lundi 30 janvier 2017

TRUST 1982

"Au Festival de Reading 1981 en août, deux groupes français sont à l'affiche : Téléphone et Trust."

TRUST : Savage 1982

La France a décidément la dent dure avec ses groupes de Rock. Les Variations au début des années 70 furent bannis pour n'être considérés que comme des sous-Stones et des sous-Led Zeppelin. Et puis ils chantaient en anglais alors c'était pas bien. Trust connut pareille cabale à son encontre. Jugés trop politique, démagogique, Rive Gauche même, ils ne durent leur célébrité qu'à d'excellents albums et des prestations scéniques d'une rare intensité, multipliée à l'infini.

Trust voyait grand, et ne voulait pas s'arrêter aux seules frontières nationales. A leur plus grand étonnement, l'album Répression se vend en Grande-Bretagne dans sa version française de manière significative. Une tournée au Royaume-Uni serait une sacrée opportunité. Iron Maiden furent les premiers à les soutenir après AC/DC, et les emmenèrent en tournée, en première partie. On ne dira jamais assez de bien de groupes comme Iron Maiden, qui non seulement sont brillants musicalement, mais se montrent particulièrement généreux avec les groupes qu'ils admirent, toujours ouverts à la nouveauté. Il faut dire que Steve Harris, le bassiste, n'a jamais été chauvin envers ses influences, n'hésitant pas à louer tout le bien qu'il pensait de groupes comme Golden Earring ou Focus, de nationalité hollandaise. Et même si Trust leur colla la pâtée un concert sur deux.

Embarqué en première partie d'Iron Maiden, période Killers avec Paul DiAnno au chant, Trust se frotte au public le plus dur pour un groupe français : celui des villes industrielles de Grande-Bretagne. Sheffield, Glasgow, Birmingham, Manchester…. Toutes ces cités directement touchées par la gangrène Thatcherienne n'ont pas beaucoup de remord envers les groupes qui ne leur donneront pas l'extase électrique. Iron Maiden le sait trop bien, et a conquis ce public difficile et exigeant à coups de sets ravageurs de puissance. A Trust de faire de même, qui plus est en étant français. L'un des grands signes de succès fut que les lads anglais décrochèrent le bar dès la première partie, époustouflés par ce qu'ils entendaient.

Pour cela, ils préparent le terrain en enregistrant une version anglaise de l'album Répression. Celle-ci était déjà en préparation depuis quelques temps, avec l'ami Bon Scott, chanteur d'AC/DC, comme traducteur. Mais il s'éteindra en février, laissant le projet à terre. Les ventes en terres anglaises relancent le projet, et c'est Jimmy Pursey, le chanteur du groupe Punk Sham 69, qui va s'en charger. Sham 69 est un groupe politisé, et la maison de disques pense que l'homme est le parfait traducteur. Seulement voilà, Bernie Bonvoisin, le chanteur de Trust, parle difficilement l'anglais, et devant l'échéance serrée, il ne pourra pas correctement faire passer le message du contenu de ses textes. Jimmy Pursey est un homme de slogans politiques, et va donc faire de même pour les morceaux de Trust, éludant toute la subtilité de l'écriture de Bernie Bonvoisin. Car contrairement à ce qui a été souvent colporté, l'homme est un fin écrivain. Ses textes sont certes puissants et sans concession, mais sont toujours dotés d'un vocabulaire choisi et d'un humour cynique qui renforcent la puissance de son message. Difficile de traduire une telle prose par un chanteur politique en quelques jours. C'est pourtant ce qui va se passer. Trust retourne en studio capter cette version anglaise. Si le mix musicale est incontestablement plus puissant que sa version française, les textes sont plus bassement politiques, ce qui sera l'une des premières failles du disque, Répression version anglaise.

La presse anglaise, toujours aussi chauvine et de mauvaise foi, va éreinter le disque sur ce point, considérant que les textes politiques n'ont rien à faire dans le Heavy-Metal. Et puis l'on ricane sur l'accent franchouillard de Bernie Bonvoisin. Mais ce dernier aurait eu un accent d'Oxford que le groupe français aurait été passé au vitriol de toutes les façons. Trust n'en aura que faire, comme le public. La version anglaise de Répression va monter dans les classements anglais de manière aussi inattendue que surprenante. Trust va bénéficier d'un accueil d'abord froid en première partie d'Iron Maiden avant de gagner rapidement le coeur des fans de Heavy-Metal anglais. Le public répond présent à cette musique puissante et engagée, qui résonnent tellement dans leurs coeurs de prolétaires blessés.

Et le succès sera tellement considérable que Trust va revenir début 1981 en tête d'affiche dans les mêmes salles, et les remplir sans aucun souci, conquérant un public désormais acquis à sa cause comme le fut celui de France un an auparavant. Le tour de main mérite à lui seul tout le respect possible, car aucun groupe français n'aura réussi tel coup, à part les Variations aux Etats-Unis dix ans auparavant.

