
ROD STEWART : « An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down » 1969
La mer gronde sous le ciel gris aux couleurs de plomb. Les vagues s’écrasent sur la jetée, ensevelissant les gros rochers bruns couvets d’algues moussues. Les petites maisons aux toitures d’ardoise se fondent dans ce ciel de tempête, sombres et rustres.
Les pins et les chênes de colline qui ferme le port se couchent sous les assauts du vent. Ils n’ont aucun mal, ils en ont déjà pris la forme, malmenés tout au long de l’année par ces vents du large qui sentent les embruns salés.
Je jette un dernier regard sur l’horizon. Je ne peux m’empêcher de trouver ce paysage pourtant pluvieux et torturé fantastique. Il y a quelque chose de magique, de mystérieux dans ces pays celtes chargés d’histoire et de légendes. L’Ankou, la mer, les pêcheurs, les druides, les voyages.
Là-bas, il y a l’océan, et ce continent où l’on continue à dire que tout est encore possible. C’est l’Amérique, les USA. Et puis, plus près, c’est la grande sœur, la Grande-Bretagne, Albion la perfide.
J’aime cette terre. Je pourrais m’y promener des jours entiers, la tête dans mes pensées. Mais je me dois de retourner dans la bourgeoise Bourgogne, ces vins, ces châteaux, ses Ducs, et ce quelque chose de magique, de païen, qui n’existe pas ici.
Je me suis parfois demandé quel disque pouvait être le plus fantastique vecteur de rêve celte. Celui qui respire le plus la lande bretonne ou galloise, comme la sueur et la crasse des quais et usines de ces ouvriers, fier moteur de la vie d’un pays. Les chansons, les promenades simples au bord de la mer ou dans la forêt, les pintes de bière avec les copains, les sourires des jolies rouquines qui dansent et réchauffent le cœur de ces hommes bourrus mais tendres.
Je n’ai jamais trouvé la musique celtique représentatives de ces horizons. Ce que l’on daigne bien nous offrir n’est que bastringue de foire à base de bière brune. Les Chieftains, voire les Pogues (avec des pincettes), mais aussi Alan Stivell, ont fait beaucoup pour me faire aimer cette musique. Le Festival Interceltique, et les Corrs beaucoup moins.

Cri, éructation de breton fier, insulte d’Irlandais piqué au vif. Rod Stewart. Vous avez raison, mes amis, de lever le joux. Lui ? Ce pitre disco ? Ce guignol FM peroxydé qui n’eut qu’un seul rôle majeur dans les années 80 : déclencher le Grunge avec une hargne redoublée à la vue de ses clips MTV en costard lamé rose et filles en bikini au bord de la piscine ? Ce ringard ultra-violeté qui se prend pour le nouveau Frank Sinatra en publiant en quelques années pas moins de six recueils de song-books aussi inutiles que dépourvus de la moindre âme.

Rod, chanteur de Blues contraint de se taper toutes les galères, les simples Mods, les groupes sans lendemain qui firent pourtant des étincelles dans les clubs, et puis le miracle : le Jeff Beck Group.


Rod Stewart est à Londres en 1969. Sacrée année. Les Hippies meurent dans leur tombe de dope, achevés par les Satanic Majesties à Altamont en décembre. Les Stooges et MC5 ont foutu le feu à Detroit. Led Zeppelin brûle les terres sauvages de son Ha rd-Blues incandescent.
L’expérience Jeff Beck Group faillit se poursuivre lorsque Beck voulut fonder un super-groupe avec la section rythmique de Vanilla Fudge, soit Tim Bogert à la basse et Carmine Appice à la batterie. Stewart devait être de la partie, mais il ne supportait plus le climat pesant qui régnait avec Beck. Le chanteur avouera ne pas avoir regardé le guitariste dans les yeux en deux ans et demi, de peur de croiser son regard dur et inquisiteur. Pas assez cool, pas assez rigolo. Il préférait de loin la compagnie de son copain Ron Wood, rencontré en 1964 dans un pub, et bassiste du Jeff Beck Group première mouture. Il n’était pas forcément le meilleur musicien du monde, mais au moins, il savait s’amuser.

