mercredi 28 septembre 2016

ANDROMEDA 1969

 "Andromeda est un album riche, fourmillant d'idées et d'influences pour donner une musique unique et totalement novatrice."

ANDROMEDA : Andromeda 1969

L'Histoire du Rock a gardé en tête les principaux protagonistes du Hard-Rock et du Heavy-Metal comme des innovateurs après qui le monde ne fut plus le même. Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath sont le triangle d'or du Metal chromé. L'idée que rien ne fut plus pareil après eux n'est pas faux, du moins aux Etats-Unis. En effet, seuls les groupes les plus importants pouvaient s'exporter Outre-Atlantique, et le Hard-Rock américain de la seconde moitié des années 70 leur doit tout, sans hésitation. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, rien n'est si simple.
Bien évidemment, au pays d'où naquirent les Géants de Fer et d'Acier, une arrière-garde existait. Vivant dans l'ombre de ces grandes formations, ils développèrent une musique parfois plus agressive, plus abrupte et encore davantage sans concession. Ils s'appellent Leaf Hound, Stray, Budgie, Crushed Butler, Three Man Army, Bedlam, ou Steamhammer et font le bonheur des amateurs, ravis de découvrir de petits groupes brillants mais inconnus du grand public, véritables pépite d'un riche univers musical.

Certains sont carrément capitaux pour le développement du genre. Ils sont apparus peu ou prou en même temps que Led Zeppelin, et ont souvent croisé le chemin de ces derniers comme de Black Sabbath. Et il semble évident qu'ils aient indirectement apporté leur pierre à l'édifice par quelques emprunts ci et là. Deux semblent à ce titre primordiaux en Grande-Bretagne : Bakerloo et Andromeda.
Le second a partagé à plusieurs reprises l'affiche des Yardbirds, des New Yardbirds, puis de Led Zeppelin entre 1968 et 1969, et enfin de Black Sabbath au tout début de l'année 1970. Et il est indéniable que le son d'Andromeda et ses compositions acides ont fait grande impression chez Jimmy Page comme Tony Iommi.

L'histoire d'Andromeda est liée à celle de son guitariste : John Cann. Il débute en 1964 dans un groupe de reprises Rythm'N'Blues du nom de The Sonics, sans relation avec le groupe Garage américain de la même époque. Ils deviennent The Attack et se tourne vers ce que l'on appelle le Freak Beat, un Rythm'N'Blues rugueux et Rock'N'Roll, dont sont notamment friands les Mods. The Attack publie une poignée de simples sur le label Decca, mais se fait virer par manque de succès commercial malgré une réputation flatteuse sur le circuit des clubs.
John Cann devient John DuCann sous la suggestion de son manager, considérant qu'une particule noble donne une touche typiquement British décadente. Cann forme un trio avec le bassiste Mick Hawksworth, et le batteur Jack Collins, alias Jack MacCullough, le frère de Jimmy, futur guitariste des Wings de Paul MacCartney. Il signe avec un label de disques bon marché du nom de Saga, qui leur commande un disque psychédélique. Ils deviennent les Five Day Week Straw People, et enregistre le dit album en quatre petites heures.

Parallèlement, le trio travaille ses propres compositions, et jouent de plus en plus intensément dans les clubs. Leur musique est basée sur le Blues électrique anglais d'alors, les amplificateurs poussés dans le rouge comme Cream. Cela est suffisant pour intéresser l'animateur radio de la BBC, le mythique John Peel, qui les invite à participer à son émission, Top Gear. Le trio se nomme désormais Andromeda, du nom de la constellation. John Cann laisse libre court à son grand intérêt pour la magie, l'astronomie et la science-fiction.
La session est diffusée, et Andromeda joue dans le circuit des universités en tête d'affiche ou aux côtés des Yardbirds de Jimmy Page, puis de son nouveau quatuor. John Peel pense même signer le groupe sur son propre label, Dandelion. Pourtant, intervient un changement de batteur qui contrarie fortement l'animateur radio. MacCullough est débarqué pour laisser sa place à un batteur plus puissant du nom de Ian MacLane. Andromeda enrichit son Heavy-Blues psychédélique de structures plus complexes que l'on peut qualifier de progressives. Cette évolution déconcerte John Peel qui retire son offre de signature. Qu'importe, Andromeda intéresse déjà le producteur des Who, Kit Lambert, et son guitariste, Pete Townshend. Là encore, il s'agira d'un faux espoir.