Au Festival de Reading 1981 en août, deux groupes français sont à l'affiche : Téléphone et Trust. Le premier va se faire laminer par le public anglais, recevant une pluie de canettes de bières alors que Jean-Louis Aubert et son accent anglais ridicule tentent de garder leur cool. Trust est programmé dans la soirée, juste avant la tête d'affiche, le groupe Gillan de l'ancien chanteur de Deep Purple, Ian Gillan. Trust a cinquante-cinq minutes pour convaincre, et va tout donner, comme à son habitude. Le set va être explosif. Désormais doté du batteur Nicko MacBrain, futur Iron Maiden, Trust pulvérise le public anglais, alternant titres en anglais et en français. Le concert se transforme en triomphe, et les spectateurs rappellent pendant de longues minutes Trust pour de nouvelles chansons. C'est alors que le manager de Gillan menace d'annuler le passage de son groupe si Trust assure des rappels non prévus au programme. Trust ne reviendra pas, mais les musiciens garderont ce goût amer des musiciens pas très généreux qui n'hésitent pas à descendre la concurrence par les moyens les plus bas. Qu'importe, Trust a triomphé. Malgré les critiques acides de la presse spécialisée britannique et les rats du business, l'album anglais monte dans les classements, et le public s'est pris de sympathie pour le quintet français.

Dès septembre 1981, Trust retrouvent les studios. Ils partent en Suède pour les Polar Studios du groupe Abba, en compagnie du producteur Tony Platt qui a travaillé avec AC/DC. Durant ce mois de travail, le groupe va devoir enregistrer un album en français et son pendant en anglais. Cette fois-ci, c'est l'attachée américaine du label CBS, Suzie Glespen, qui va procéder à la traduction. Bilingue, elle va pouvoir coller au mieux à la plume de Bernie Bonvoisin. Trust ne se contente pas de coller des paroles en anglais sur la version instrumentale du disque français. Les prises sont totalement refaites dans le même studio, et Tony Platt va devoir réaliser deux mixages. En effet, le disque en français est prévu pour la fin de l'année 1981, et la version anglaise pour le début de l'année 1982. Tony Platt va prendre un soin particulier à faire de la version anglaise de Marche Ou Crève un disque puissant à la hauteur des meilleurs albums de Heavy-Metal mondiaux. Le mixage du disque français sera d'ailleurs considéré comme bâclé. Il est effectivement moins puissant que la version internationale.

Les versions anglaises des albums de Trust vont régulièrement faire l'objet de ricanements récurrents. C'est que la presse comme le public français trouvent ces versions bien exotiques et caricaturales. En effet, comment la version anglaise de « Antisocial » peut-elle avoir le même impact que sa version anglaise, Bernie Bonvoisin semblant être un chanteur tellement français?Pourtant, c'est bien ces versions qu'Anthrax reprendra : « Antisocial » et « Sects ». Alors la France serait-elle aveugle devant le brio de Trust ? Et bien je dois vous répondre par l'affirmative. Et si Pursey ne sut pas traduire comme il se doit les textes de Bonvoisin, son successeur, Savage, est un sacré bon disque.

Bien sûr, il y a quelques défauts. D'abord, Bernie Bonvoisin a un petit accent français incontestable. Mais Klaus Meine, le chanteur des Scorpions, a un méchant accent allemand, et cela n'a nullement empêcher le groupe de triompher. D'autre part, le passage du français à l'anglais provoque parfois des carambolages dans les rimes et le rythme des vers. Passés ces défauts, il est temps de passer aux vrais grandes qualités.

D'abord, la musique des morceaux sont d'une puissance exceptionnelle. Que les versions soient françaises ou anglaises, le brio est inégalable. Et puis Bernie Bonvoisin est capable de s'adapter de manière surprenante. Son phrasé, son intonation se transforment pour offrir ici une vraie version anglo-saxonne du Heavy-Metal de Trust. Le prononcé de Bonvoisin rappelle en version anglaise Judas Priest, Iron Maiden et AC/DC. Il augure même Metallica et surtout Megadeth. Le phrasé noir, nasillard et acide est le propre du Thrash-Metal débutant.

En cela, Trust n'est pas qu'une simple émanation Punk du Heavy-Metal. Dès ses premières chansons, Trust augure la New Wave Of British Heavy-Metal, en 1977, alors qu'ils ne sont pas anglais. Ils seront un cataclysme musical que la France sera bien incapable de mesurer, et que ce second disque en anglais est la vraie révélation.

Savage n'est pas cette mauvaise traduction franchouillarde que la presse anglaise, relayée par la presse française, a tant brocardé. On ricana sur l'accent de Bernie, la presse anglaise critiqua encore le discours politique de Bernie Bonvoisin, et puis sur ces Frenchies à la con qui viennent pisser sur les terres d'Albion. Seulement voilà, Savage est un sacré brûlot de Heavy-Metal international. Les textes ont été traduits au plus près du verbe de Bonvoisin, la musique est tout aussi impeccablement brillante que la version française, et le second mixage de Tony Platt donne à l'ensemble une puissance encore inédite.

