"L’homme ne semble donc plus le bien venu en ce bas-monde, et c’est au bord de la rupture qu’il délivre ce disque miraculeux."

Les nuages de ce mois de janvier forme une chape uniformément grise, d’un gris foncé transpercée de petites tâches à peine plus blanchâtres. Les branches des arbres décharnés par l’hiver forment comme de frêles bras de bois vers le ciel, comme pétrifiés par le froid.
Le vent souffle et crée un léger bruit de fond constitué de petits craquements de branches et de feulements d’herbes sèches.
Je marche dans ce petit village endormi, d’un pas incertain et badaud. A travers les fenêtres des vieilles maisons de pierres on aperçoit quelques faisceaux de lumière jaune. Dans l’air flotte une odeur de feu de cheminée qui s’échappe des toits. Le village semble endormi, et les marcheurs comme moi sont rares. Il semblerait même que je sois seul.
J’aime ces promenades dans la campagne endormie. Il s’en dégage à la fois une grande mélancolie et une sorte de quiétude propice aux divagations intellectuelles les plus vastes.
En fond sonore je verrai bien…Du Folk ? Pourquoi pas. Mais pas celui du moment, pas celui que l’on galvaude à tout bout de champ. Brigitte ? Du folk. She & Him ? Du folk. The Decemberists ? Du folk. Bref tout est un peu folk, et puis aussi electro, et des fois pop aussi. Ce qui donne du folk-electro-pop. Bref, la plupart du temps, de la soupe, un fourre-tout sans âme. Pour être vraiment exact, cela regroupe tout ceux qui font leur album à la maison avec « quelques machines et instruments ». Ou encore le low-fi, si vous préférez. Enfin on s’en fout.
Mais me direz-vous, voilà encore une preuve de mon hermétisme à toute nouveauté ? Un peu, c’est vrai, mais aussi et surtout parce que dans tout cela, il n’y a rien de bien prodigieux.

Et pour ce qui est du disque de référence, « One World », si ils savaient. Si ils savaient que ce n’est pas avec des bouts de ficelle que l’homme a enregistré sa musique, mais au contraire avec quelques virtuoses et amis.

En 1977, John Martyn est un musicien reconnu artistiquement et commercialement, notamment avec le superbe « Solid Air » en 1973. mais c’est aussi un homme brisé par sa vie personnelle. Homme sensible, perturbé, constamment sur la route, il perd au milieu des années 70 ce qu’il considérait comme la femme de sa vie, Beverly Martyn. La jeune femme demande le divorce et part avec leur petite fille. Effondré, Martyn trouve refuge dans l’alcool et la musique. Elle se fait de plus en plus vaporeuse et ambiante, et constamment contrite d’un désespoir latent caché sous une fausse bonhomie.
Ajoutons qu’à l’heure du Punk, John Martyn et son Folk-Rock fait partie des ours à abattre rapidement. L’homme ne semble donc plus le bien venu en ce bas-monde, et c’est au bord de la rupture qu’il délivre ce disque miraculeux.

Malgré un aspect parfois enjoué, il n’y a ici pratiquement aucune bulle d’air, à part le faux-mambo « Certain Surprise », qui vous permettra d’emballer Madame sur le canapé et de goûter au jardin défendu pour la première fois ou non, d’ailleurs.
Le reste est entre une musique planante et perdue et de sombres incantations en Enfer. Pour la première part, il s’agit de « Dealer », « Smiling Stranger », « Big Muff » ou « Dancing ». Ces morceaux me font penser à un homme perdu dans un monde qu’il ne comprend plus, et qui semble trouver une bien mince consolation en dansant seul avec ses souvenirs passés. Incontestablement, les subtils synthétiseur et moog de Winwood apportent cette mélancolie à la fois rêveuse et désenchantée.

Il y a aussi « Couldn’t Love You More ». Folk-song basé sur un simple riff de guitare acoustique enluminée d’un piano électrique et d’une contrebasse (celle de Thompson, donc), elle déchire l’âme de par sa pureté cruelle. Un constat de désenchantement évident, mais douloureux. Elle est la plus directement liée à la vie personnelle de Martyn, et n’est qu’amour déchu.