Finalement Andromeda signe sur RCA pour un simple et un album. Le disque est produit par John Cann lui-même, mais sa première mouture est jugée trop brute par la maison de disques. Le guitariste retravaille quelque peu les bandes, et ce premier et unique album éponyme voit le jour.
Mais déjà, Led Zeppelin a gagné la course, et publie son premier disque en janvier 1969. Quant à Jeff Beck, il publie l'incendiaire Beck-Ola quelques mois plus tard, rendant obsolète le psychédélisme d'Andromeda.

Pourtant, le trio de John Cann a toujours de nombreuses coudées d'avance en termes de créativité. Sa musique est d'abord l'une des plus agressives du moment. Les tempos lourds préfigurent toujours Black Sabbath, même si Led Zeppelin a franchi un pas capital en terme de violence sonore. Enfin, l'introduction du morceau « Return To Sanity » basé sur l'instrumental « Mars » de la Suite des Planètes du compositeur contemporain Gustav Holzt sera réutilisée quelques mois plus tard par un autre groupe novateur : King Crimson. Andromeda est également l'une des premières formations de Rock psychédélique à découper ses morceaux en plusieurs parties avec un intitulé individuel correspondant à l'ambiance du thème. La construction des morceaux s'inspire ainsi des pièces de musique classique, idée que reprendra également la formation de Robert Fripp.
Indépendamment de tous ces éléments historiques, Andromeda est un disque magique. Il est l'un des tous meilleurs albums de Heavy-Blues psychédélique de toute l'Histoire de la musique, dont la qualité surpasse de plusieurs têtes celle de disques de Rock de la même époque et à la renommée bien plus grande.

Tout débute par le trépidant « Too Old », galop wagnérien qui débouche sur un riff sale. Le son de la guitare est rugueux, les chorus hantés, rampant sur le plancher comme des ectoplasmes en colère. Andromeda joue une musique glauque, noire, maudite, sur laquelle poussent d'étranges fleurs multicolores. « Too Old » est un violent démarrage suivi du mystérieux « The Day of The Change ». La ligne mélodique a les saveurs de l'Afrique du Nord. Mick Hawksworth assure des lignes de basse puissantes et foisonnantes. Son jeu rappelle celui de Jack Bruce, mais contrairement à ce dernier, il ne cherche pas à rentrer en compétition avec la guitare, il la suit et la soutient en permanence tout en enrichissant le son du trio. Le thème s'emballe pour laisser John Cann s'envoler en solo. Le trémolo très particulier de sa Fender Telecaster imprime une atmosphère entre psychédélisme et ésotérisme.

« Now The Sun Shines » est une chanson délicate sur laquelle Cann superpose plusieurs couches de guitares électrique et acoustique. Sa voix est un élément important. Son timbre chaleureux, presque crooner sur certaines intonations, rappelle le premier chanteur de Deep Purple, Rod Evans. Il est toutefois moins maniéré dans son interprétation, et rend chaque morceau fluide. Ces trois premiers morceaux sont suivis de deux pièces plus progressives en trois parties chacune. Le premier est « Turn To Dust ». Il débute dans une atmosphère entre orage et lumière lyrique. L'atmosphère presque monastique se poursuit sur le début de la seconde partie, avant de plonger dans un riff violent et malsain que n'aurait pas renié Black Sabbath. « Turn To Dust » semble conçu comme une symphonie, avec choeurs quasi grégoriens, et lignes harmoniques autant empruntées au Blues, au Jazz, qu'à la musique classique. Cann déambule dans le ciel, faisant onduler les notes délicates comme des violons. Puis la dernière partie explose, en matraquage de Heavy-Blues trépidant, avant de revenir au thème introductif.

« Return To Sanity » débute donc par « Mars » de Gustav Holzt repris en format Rock. Cette idée sera donc reprise par King Crimson, mais aussi par Diamond Head en 1980 en introduction de « Am I Evil ». Le son de guitare noir de Cann imprime une violence toute particulière à ce thème. Puis la douceur d'après la tempête reprend le dessus. Quelques arpèges de guitare soutenus par une batterie délicate dévoile le thème. Une atmosphère angoissante de solitude s'installe durant le couplet avant que ne rugissent à nouveau basse et guitare. Le morceau se clôt une fois encore par une frénésie de chorus possédés.
Deux petits morceaux poursuivent l'album : « The Reason », agréable mais un petit cran en-dessous de ses brillants prédécesseurs, puis le monacal et lumineux « I Can Stop The Sun ». Ce second morceau est une merveille qui renoue avec l'atmosphère de soleil levant sur la mer. Cann y chante et joue seul, accompagné d'un discret piano, et de choeurs une fois encore quasi religieux.