Pour écouter ce disque, il n'est en fait pas question de l'écouter avec l'oreille française. On savourera toujours la puissance du verbe de Bernie en français, et le fait que ce groupe était avant tout une fierté nationale. Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est que cette musique géniale conquit le coeur des fans de Heavy-Metal européens. La prestation de Trust à l'émission Rockpalast en Allemagne en juin 1982 n'est qu'une preuve flagrante du succès retentissant dont bénéficie Trust. Qu'importe le langage, les fans adhèrent à cette musique puissante et incandescente. Et ce qui interloqua les spectateurs européens, c'est la force de conviction du chant de Bernie Bonvoisin, qui, qu'importe le langage, ne pouvait que cacher des textes d'une puissance au-delà du petit rendez-vous romantique. Même incompréhensible, le phrasé de Bonvoisin marqua les amateurs. Ce bonhomme éructant avec conviction ses paroles avait des choses à dire, c'était incontestable, et le public Metal voulait l'entendre.

Savage fut une première clé, et fit de Trust un vrai grand groupe de Heavy-Metal novateur, à la lisère entre New Wave Of British Heavy-Metal et Thrash-Metal. Le Trust en anglais et le Trust en français ne sont plus tout à fait le même groupe. Bernie n'articule d'ailleurs plus tout à fait de la même manière, comme emporté par ce langage anglo-saxon. Il sut se montrer expressif avec ses mots, comme un Léo Ferré, lorsqu'il parlait en français. Passé en anglais, il était le hurleur de Heavy-Metal dans la cour des meilleurs, de Saxon à Iron Maiden en passant par AC/DC et Judas Priest. La traduction en anglais des textes percussifs de Bonvoisin pouvait laisser craindre les pires articulations laborieuses. Mais Suzie Speglen et Bernie Bonvoisin réussir à retrouver la formule du slogan brutal, identique à la version française. « Les Brutes », devenu « Mindless », bénéficiait de ce même impact revendicatif.

Savage est incontestablement un immense disque de Heavy-Metal, mais cette fois-ci international. Musicalement, les chansons prennent de l'ampleur. Peu d'albums bénéficient d'une telle puissance sonore. Peut-être Killers d'Iron Maiden, mais il n'y en a guère d'autre. Et c'est bien avec ce disque que se fait l'évidence : la presse française a la dent dure, mais pour bénéficier d'un tant soit peu d'intérêt au niveau extra-nationale, les groupes doivent se transcender au-delà de se que pourrait le devoir un groupe anglais ou américain. Trust est incontestablement l'un des groupes les plus ambitieux de ce début d'années 80, loin devant la concurrence anglo-saxonne.

Dès « Big Illusion », le riff est presque méconnaissable tant il explose de puissance et de lyrisme, alors qu'il est identique à sa version française. Et en ces semaines d'élections internationales, ce morceau, qui a pourtant trente ans, bénéficie d'une maestria inédite. Comme en langage français, le texte de Bernie Bonvoisin percute l'auditeur. La traduction anglaise fait mouche à l'oreille. Bernie se prend au jeu, manière son chant, dégueule les paroles, mais à la sauce anglaise. Ca sonne Heavy-Metal, mais pas dans le sens lyrique, chanteur à la mode Deep Purple. On est dans les pionniers du Heavy-Thrash brutal, ce chant agressif imprégné de Punk. Et Bonvoisin en est un pionnier miraculeux, un de ceux qui a fait de cette approche une référence. L'homme aux textes politiques est en fait un vocaliste d'exception, un de ceux dont le timbre unique marque l'histoire du Rock international. La presse française comme anglaise n'aura pas su percevoir ces qualités, mais le Thrash de San Francisco l'a bien repéré.

« Savage », qui donne son nom à l'album, garde toute sa puissance massive, avec son riff en power-chord et son tempo martelé à la basse. Le travail de Nicko McBrain va être prodigieux tout au long de l'album : puissant, précis, expert, fin, le break subtil toujours à point. Il y a du Heavy-Metal dans son jeu, mais aussi du Funk et du Blues, ce qui lui donne un groove magique, et donne à la musique de Trust un swing inattendu, moins martelé et brutal, parfaitement en adéquation avec les entrelacs de guitares de Norbert Krief et Moho Chemlakh. Ce dernier a apporté une incontestable profondeur aux tapis de guitares de Trust. Nono s'envole pendant que Moho blinde avec maestria.

« Repression » est dégueulé avec conviction. Le refrain garde toute son envergure, comme sa version française. « The Junta » garde aussi toute son ambiance maudite. Bernie Bonvoisin est décidément brillant sur ces textes presque rappés, qu'ils soient français ou anglais. Certes, il n'ont pas toujours la fluidité poétique de leur version française, détail important du langage Bonvoisin. Mais la version anglaise possède cette atmosphère démoniaque supplémentaire que lui imprime le chanteur, et que l'on ne distingue pas immédiatement en français.

