
"Et c’est en cela que ELP aurait bien été incapable de produire pareil 33T"
UK : « Danger Money » 1979
En revenant du concert d’AC/DC au Stade de France, je n’avais pas spécialement envie de chroniquer un de leurs albums. Pas que le concert fut mauvais, les pépères se défendant encore bien, surtout vu la misère musicale actuelle. Alors que le cliché Rock est galvaudé à tort et à travers, il est parfois bon qu’un de ses valeureux guerriers de l’ancien temps remettent les pendules à l’heure question présence scénique et musique. Bien sûr, on est loin du panache du AC/DC de 1978, évidemment… Néanmoins, quelque chose m’a gêné dans ce concert : le contexte. Le Stade de France est immense, la plupart du public ne voir rien, ou uniquement les écrans géants. Les fans se croient obliger de s’auto-caricaturer en fans de métal poilus et gorgés de bières, et puis tout ce merchandising, cela sent trop le pognon. Il y avait donc un petit goût amer malgré le plaisir de les avoir vu, et surtout entendu.
A moins que ce ne soit le fait que j’aie le moral dans les chaussettes en ce moment, mais j’ai plutôt ressorti ceci. C’est en relisant un vieux magazine, celui de mon mois de naissance, que j’ai découvert une chronique de ce disque. Alors en pleine période post-punk, et en pleine renaissance du heavy-metal, un journaliste osait dire du bien d’un disque de rock progressif. En 1979.
Je connaissais UK, mais comme tous les amateurs, par le premier album. Ce disque, paru en 1978, regroupait en team de rêve Bill Bruford (ex-Yes et King Crimson) à la batterie, John Wetton (ex- Family, Uriah Heep, King Crimson) à la basse et au chant, Allan Holdsworth (ex-Tempest, Soft Machine, Nucleus, Gong) à la guitare, et Eddie Jobson (ex-Roxy Music) aux claviers et au violon. Ce premier album, alliage de rock progressif anglais, de heavy-music, et d’une pop préfigurant la New-Wave laissera notamment pantois un certain Eddie Van Halen. Ce disque, superbe, fut couronné d’un grand succès critique et scénique, mais plus relatif au niveau commercial. Holdsworth et Bruford furent donc mis à la porte par les managers du groupe, et chargèrent Wetton et Jobson de briller commercialement.
On pouvait craindre le pire en ces heures où le Hard-FM trustait les charts grâce à des groupes comme Journey . Pari osé, les deux compères s’y refusèrent. Ils préférèrent plutôt sortir le disque que ELP fut incapable de produire en 1979.Wetton fut plus souvent à disposition de ses groupes plutôt que le contraire. Et Terry Bozzio, jeune prodige assurant la batterie, est plutôt habitué à la discipline musicale puisque sortant du band de Frank Zappa.
Bref, les trois hommes sont des musiciens affûtés mais pas des virtuoses bouffis d’orgueil. Aussi, cet album brille par sa précision d’interprétation, et sa très grande cohésion. Et puis surtout, il y a ces chansons superbes, à la fois techniques et mélodieuses, synthétiques et subtiles.
Et cela démarre avec le brillant « Danger Money », avec son introduction à la fois majestueuse et angoissante. Signe des temps. La musique de UK ne s’apprivoise pas. Il faut se laisser porter, sans vouloir connaître la chanson avant d’en avoir écouter la totalité. L’orgue virevolte, aérien, en nappes, avant que la ligne vocale de Wetton démarre, irrésistible. Cet homme a un vrai talent de compositeur. Il est en effet capable de créer des mélodies limpides à l’aide de lignes instrumentales heurtés et complexes qui permettent aux protagonistes de faire usage de leur brillant talent. C’est en tout cas une chanson que l’on se surprend à chanter en voiture. Les synthétiseurs, qui devinrent le cancer de la musique des années 80, sont utilisés ici avec une grande subtilité, ce qui est bien rare à l’époque de la course au progrès dans la rock-music.
Suit alors « Rendez-Vous 6.02 », une belle mélodie au piano chantée par Wetton. La basse et la batterie se font délicates, renforçant la tension du drame de cet homme qui s’en va. Les claviers montent bientôt en embuscade, avant de retomber sur le refrain aérien, fait de chœurs. Ce qui étonne sur ce disque, et c’est en cela que ELP aurait bien été incapable de produire pareil 33T, c’est la simplicité de l’approche, le dépouillement des arrangements malgré la complexité de la musique.
Le rythme s’accélère à nouveau avec « The Only Thing She Needs ». C’est un morceau pop, entraînant et gracieux, le plus accessible de tous. Mais la batterie de Terry Bozzio, redoutable, intelligente, perturbe la limpidité du refrain pour le ramener dans la logique d’un King Crimson, celui qui naîtra aux débuts des années 80. Preuve, s’il en est, que John Wetton est bien l’un des piliers du son Roi Cramoisi des années 70.
Le disque se termine sur un grand sommet, « Carrying No Cross », longue pièce sombre de plus de 12 minutes qui dévoile tout ce que le Rock Progressif aurait pu encore offrir si il avait su éviter l’écueil des pompes arrogantes d’un ELP ou d’un Yes en fin de carrière. Quoique, l’on retrouvera de cette dynamique pop et sauvage sur « Drama » des derniers nommés, en 1980, mais pas avec la même finesse mélodique.
Mal compris, ce disque est avant tout le son d’une musique très produite, sophistiquée, mais aussi angoissante par ces voix aériennes et ces mélodies à la fois lumineuses et sombrement adultes. Il est évident qu’il n’y a dans ce disque rien de particulièrement enthousiasmant pour les kids en mal de défouloir auditif. Et c’est sans doute ce qui fit son échec (relatif) à l’époque.
Pourtant, sa découverte fut pour moi un surprise. Comment pouvais-je aimer un tel disque, sans guitare, surproduit, si férocement proche d’un ELP. Pourtant, il y a cette approche férocement mélodieuse, cette dynamique, et puis la voix de John Wetton qui fait de cet album un compagnon attachant lorsque l’on se sent mal. Il est délivre de ces atmosphères cotonneuses, froides et tristes, celles de ces horizons urbains qui nous pourrissent l’existence, mais qui ne sont que notre quotidien. Cette musique est un miroir fatal, sans concession de nos quotidiens désincarnés. Nous vivons parfois (souvent) des journées plates, sans relief, où ne rayonnent que de grandes autoroutes encombrés et de vastes zones commerciales où l’on a l’impression d’avoir plus fait un sacrifice qu’un réel geste de vie. Il fait froid et je relève mon col. C’est encore une journée jouée d’avance, et j’ai l’impression que c’est celle de trop. Alors viens en tête « Danger Money »….
En revenant du concert d’AC/DC au Stade de France, je n’avais pas spécialement envie de chroniquer un de leurs albums. Pas que le concert fut mauvais, les pépères se défendant encore bien, surtout vu la misère musicale actuelle. Alors que le cliché Rock est galvaudé à tort et à travers, il est parfois bon qu’un de ses valeureux guerriers de l’ancien temps remettent les pendules à l’heure question présence scénique et musique. Bien sûr, on est loin du panache du AC/DC de 1978, évidemment… Néanmoins, quelque chose m’a gêné dans ce concert : le contexte. Le Stade de France est immense, la plupart du public ne voir rien, ou uniquement les écrans géants. Les fans se croient obliger de s’auto-caricaturer en fans de métal poilus et gorgés de bières, et puis tout ce merchandising, cela sent trop le pognon. Il y avait donc un petit goût amer malgré le plaisir de les avoir vu, et surtout entendu.