« When To Stop » est l'ultime pièce de l'album. C'est encore une petite symphonie en trois actes. L'atmosphère se fait d'abord très Jazz, les trois musiciens swinguant sur le tempo. Puis John Cann appuie sur les cordes, le son se fait de plus en plus agressif. Puis l'orage éclate à nouveau, la batterie et la basse s'emballent. Le second thème est plus classiquement Heavy-Blues, avant de subir une accélération frénétique. Cette montée de folie électrique trouvera écho sur les quatre premiers disques de Budgie, qui utilisera souvent ces ruptures de thèmes et ces accélérations en forme de maelstroms obsédants. La troisième et dernière partie est une superbe coda acoustique, qui s'inspire de la musique classique espagnole dans la tonalité de la guitare et la mélancolie du thème. L'album se termine comme l'envol de grands oiseaux blancs vers l'horizon.

Andromeda est un album riche, fourmillant d'idées et d'influences pour donner une musique unique et totalement novatrice. Il n'aura malheureusement pas de successeur. La maison de disques ne fait rien pour soutenir le trio, et lorsqu'il réussit à nouveau à décrocher un nouvel engagement, John DuCann se retrouve face à des individus peu motivés pour les soutenir. Quelques morceaux sont enregistrés début 1970, et Andromeda partage l'affiche avec un Black Sabbath sur le point de sortir son premier disque fondateur. Lassé de ce climat d'échec, John DuCann accepte l'offre de l'organiste Vincent Crane de rejoindre son groupe, Atomic Rooster. Le guitariste fera des merveilles le temps d'un disque splendide, Death Walks Behind You, en 1970.

Le petit bijou électrique qu'est Andromeda fera alors le bonheur d'une nouvelle génération de Heavy-Rock psychédélique : les formations dites Stoner font y puiser mille idées. Après avoir servi de vivier créatif pour trois des plus grandes formations de l'Histoire du Rock anglais, le disque irradie toujours de sa magie le Rock moderne. Chaque écoute est une source inépuisable de plaisirs soniques et de découvertes. Je n'ai pour l'heure pas encore réussi à en épuiser les ressources, seize années après sa découverte.

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mercredi 21 septembre 2016

RAINBOW 1977

"J'oserai même dire que notre homme est heureux."

RAINBOW : On Stage 1977

Il est difficile de comprendre aujourd'hui ce que représentait le guitar-héros pour les gamins, ma génération incluse. Le mythe resta vivace, même si le Grunge des années 90 tenta de démystifier l'instrumentiste flamboyant et virtuose. Mais à l'heure de l'électro, du Hip-Hop et autres musiques urbaines et électroniques, tout cela n'a véritablement plus de sens. En termes de réputation et de vedettariat, on pourrait tracer un comparatif entre les guitaristes des années 70 et les DJ's ou les chanteurs-rappeurs. Mais entre un as de la six-cordes, et un type qui lève les bras en l'air, ou un autre qui rapouille dans son micro en tenant son pantalon au niveau des parties génitales, il est complexe d'être vraiment objectif. Surtout quand vous connaissez les meilleurs musiciens des années 70.

Comparé Ritchie Blackmore et Kanye West tient véritablement du vice, de la bêtise, ou de la blague pure et simple. L'ombrageux guitariste de Deep Purple fut assurément un musicien des plus créatifs, des plus influents, et des plus doués de sa génération. Difficile de dire moins. Modeste bretteur derrière quelques showmen comme Screaming Lord Sutch ou le Ricky Nelson allemand Heinz, il fut recruté dans le nouveau projet de l'organiste Jon Lord. C'est lui qui trouva le nom : Deep Purple. Dans un premier temps en retrait, il se contente d'assurer merveilleusement bien sur les compositions symphoniques de Lord très inspirées par Vanilla Fudge, c'est-à-dire un Rock puissant et lyrique, à la posture outrancière, qui préfigure à grands pas le futur Heavy-Metal. Quelques tubes permettent à Deep Purple de briller dans les classements américains, avant d'être dépassé de toutes parts par Led Zeppelin, Jimi Hendrix, ou Jeff Beck Group. Un dernier projet de concert symphonique avec le Royal Philharmonic Orchestra de Londres au succès discographique mitigé achève de convaincre Blackmore que Deep Purple fait fausse route. C'est lui qui fait virer le chanteur Rod Evans et le bassiste Nick Simper pour les faire remplacer respectivement par Ian Gillan et Roger Glover. Le premier a une voix incendiaire capable de tenir tête à Robert Plant, le second a un jeu de basse bien plus rentre-dedans, capable d'aller taquiner Black Sabbath.