Assurément, le sommet du disque est « Mindless ». Le titre est en lui-même bien plus percutant que sa version française, tel un titre de Judas Priest. Le langage anglais trouve tout son tempo avec les mots de Suzie Glespen, exactement comme sa version française. Cette fois, le swing du phrasé est conservé avec brio. Les guitares de Moho et Nono sont magnifiées. Déjà brillantes sur la version française, Tony Platt réussit à les mettre encore en avant, faisant des deux bretteurs deux magiciens de la six-cordes comme le Heavy-Metal en eut finalement bien peu. Les deux potences électriques s'enroulent et fusionnent en un chorus lyrique, magique, emportant l'auditeur vers des cimes d'émotion rarement atteintes. Bernie et Yves Brusco matraquent le refrain : « Mindless ! », résonnant comme un slogan parfaitement Thrash-Metal. Il fallait tout de même avoir les tripes de publier un disque avec un titre scandant « Mindless ! » sur le refrain, soit « Abruti ! » en français. Alors que la presse britannique prône que le Heavy-Metal ne doit pas être politique, il semble évident la raison pour laquelle le public anglais des cités industrielles a tant aimé Trust, comme la banlieue française les aima tant.

« Loneliness » fait aussi preuve d'une traduction bien trouvé, tout comme « Work Or Die », tellement vraie sous Thatcher. « Crusades » brutalise à nouveau l'auditeur. Le refrain touche encore sa cible avec brio, exactement comme sa version française. Vient ensuite la traduction de « Ton Dernier Acte ». « Your Final Gig » colle au plus près du texte français, quitte à buter sur quelques rimes. Bernie Bonvoisin a voulu ne pas trahir son texte initial, si cher, dédié à son ami Bon Scott, le chanteur d'AC/DC. Il mourut quelques heures après avoir participé à la soirée du disque d'Or de Trust à Londres. Scott partira finir sa soirée chez d'autres amis qui ne prendront pas la peine de le sortir de la banquette arrière d'une Renault 5, alors que ivre mort, il va s'étouffer dans son vomi au petit matin, tétanisé par le froid de ce mois de février 1980. Bernie Bonvoisin en gardera un regret irrémédiable, et la version anglaise conserve la rage intacte. Les larmes montent à nouveau dans la gorge. Le Blues crée par Nono et Moho monte vers des cimes magiques. Trust brille une dernière fois de tous ses feux avant la fin du disque.


Il manquera à cette version anglaise le titre « Misère », non traduit, évoquant de trop près la situation politique anglaise du moment. CBS jugera que ce titre aurait été véritablement préjudiciable pour la carrière britannique de Trust, la presse anglo-saxonne les jugeant déjà bien assez politisés comme cela. Qu'importe, avec neuf morceaux impeccables, Trust vient de produire un vrai grand disque de Heavy-Metal international. Bien meilleur que son prédécesseur, Savage est plus qu'un simple album de Trust pour le public anglo-saxon. C'est un album ultime, brisant les limites du langage français. Trust est un immense groupe de Heavy-Metal, et seule la mauvaise foi aura eu raison des qualités de cet incroyable disque.

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dimanche 22 janvier 2017

LOBBY LOYDE AND SUDDEN ELECTRIC 1980

 "C'est un album époustouflant d'inspiration permanente, d'énergie, et d'électricité enflammée."

LOBBY LOYDE AND SUDDEN ELECTRIC : Live With Dubs 1980

Lorsque l'on découvre la musique Rock, on chemine toujours à la recherche d'une forme d'extase musicale provoquée par l'écoute d'un disque. J'en ai eu plusieurs, et des fabuleux : le Live At Leeds des Who, Un Autre Monde de Téléphone, le II de Led Zeppelin, le White Album de Diamond Head, Power Supply de Budgie, ou encore Live And Dangerous de Thin Lizzy. Tous des merveilles d'incandescence électrique, totalement possédées, écoutables sans aucun temps mort dans une forme de transe spirituelle totale, comme l'effet d'une drogue ou d'un alcool très fort. Votre esprit divague, vos souvenirs personnels se cognent à des images aussi diverses que vos passions personnelles. Etant aussi un amateur pointilleux en termes de sport automobile des années 70, de films de la même époque, de poids-lourds européens et américains, de muscle-cars, de géographie, et d'histoire, en particulier les deux conflits mondiaux, autant vous dire que cette soupe donne quelques hallucinations de premier choix.
Pourtant, il semble que l'âge émousse les certitudes et les illusions. Pourtant, j’estime que la recherche paye toujours, et que mon enthousiasme est demeuré intact. Aussi, à trente-sept ans, j'ai trouvé un disque magique. La source ne semble donc pas se tarir, et j'en suis fou de joie. D'autant plus que ce disque est une merveille totale, issu d'un monde improbable. Il est un âge où l'on finit par s'auto-convaincre que l'on a à peu près tout écouter, que les découvertes à venir seront anecdotiques, aussi l'on cherche les dix albums que l'on va emporter dans sa tombe. Mais pour tout vous dire, je n'ai pas l'attention de mourir tout de suite.

Donc, j'ai savouré cette découverte comme celle de Thin Lizzy avec Live And Dangerous : une merveille d'authenticité, de dynamisme et de puissance musicale. Cet album de Lobby Loyde m'a été rapporté comme un disque moyen, et c'est une erreur totale. TO-TALE. En effet, comment peut-on classer un album aussi ambitieux ? Car il s'agit bien d'un disque ambitieux, même si il est l'oeuvre de Lobby Loyde. Mais qui est Lobby Loyde ?