Lorsque Lou Reizner, le patron de Mercury, propose un contrat d’artiste solo après avoir entendu Rod sur le premier album du Jeff Beck Group, « Truth » en 1968, le blond écossais saisit sa chance. Néanmoins, il devra attendre juillet 1969 pour pouvoir en profiter, la faute à d’autres engagements discographiques exclusifs.
Il engage alors à ses côtés une bande de copains, et pas les moins talentueux. Ron Wood est de la partie, à la guitare et à la basse, bien évidemment. Autre revenant du Jeff Beck Group, Mick Waller, batteur sur le premier album, et percussionniste sous-estimé mais absolument époustouflant. D’autres compagnons de route miraculeux se joignent à ce petit gang. On note ainsi la présence d’un certain Martin Pugh, guitariste maestro-mysterioso du formidable Steamhammer (mais cela, vous le savez déjà). Ian MacLagan est aux claviers. Il est l’ancien pianiste des Small Faces, et futur des Faces, groupe qui rassemble les anciens Small Faces hormis Steve Marriott parti dans Humble Pie. MacLagan, Kenney Jones et Ronnie Lane deviendront les Faces avec l’arrivée de … Rod Stewart au chant et Ron Wood à la guitare.

Ce disque est superbe. Parce qu’il est d’une simplicité, d’une humilité qui fait qu’on l’écoute avec ce plaisir du petit trésor pour petites gens, que ni les branchés, ni les it-girls, n’écouteront jamais parce que, c’est écrit, cet album, et Rod Stewart période Blues ne sera jamais à la mode, de tous les temps à jamais. Ecrivez cela, prolétaires du monde entier : ce disque vous appartient pour toujours, celui-là, et puis les trois suivants, dont nous reparlerons sûrement.

Tout débute par une somptueuse reprise du « Street Fighting Man » des Rolling Stones. Rod Stewart et Ron Wood y injectent la dose de Blues et de rugosité prolétaire qui manquait à cette chanson. Tout débute sur une guitare acoustique qui part en slide. La batterie est franche, carrée, sèche, puissante. Wood tient la basse, et fait ronfler les amplificateurs. La version semble Country-Blues, mais éclate sur son final par le riff de Keith Richards à la note près. Woody semble né pour jouer dans les Rolling Stones, maîtrisant cette science du riff crasseux comme jamais.

La suite voit l’enchaînement de deux superbes titres très différents mais étrangement complémentaires à mon cœur. Le premier est le superbe Folk-Blues « Man of Constant Sorrow », empreint d’une mélancolie magique, à la fois pétri dans le Blues et cette âme typiquement britannique. Cette chanson est de ces mélodies que l’on siffle pour se donner un peu de courage le matin en allant au boulot.

« Hanbags And Gladrags » est une jolie chanson calme où le piano se fait classieux et les hauts-bois viennent apporter leur touche de noblesse et de velouté de pop anglaise. Elle prouve surtout une chose, c’est que Rod Stewart est capable de chanter m’importe quoi avec un talent incroyable, ce qu’il prouvera par ailleurs hélas durant les trente dernières années, en chantant surtout n’importe quoi. Après les suffocants titres précédents, cette belle chanson est une belle contemplation de la campagne anglaise.

De l’Ecosse, « I Wouldn’t Ever Change A Thing » en propose la traversée de la lande, le nez dans le vent frais et la tête dans le soleil pâle.
La puissance du Heavy-Blues revient avec le superbe « Cindy’s Lament ». Là encore, Martin Pugh fait parler la poudre, soutenu par la basse rugueuse de Ron Wood. Entêtant, rageur, il est une explosion de guitares et de piano. Et je vous ai dit combien Mick Waller est un batteur exceptionnel, d’une richesse rythmique inégalable.