Le résultat ne se fait pas attendre, et à partir de l'album In Rock en 1970 commence une odyssée électrique de cinq petites années couronnées de succès commerciaux, et d'albums de Hard-Rock dévastateurs et novateurs. Deep Purple bombarde l'auditeur à coups de Fender Stratocaster et d'orgue Hammond branché dans une rampe d'amplificateurs Marshall. Le son goudronneux permet à Deep Purple d'être les alter-egos de Led Zeppelin et Black Sabbath. Les cinq musiciens sont des virtuoses de leurs instruments respectifs, n'hésitant pas à se lancer dans des joutes scéniques parfois brillantes, parfois indigestes, mais toujours dotées de cette folie extraordinaire dont le moteur principal est Ritchie Blackmore.

Ce rythme créatif au pas de charge entre albums et tournées mondiales épuisera le nouveau duo bassiste-chanteur, remplacé fin 1973 par David Coverdale et Glenn Hughes. Blackmore veut aller explorer des sonorités plus Blues, et trouve dans un premier temps le duo parfait. Mais les deux petits jeunes vont commencer à prendre de la place, jusqu'à refuser certaines compositions du guitariste. Cela va conduire au départ de ce dernier, excédé. Mais il faut rappeler qu'il avait déjà envisagé de partir pour fonder un nouveau groupe avec le batteur Ian Paice, le bassiste-chanteur Phil Lynott, et le chanteur Paul Rodgers. Le management et le reste du groupe ayant cédé aux exigences artistiques de Blackmore à la mi-1973, il régénéra à nouveau Deep Purple. Mais cette fois-ci, il n'a plus le coeur à lutter.

Son chemin va croiser un groupe du nom de Elf. Ce quintet américain assura plusieurs première parties de Deep Purple en 1972 et 1973. Ils seront même signés sur le nouveau label des anglais : Purple Records. Cet enthousiasme a une explication : le chanteur de Elf, Ronnie James Dio. Ce petit italo-américain développe une puissance vocale à la fois lyrique et rocailleuse qui impressionne Ritchie Blackmore. Les deux hommes sympathisent et aiment à discuter musique ensemble, ayant notamment le même goût pour les mondes médiévaux. C'est au cours d'une de ces discussions que se dessine le projet d'un groupe commun. Le guitariste veut partir de Deep Purple, et Dio stagne avec Elf. Le projet prend forme aux Etats-Unis, lors d'une des nombreuses soirées alcoolisées qu'ils partagent au Rainbow Bar&Grill de Los Angeles. Le nom du nouveau groupe est d'ores et déjà tout trouvé : Rainbow. Rapidement monté début 1975, Blackmore fagocite Elf, et capte un premier album éponyme alors qu'il assure la dernière tournée européenne de Deep Purple. Le résultat est de bonne qualité, les chansons sont plaisantes, mais la musique manque de vigueur, la faute à des instrumentistes autour de Dio et Blackmore un peu limités.

L'ombrageux musicien vire tout le monde sauf le chanteur, et recrute les meilleurs : Cozy Powell à la batterie, Tony Carey aux claviers, et Jimmy Bain à la basse. Rainbow va monter d'un cran en termes d'excellence musicale avec le puissant Rising en 1976. Le succès commercial fait lui aussi un bond en avant, en particulier en Europe. Il faut dire que les fans de Deep Purple, déçus de la nouvelle mouture avec Tommy Bolin, et orphelin de Blackmore, n'hésite pas à se tourner vers son nouveau projet. Et cela fait du monde. Sûr de sa force, Rainbow ratisse l'Europe, accompagné d'un immense arc-en-ciel lumineux, utilisé auparavant par Deep Purple en 1974 sur la scène du festival California Jam. Les prestations et les retours du public sont tellement enthousiastes qu'un album sur scène est capté : ce sera On Stage.