C'est un océan de poussière rougeâtre et de buissons ardents. Elle s'infiltre partout, la poussière : dans les maisons, les vêtements, les voitures. La route est un venin, il alimente la solitude et l'imagination. Lobby Loyde est un jeune musicien australien obsédé par le Rock anglais. Sauf que, voyez-vous la Grande-Bretagne, c'est un peu particulier, c’est loin. L'Australie, c'est le Commonwealth, les colonies, les inférieurs… la colère….

C'est un pays de poussière âcre. La musique y est plus violente qu'ailleurs, c'est une certitude. The Saints, AC/DC, Rose Tattoo….. La vie est un cauchemar, survivre est une épreuve. Et la Rock Music, un échappatoire. Lobby Loyde fait partie de ces pionniers géniaux qui vont transposer le Rock Anglais des Rolling Stones et des Beatles en Australie. Loyde fera partie des Purple Hearts puis des Wild Cherries, autant de formations australiennes garage. Il finira par convaincre Billy Thorpe, le chanteur des très populaires Aztecs, de laisser tomber la Soul et les costards cintrés pour le Heavy-Blues qui arrache la couenne.

Lobby Loyde aura son propre groupe après avoir quitté les Aztecs de Billy Thorpe en 1970, non sans avoir participé aux sessions studios et aux concerts. Lobby Loyde est un acide fulgurant que l'on retrouve sur tous les meilleurs disques de 1969-1970. Billy Thorpe, vedette Rythm'N'Blues des années soixante, a besoin de rebondir. Il n'est qu'un guitariste laborieux et amateur, le Mitch Ryder australien. Les Wild Cherries se délitent à l'aube des années soixante-dix. Il embauche Loyde dans sa nouvelle mouture des Aztecs comme guitariste, Thorpe tenant juste le micro. Mais sous l'influence de Loyde, le chanteur se mue en un guitariste sauvage qui va faire des Aztecs l'un des groupes de Rock australien les plus influents des années 1969-1975. Loyde ne participe qu'à l'album The Hoax Is Over en 1970, avant de s'en aller mener une carrière solo qui débute dès 1971 avec un surprenant premier album instrumental, Plays With Georges Guitar, Georges étant le surnom donné à sa Gibson Les Paul Custom noire bien-aimée. C'est une sorte de Jazz-Rock joué à la sauce Heavy-Blues, fulgurance électrique totale qui fait grande impression en Australie.

La suite sera une participation à l'édition 1972 du Festival de Sunbury. Il forme un groupe du nom de Coloured Balls et participe à cette édition avec comme second guitariste son vieux copain Billy Thorpe, qui va capter sa prestation à Sunbury avec ses Aztecs pour un disque en direct majeur. La matière de ce concert des Coloured Balls servira de base au premier album. Lobby Loyde est alors un type hirsute, la barbe et le cheveu gras et long, la clope en permanence au bec. En 1973, changement de style, les Coloured Balls adopte le look sharpie. Il s'agit là de l'équivalent entre les skinheads de la fin des années soixante anglais et les futurs Punks. Le cheveu se porte court, sauf dans la nuque.

Les Coloured Balls sortent alors du sillon jam sauvage à rallonge pour donner dans un Hard-Blues ultra-violent, totalement Punk dans l'interprétation. Deux albums sont publiés, plus un recueil de démos de 1972. Le groupe est dissous vers 1975, et Lobby Loyde reprend ses pérégrinations solitaires à base de guitare électrique folle : Obsecration voit le jour en 1976. Mais Loyde tourne en rond en Australie, et part en Grande-Bretagne. Il devait y rester deux semaines, il y restera trois ans. Là-bas, il devient producteur et musiciens de studio, il travaille notamment avec Devo.

Mais l'envie de jouer et la plus forte. Il assure un premier concert en solo au Marquee de Londres en guise d'échauffement, puis assure quelques premières parties de groupes New-Wave comme Ultravox en Grande-Bretagne. Il repart ensuite seul pour une tournée de vingt-huit dates en Australie. Au passage, il passe voir son ami Billy Thorpe à Los Angeles en train d'enregistrer son premier disque solo : Children Of The Sun.Il débauche au passage le batteur Gil Matthews, puis recrute un bassiste en Australie : Gavin Carroll.

Le trio prend le nom de Lobby Loyde And Sudden Electric, et joue donc en trio. La musique qu'ils interprètent est nouvelle en quasi-totalité. Toujours sans limite artistique, Loyde a composé des morceaux prévus au départ pour un septet. Ce sont ces titres que le guitariste va réarranger pour les jouer à trois sur scène, utilisant par moments une guitare-synthétiseur développée par la marque Roland. Les concerts se déroulent dans une ambiance excellente, le Rock étant en totale explosion en Australie grâce à toute une génération de groupes totalement redevables de Loyde et Thorpe : AC/DC, The Angels, Rose Tattoo, Cold Chisel, Kevin Borich Express…. Le trio se produit dans de petits théâtres devant un public qui, à l'été 1979, a attendu le retour du héros depuis trois longues années, et ne l'a surtout pas oublié.
Les concerts font suffisamment impression pour que la radio Radio 2-JJ prenne la décision d'enregistrer le concert au Manly Flicks de Sydney au mois de juillet. Quelques mois plus tard, le label Mushroom Records, qui avait signé autrefois Coloured Balls, propose à Loyde de publier un disque en public à partir de ces bandes, pensant rééditer le succès de l'ancienne formation de Loyde. Mais à la réécoute, les pistes vocales sont faibles, et portent préjudice à la publication du disque. Très populaire auprès des musiciens, tous curieux d'entendre la nouvelle musique de Loyde, ce dernier est alors entouré en studio des chanteurs Mandu et de Angry Anderson de Rose Tattoo. Il a alors l'idée de faire réenregistrer les pistes vocales par les deux vocalistes. Mandu assurera l'ensemble des morceaux à l'exception de « Gypsy In My Soul », dédié à Anderson. Le résultat est donc ce disque, publié en 1980, qui comme son nom l'indique est un disque en concert avec des pistes en studio (« dubs »).

