosité, la classe totale, folle. Michael Davis a alors laissé la basse à Steve Moorhouse, musicien plus carré dans son approche de l’instrument, mais pas moins bruyant. Wayne Kramer et Fred « Sonic » Smith se partagent toujours la guitare aux côté de Dennis Thompson à la batterie, et de Rob Tyner au chant.
Tout commence par un « Kick Out The Jams » tabassé sur neuf minutes totalement définitives par sa puissance, sa violence froide, et le brio musical défini ici. MC5 est sûre de sa force, d’une classe incroyable dans ses gestes, et dans sa maîtrise de l’ouragan musical qu’il déclenche. Attention jeunes gens, n’espérez pas de répit. Il y a ici la quintessence de ce que le Rock fut et reste encore dans les esprits en 1972. A vrai dire, cette version est celle, ultime, que le groupe ait jamais enregistré. Mêlant avec un brio indescriptible colère blanche du Rock et puissance rythmique de la Soul noire, MC5 est d’une précision chirurgicale même dans ses improvisations les plus échevelées.
Après la foudre vient « Ramblin’ Rose ». Titre classique issu du premier album, il voit Wayne Kramer jouer les castrats, chantant comme une vieille crécelle. Je me suis toujours demandé si ce titre avait un second degrés, ou si le 5 avait voulu tenter à tout prix de jouer un titre de Rythm’N’Blues, voix féminine comprise. La musique n’est pas en reste, propulsant ce Rythm’N’Blues contre un mur de ciment avec une morgue proche de l’assassinat. Le résultat est bien évidemment superbe, efficace en diable.
Suit « Motor City Is Burning », une chanson de John Lee Hooker. Ce dernier vit alors à Detroit, nous sommes en 1967, et l’homme travaille comme ouvrier dans l’industrie automobile, comme la plupart. Il déploie ensuite son Blues dans les clubs de la ville. Cette chanson relate les émeutes de cette année, réprimée par la police. Mêlant revendications sociales et raciales, elles furent oubliées de l’histoire américaine, et seul Hooker sut en retracer la violence et le sens profond. MC5 en délivre ici une version lourde, cinglante, coupante comme un rasoir. Mid-tempo, le morceau se déploie dans un halo de colère sourde. Kramer et Smith se partagent les soli, alternant désespoir et éclairs de lumières qui ne sont sans doute que ceux des lacrymogènes de la garde civile. On semble voir couler le sang dans les caniveaux au rythme de la batterie de Thompson.
« Tonite » vient raviver l’esprit du Rock’N’Roll des pionniers. Cher au cœur du MC5, qui le ressuscita sur l’album « Back In The USA » en 1970, ce titre a bien évidemment quelque chose de plus que le simple plagiat : la puissance. Elle n’était pourtant pas évidente en version studio, pas assez mordante à mon goût. « Tonite » prend ici tout son jus, poussé dans le rouge par les entrelacements des riffs de guitare qui aboutissent à un nouvel hommage à John Lee Hooker sur le pont central avec une reprise baston de « Boogie Chillen ». Kramer, qui domine particulièrement ici, se fend une fois encore d’un superbe solo, puissant et racé. L’improvisation est reine ici, et c’est un paradis pour l’amateur de foudre électrique.
Et c’est encore cette dernière qui résonne avec le très Rythm’N’Blues « Black To Comm ». Défrichant une certaine forme de speed-metal (mais on ne parle pas encore de ces obscénités sonores à l’époque), Smith et Tyner font parler la poudre. Le morceau s’achève seulement deux minutes trente plus tard, sans développement instrumental. Il s’agit là du format répétition, le fond bleu de la vidéo en atteste. En effet, les répétitions étaient enregistrées sur ce type de fond afin d’incruster des images psychédéliques devant coller avec la musique. Ainsi, la version retransmise de « Kick Out The Jams », différente, a été tronquée à sa diffusion, tout comme le reste, laissant un goût de trop peu chez les téléspectateurs avertis.
Ce concert-répétition de 28 minutes viendra combler ce manque, comme ce fut le cas pour moi. Alors, la douleur de ne jamais revoir Elisabeth s’atténue doucement, pour ne laisser palpiter en moi que le plaisir d’écouter un Rock foudroyant et un état d’esprit aujourd’hui disparu.
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Chouette video effectivement, cette demi-heure au Beat Club. Impressionnante, aussi, parce que quoique complètement cuit - et dans le cas de Kramer, manifestement très chargé - le groupe est très bon, jusque et y compris, comme on le remarque rarement mais comme vous le notez, le bassiste tout juste recruté, qui se faisait surnommer 'Annapurna' on ne sait pas pourquoi, et dont nul ne semble savoir d'où il sortait et ce qu'il est devenu. Une petite précision, le 'Black to comme' final est abrégé parce que les deux guitaristes se plantent, enfin surtout Kramer - voyez les mimiques de Tyner et de Thompson. C'en est encore plus émouvant, s'agissant des dernières images un peu près décentes du groupe - quelques semaines plus tard, il y a des images de l'ORTF au chateau d'Hérouville ou au Bataclan, mais c'est du noir et blanc extrêmement pourri, et dans le cas du Bataclan Tyner est parti, Thompson aussi...