Moi qui fut un enthousiaste total de Deep Purple, je ne pouvais que me tourner vers Rainbow. Le quintet anglais était déjà merveilleux, alors un groupe avec son guitariste totalement maître du navire, cela ne pouvait qu'être fantastique. Je découvris Rainbow par cet album, acheté en vinyle car encore indisponible en cd, à part au Japon à prix d'escroc. Ritchie Blackmore y est effectivement bavard, mais pas pénible. Il laisse de la place à ses musiciens, mais dirige la manœuvre. Il n'y a en fait aucune longueur inutile, contrairement à certains albums en concert de Deep Purple où chacun devait avoir son quart d'heure réglementaire, quitte à user de quelques systématismes. Dans Rainbow, on sent Blackmore épanoui, explorant sa guitare avec une audace qu'il avait fini par perdre quelque peu à la fin de son séjour dans Deep Purple. J'oserai même dire que notre homme est heureux.

Cela ne l'empêche nullement de montrer les dents en ouverture : « Kill The King » est un furieux morceau. Il n'a par ailleurs encore aucune existence en studio, puisqu'il sera capté sur le disque suivant. Mais il semble que Rainbow déborde de créativité et ait déjà plus de morceaux à sa disposition qu'il n'en a déjà enregistré. Plus que jamais « Kill The King » est précurseur de bien des choses à venir, pour le meilleur comme pour le pire : tout le Speed-Metal, une partie du Thrash et du Metal symphonique lui doivent tout. Le rythme trépidant, le riff rugueux porté par les claviers, la voix puissante et presque théâtrale, puis le solo en forme de décollage interstellaire, beaucoup d'effets de style à venir proviendront de ce morceau, l'inspiration en moins. Si Rainbow est emphatique, il y a quelque chose qui l'empêche de tomber dans le ridicule ou le grotesque. Sans doute est-ce parce que ces musiciens sont à ce point bons qu'ils n'ont nullement besoin de forcer le trait pour emmener le public vers les cimes.

Ronnie James Dio était un chanteur au timbre posé et naturel, qui ne ponctuait ses parties que d'amples mais mesurés gestes de comédien pour appuyer ses paroles. Blackmore ferraille sur la droite de la scène, tout de noir vêtu, guitare Stratocaster blanche en main, les yeux mi-clos, extirpant de ses cordes les notes magiques. Les mains de Tony Carey virevoltent sur ses multiples claviers, usant en priorité d'un orgue Hammond. Jimmy Bain tient solidement le rythme, faisant le ciment entre claviers et guitare, et poussé par la puissante batterie double grosses caisses de Cozy Powell. La présence de ce dernier dans un groupe est l'assurance de gagner en attaque et en mordant.

Sur « Kill The King », Carey et Blackmore s'affronte sur un thème très inspiré de la musique du 17ème siècle. « Man On The Silver Mountain » issu du premier album prend un sérieux coup de pied aux fesses, Powell poussant le reste du groupe dans un souffle féroce. Voilà une sacrée bonne chanson, totalement révélée ici. Elle sera le théâtre d'une belle improvisation Blues de Blackmore et de Carey, ce dernier jouant avec ses synthétiseurs et apportant un petit effet comique apportant de second degrés à l'ensemble. Elle se clôt sur une reprise du thème du morceau « Starstruck ».
Le troisième morceau n'est autre que le « Stairway To Heaven » de Rainbow : « Catch The Rainbow ». Superbe morceau à la mélodie mélancolique et délicate, chanté admirablement par Dio, elle éclate en son milieu avec un superbe solo de Blackmore plein de force et d'intensité cosmique. Notre héros est poussé dans ses derniers retranchements par la rythmique et les claviers, développant un long thème poétique où il fait pleurer sa Stratocaster de larmes de joie et de colère. Chaque note est une syllabe, aucune n'est inutile ou futile. Porté par cette magie, Rainbow explore ensuite « Mistreated » de Deep Purple. Magnifique Blues qui était déjà le théâtre de somptueuses improvisations de Ritchie Blackmore, ce dernier va se dépasser. L'interprétation reste fidèle à l'originale, la voix de Dio en lieu et place de David Coverdale. Blackmore gratouille, trifouille, explore, en laid-back, en powerchords. Il se fait pointilliste, secret, fait miauler la Fender avant d'exploser, portant le morceau en une apothéose électrique dantesque.

« Sixteen Century Greensleeves » est un thème médiéval revisité par Rainbow sur son premier album. Il est ici porté au pinacle, le riff grondant comme un éclair de tonnerre dans l'air. Le talent de conteur de Ronnie James Dio est lumineux. Blackmore se lance dans un superbe solo usant de la bottleneck. Cet effet utilisé normalement dans le Blues est détourné pour donner un effet oriental aux notes du chorus du plus belle effet. Le disque se termine par une reddition sans pitié de « Still I'm Sad » des Yardbirds. Blackmore va chercher Jeff Beck sur son propre terrain, le premier étant un admirateur inconditionnel du second. Les deux personnages partagent d'ailleurs le même type de personnalité complexe et tempétueuse. La partie centrale est une belle improvisation en solo de Tony Carey aux saveurs Renaissance, avant que le groupe ne revienne sur le thème, et s'amuse avec, changeant le rythme, improvisant riffs et paroles. Le disque se clôt sur cette reprise inspirée.