C'est un album époustouflant d'inspiration permanente, d'énergie, et d'électricité enflammée. On retrouve bien le son sale et agressif des albums de Coloured Balls, mais sur des morceaux aux structures parfois complexes, notamment sur les deux longues pistes que sont « Weekend Paradise (Part 2) » et « Sympathy In D ». Loyde y mêle Hard-Rock Blues, agressivité Punk, mélodies New Wave et structures flirtant avec le Jazz-Rock. Parfaitement secondé par Matthews et Carroll, Loyde déroule de longues improvisations de guitare au lyrisme exceptionnel, prenant à la gorge en permanence, sans le moindre temps mort, sans le moindre instant de flottement. C'est que cette musique est en grande partie écrite, et même si il y règne une grande liberté apparente, Loyde a pensé chaque rebondissement, rendant en fait ce Hard-Rock fuligineux aussi brillant qu'exigeant sans pour autant être prétentieux. Loyde joue avec la pédale d'écho, la guitare-synthétiseur, et se lance dans de grandes embardées électriques qui ne sont pas sans rappeler les Pink Fairies dont Loyde fut un contemporain sans jamais les avoir croisé en 1971-1972. « Crazy As Loon », « Media Re-Make », et « Gypsy In My Soul » sont des morceaux plus courts, entre quatre et huit minutes, aux structures moins complexes, et aux thèmes plus directs. L'ensemble est extrêmement homogène, au rythme très enlevé, pied au plancher sur les cinq morceaux.

Ce superbe album repositionne Lobby Loyde sur la scène Rock australienne comme un artiste majeur. Pourtant, il ne profitera pas du retentissement de cet album pour poursuivre sa carrière de musicien. Il préférera se consacrer à la production de nouvelles formations australiennes, ne revenant à la scène qu'épisodiquement. Un set de 2000 a été ajouté sur la réédition en disque compact de cet album, montrant combien Loyde est un guitariste surdoué, totalement inspiré, soliste majeur, jamais redondant, toujours inventif. Il interprète « GOD », instrumental dédié à sa guitare préférée qu'il enregistra pour la première fois en 1972 sur la scène du Festival de Sunbury. « Flash » est un titre percutant du premier album de Coloured Balls, et même le « Heartbreak Hotel » d'Elvis Presley prend une grande gifle électrique.

Lobby Loyde recevra un prix d'honneur aux Victoires de la Musique australiennes, avant de s'éteindre, clope au bec en permanence oblige, d'un cancer des poumons en 2007. Il aura, comme Thorpe, propulsé le Rock australien dans une autre dimension, en en faisant l'un des plus dangereux et intransigeant du monde. Il reste encore beaucoup à apprendre de ces albums séminaux qui auront permis la naissance de toute la scène Hard-Rock australienne de la seconde moitié des années soixante-dix. Mais plus que des pionniers, ils sont de purs génies, à la musique totalement indépassable de passion et de feu sacré, brûlante comme la terre d’Australie.

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dimanche 15 janvier 2017

EDDY MITCHELL 1971

"En 1971, Eddy Mitchell traverse une période d'incertitude critique et commercial depuis presque trois années."


EDDY MITCHELL : Rock'N'Roll 1971

Il fut une époque où je n'aurais jamais parié un centime que j'écouterais un jour Eddy Mitchell, et que je trouve cela passionnant. Bien ancré dans mes groupes anglais et américains, Mitchell, comme Johnny Hallyday et Dick Rivers, n'étaient pour moi que de tristes ersatzs franchouillards du vrai Rock. Comment aimer ces gens-là quand on connaît la source ?

J'avais pourtant un à-priori plus favorable à Eddy Mitchell. L'homme a un certain recul sur son personnage, il n'a pas hésité à faire des sketchs avec Coluche. Et il a été le chanteur des Chaussettes Noires, groupe de Rock'N'Twist pionnier dont j'avais conservé depuis l'enfance une grande affection.