Et cela démarre avec le brillant « Danger Money », avec son introduction à la fois majestueuse et angoissante. Signe des temps. La musique de UK ne s’apprivoise pas. Il faut se laisser porter, sans vouloir connaître la chanson avant d’en avoir écouter la totalité. L’orgue virevolte, aérien, en nappes, avant que la ligne vocale de Wetton démarre, irrésistible. Cet homme a un vrai talent de compositeur. Il est en effet capable de créer des mélodies limpides à l’aide de lignes instrumentales heurtés et complexes qui permettent aux protagonistes de faire usage de leur brillant talent. C’est en tout cas une chanson que l’on se surprend à chanter en voiture. Les synthétiseurs, qui devinrent le cancer de la musique des années 80, sont utilisés ici avec une grande subtilité, ce qui est bien rare à l’époque de la course au progrès dans la rock-music.


Le disque se termine sur un grand sommet, « Carrying No Cross », longue pièce sombre de plus de 12 minutes qui dévoile tout ce que le Rock Progressif aurait pu encore offrir si il avait su éviter l’écueil des pompes arrogantes d’un ELP ou d’un Yes en fin de carrière. Quoique, l’on retrouvera de cette dynamique pop et sauvage sur « Drama » des derniers nommés, en 1980, mais pas avec la même finesse mélodique.

Pourtant, sa découverte fut pour moi un surprise. Comment pouvais-je aimer un tel disque, sans guitare, surproduit, si férocement proche d’un ELP. Pourtant, il y a cette approche férocement mélodieuse, cette dynamique, et puis la voix de John Wetton qui fait de cet album un compagnon attachant lorsque l’on se sent mal. Il est délivre de ces atmosphères cotonneuses, froides et tristes, celles de ces horizons urbains qui nous pourrissent l’existence, mais qui ne sont que notre quotidien. Cette musique est un miroir fatal, sans concession de nos quotidiens désincarnés. Nous vivons parfois (souvent) des journées plates, sans relief, où ne rayonnent que de grandes autoroutes encombrés et de vastes zones commerciales où l’on a l’impression d’avoir plus fait un sacrifice qu’un réel geste de vie. Il fait froid et je relève mon col. C’est encore une journée jouée d’avance, et j’ai l’impression que c’est celle de trop. Alors viens en tête « Danger Money »….