J'avais pris mes petites habitudes chez un disquaire de Limoges. J'y passais ainsi systématiquement le samedi après-midi. Situé dans le centre ville, dans une ruelle un peu reculée, l'entrée ne laissait pas préjuger de la taille réelle de la boutique. De plus, le choix y était varié, et j'y avais fait quelques belles découvertes, à commencer par le quartet anglais Nektar. Au milieu se trouvaient de grands bacs de disques à prix réduit dans lesquels on pouvait compléter sa collection de Bob Dylan comme de Claude François. Il fallait donc chercher, fouiller longuement. Et puis un jour, je trouvai de multiples rééditions d'albums d'Eddy Mitchell. Je commençai à regarder négligemment, non sans une petite idée. Je cherchais, par le plus grand des hasard, l'album qui contenait la chanson « Mon Nom Est Moïse », pépite Soul Jazz-Rock d'Eddy Mitchell que j'avais trouvé épatante, et dont j'avais ouï un court extrait dans un documentaire. La chose se situait autour de 1969. Et évidemment, à force de chercher, je suis tombé sur l'album Mitchellville avec la dite chanson. Je fis un tour de magasin, puis deux, et je finis par le prendre et l'acheter. En rentrant, c'est le choc : le disque est très bon. Il y a bien quelques passages un brin variété datée, mais l'ensemble est très bon, drôle, et furieusement Soul et Jazz-Rock, dans la lignée de Chicago et Blood, Sweat And Tears.

Dès lors, je ne vais avoir de cesse de retourner dans le grand bac, piochant des albums autour de l'époque de Mitchellville, élargissant toujours le cercle, si jamais un autre disque de cette trempe existait. Cela ne devait être qu'un accident, connaissant la carrière du bonhomme, sa musique a vite tourné à la variété. Jusqu'à ce que je tombe sur Rock'N'Roll.
En 1971, Eddy Mitchell traverse une période d'incertitude critique et commercial depuis presque trois années. Cette période ne prendra fin que fin 1974 avec l'album Rocking In Nashville, et s'appelle « les années Zig-Zag », du nom de l'album de 1972. Alors qu'il entame sa carrière solo en 1963 après le succès des Chaussettes Noires, il vogue sur l'écume, profitant de l'aura des nouveaux rockers dans l'Hexagone. Comme Dick Rivers et Johnny Mitchell, il poursuit ses adaptations en français de morceaux de Rock'N'Roll américain.

Puis au milieu des années soixante, ce Rock'N'Roll se retrouve ringardisé par la vague du Rock anglais : Beatles, Rolling Stones, Kinks… Ils atteignent les rivages français, et rendent caduque ce Rock'N'Roll inspiré de celui, américain, des années cinquante. Peu à peu, les artistes français s'adaptent et changent de registre. De nouveaux visages apparaissent : Sylvie Vartan, Jacques Dutronc, Françoise Hardy…. Eddy Mitchell fait le choix de la Soul Music de Memphis, le son Stax, Otis Redding en tête. Ce virage musical tient un temps, de 1965 à 1967, avant que le psychédélisme noie définitivement les premiers chanteurs de Rock'N'Roll français. Eddy Mitchell poursuit dans une veine Soul brillante, caractérisée par l'humour du chanteur, qui écrit lui-même ses textes, les musiques étant désormais composées essentiellement par Pierre Papadiamandis. 7 Colts pour Schmoll et Mitchellville sont d'authentiques réussites qui ne trouvent pas leur public.
La situation sera telle qu'en 1974, son label, Barclay, prendra la décision d'éditer des compilation des Chaussettes Noires, qui se vendront mieux que lesderniers albums d'Eddy Mitchell. Devant cet état de fait, Barclay commencera à encourager le chanteur à reformer son ancien groupe, visiblement toujours très populaire. Mais le chanteur refusera net, alors qu'il est devenu animateur radio sur France Inter. En 1970, la situation est déjà compliquée, et devant la pression de son label, Il concède un point : il lui faut revenir au Rock brut. Eddy Mitchell ne sera pas le seul à faire ce choix : Johnny Hallyday poursuit sa carrière de rocker avec l'album Flagrant Délit après quelques errances psychédéliques, et Dick Rivers publie Dick'N'Roll après avoir donné dans la variété à violons sans grand succès.

Pochette noire, photo de Mitchell sur scène en blouson de cuir dans une pose typiquement Rock, campé sur son pied de micro, Rock'N'Roll est effectivement un retour au Rock, mais pas vraiment celui que Barclay espérait. Désireux de faire uniquement ce qu'il veut, et comme il le veut, Eddy Mitchell alias Claude Moine s'enferme au Château d'Hérouville et aux Olympic Studios de Londres pour capter pas moins de vingt chansons qui alimenteront l'album ainsi que plusieurs simples. Le vieux copain Johnny et Michel Polnareff viennent traîner dans le coin, mais uniquement pour éponger du Jack Daniel's. Mitchell s'entoure de musiciens fidèles comme Marc Berteaux à la basse, de Dean Noton à la guitare, Gilbert Bastelica, un ancien des Chaussettes Noires, à la batterie, Claude Papadiamandis aux claviers ou Jeff Seffer au saxophone. A cette fine équipe s'ajoutent quelques musiciens anglais comme Mick Green de Johnny Kidd And The Pirates pour apporter des guitares, ou le groupe Zoo sur un morceau : « Métro, Boulot, Dodo ».

Claude Moine est en fait extrêmement ouvert à ce qu'il se passe sur la scène Pop française, et se montre curieux de formations comme les Variations, Zoo ou Magma. Bien qu'il n'en comprenne pas toujours toute la philosophie, il saisit bien l'apport musical de ces groupes. Cette approche plutôt avant-gardiste ne va bien évidemment pas lui rapporter beaucoup de succès commercial, ces groupes étant pour la plupart cantonnés à un certain underground, bien loin des attentes du grand public qui va applaudir Michel Delpech ou Michel Sardou. Pourtant, cela fait d'Eddy Mitchell un musicien audacieux, dont la qualité des albums de cette époque méritent une vraie relecture. Cela explique également la présence sur ce disque de Jeff Seffer, membre de Magma et fondateur de Zao.

Rock'N'Roll est un disque de Rock parfaitement dans son époque. Mitchell pioche dans le son des formations françaises à la pointe de la Pop, mais aussi dans le Rock américain et anglais de l'époque : Creedence Clearwater Revival, une pointe de Free et de Spooky Tooth. Le son électrique, épais et puissant est quant à lui à chercher du côté des Variations, dont l'album Nador est sorti fin 1970, et a fait basculer le son du Rock français dans celui de Led Zeppelin et les Who. Le son gras et ruisselant d'électricité de Dean Noton a beaucoup à voir avec celui de Marc Tobaly. Eddy Mitchell n'a plus qu'à poser sa voix oscillant entre crooner Soul et timbre râpé à la Gitane. Les textes sont de petites perles d'humour sur fond d'analyse de la société typiquement seventies. Eddy Mitchell est un des rares chanteurs a joué pleinement la carte de l'autodérision, ce qui lui coûtera sans doute une partie de son succès à cette époque, où l'on attendait à ce que le Rock soit une affaire sérieuse. Le vrai Rock oscillait alors dans la presse spécialisée nationale entre le Glam de David Bowie, le Progressif de Yes et Jethro Tull, le Boogie de Status Quo, et les prémices du Punk avec les New York Dolls et les Stooges.

Plusieurs morceaux sont de puissants Heavy-Rock aux couleurs Soul : « Le Marchand De Poupées » avec son riff qui racle le plancher, « Rock'N'Roll Star » avec son introduction progressive, « Pneumonie Rock Et Boogie-Woogie Toux », ou « J'aurai Sa Fille », une relecture de Creedence Clearwater Revival. « Big Boss Man » est un Heavy-Blues poisseux et sournois contant l'employé de bureau soumis. Gilbert Bastelica abat un travail colossal à la batterie, puissant, précis, empli de groove,accompagné de la basse de Marc Berteaux, épaisse et implacable. Dean Noton décoche des riffs gras, imprégnés de Blues électrique. Il enlumine les refrains et les couplets de petits chorus bien sentis. « Pauvre Immigrant » est doté d'une belle progression émotionnelle, quant aux morceaux teintées d'acoustique sont aussi riches, les mélodies faisant mouche : « Je Te Reviendrai », « Elle Part ». On retrouve enfin quelques scories Jazz-Rock des précédents albums, comme « L'Accident » ou « Arizona ». Seul petit bémol à cet album : « J'Aime Le Rock'N'Roll », adaptation française du « Rock'N'Roll Music » de Chuck Berry. Si elle est plutôt fidèle à l'originale, elle n'apporte pas grand-chose au disque, bien plus audacieux que cette simple reprise.

Le grand bijou de cette réédition en disque compact est assurément « Dodo, Métro, Boulot, Dodo », enregistré avec Zoo, et publié en simple en 1970. Pièce musicale oscillant entre Hard-Rock et Jazz-Rock à la Chicago, elle décrit avec une ironie aussi drôle que juste l'univers des citadins des grandes villes françaises. Bien que le morceau ait quarante-cinq ans, son analyse sonne toujours aussi vraie. La couleur désabusée et agressive que lui insuffle Mitchell et Zoo donne une emphase particulièrement bien vue. Zoo, véritable émulation originale du Jazz-Rock américain de Chicago et Blood, Sweat And Tears, travaillera également avec Léo Ferré, lui aussi ouvert à la nouveauté et à la fougue de la jeunesse de son pays.


La veine puissante de l'album Rock'N'Roll sera poursuivie partiellement sur l'excellent album Zig-Zag de 1972, notamment sur le morceau Heavy-Rock « Le Vaudou ». Claude Moine poursuit son exploration musicale, oscillant entre Hard songs, Jazz-Rock, et même Bossa-Nova. Il va collaborer avec plusieurs musiciens de Magma, et va se mettre en danger vis-à-vis de son public et de sa maison de disques, qui lui réclament toujours Les Chaussettes Noires. Ce disque m'aura définitivement convaincu de l'intérêt des albums d'Eddy Mitchell de ses débuts jusqu'au milieu des années soixante-dix. A l'époque, Il fait du Rock qu'il adapte à la France, en y apportant tout ce qu'il aime, de la Soul au Heavy. Par la suite, il fera de la chanson française teintée d'influences américaines, ce qui rendra sa musique bien plus populaire, mais moins intéressante, et jouera encore davantage la carte de l'autodérision du personnage de rocker. Eddy Mitchell passera alors de musicien audacieux mais mal aimé à chanteur populaire, personnage pittoresque digne de Michel Audiard.

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