Incontestablement, Rainbow est un grand groupe, et a enterré définitivement Deep Purple, qui d'ailleurs s'est séparé en juillet 1976 après une tournée calamiteuse causée par les problèmes de dope de Tommy Bolin, mais aussi de Glenn Hughes. Bolin s'éteindra en décembre de la même année, à peine âgé des fatidiques 27 ans. Le Rainbow de Rising et On Stage est lui aussi mort et enterré, ce disque en concert étant le dernier témoignage d'un second line-up disparu. Bain et Carey ont été virés, remplacés par Bob Daisley à la basse, et le discret David Stone aux claviers. Rainbow a atteint un sommet artistique, mais peine à s'imposer aux Etats-Unis, pas vraiment réceptive à ce Hard-Rock lyrique et puissant, et lui préférant les sonorités plus accessibles de Foreigner, Heart ou Boston.

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jeudi 15 septembre 2016

STONER BOX 2016

"Pourtant, le Rock n'est pas mort."

VARIOUS ARTISTS : Stoner Box 2016

Et si j'osais la grande question ? Le Rock est-il mort ? Ah, voilà donc en ces pages la fameuse arlésienne de toute la presse musicale depuis au bas mot trente ans. Rock enterré, toujours vivant, bla bla bla…. Vous vous dites sans doute que vu le contenu de ce que j'écris, la réponse est forcément non. Et pourtant, elle est bien plus nuancée.

Le Rock est mort : oui. Il n'est plus que l'ombre de lui-même, à plus d'un titre.Il est d'abord devenu une niche musicale, au même titre que le Jazz et le Blues. C'est une affaire d'amateurs, et d'experts ronflants, que j'essaie autant possible de ne pas être. Ce n'est pas étonnant, car les gamins aiment avant tout la musique de leur génération, qu'elle qu'en soit la qualité. L'heure est à l'électro et aux musiques dites urbaines, le Rock est celle de la génération d'avant. Et aucun gamin ne s'emballe vraiment pour la musique de ses parents, question de rébellion adolescente. D'autant plus que le Rock a beaucoup perdu à ce niveau. Symbole de révolte et de liberté, il est aujourd'hui récupéré, galvaudé. On trouve des tee-shirts de Motorhead ou d'AC/DC dans toutes les grandes enseignes de prêt-à-porter, de grands patrons et actionnaires se donnent l'air cool en organisant des concerts des Rolling Stones et en se sapant d'un perfecto et d'un jean, Led Zeppelin et Deep Purple sont aujourd'hui des musiques de publicité pour des parfums…. Tout cela parce que nos élites, nos leaders ont tous entre 55 et 65 ans, et pour avoir l'air branché, décide de mettre du Rock vintage partout : les pubs, les émissions de télévision…. Tout cela cache les mêmes mécanismes capitalistes qu'il y a trente ans, mais avec un vernis sympa.

Alors, les musiques électroniques ont-elles remplacé le Rock dans ce rôle de bande-son de la révolte ? Absolument pas. Mais nous avons aussi la musique que nous méritons. Elle n'est qu'une bande-son en club, dans le métro, en buvant un verre avec des amis. Fini le temps où l'on écoutait religieusement un album devant sa chaîne hifi, savourant les notes de pochette, le travail des musiciens, la qualité de la production…. On picore une ou deux chansons téléchargées en format MP3 sur son smartphone, dégueulées via un amplificateur gros comme un demi-ongle sur des baffles grosses comme un paquet de mouchoir. La qualité n'a aucun intérêt, c'est un bruit de fond. Alors, il faut que ce soit dansant, rythmé, une sorte de sous-disco, sympatoche et inoffensif. Toute la production est à notre image : clinquante, superficielle, égocentrique. Ne pas s'embarrasser de soli, ni même de musicien en studio, corriger toutes les imperfections avec des logiciels.

Le Rock est à cette image aussi : embarrassé de sonorités électros, resuçant à l'envi les mêmes gimmicks. Et il n'émerge de tout cela aucun groupe charismatique, qui sont à l'image de leur musique : insipides et inoffensifs. Les survivants de la glorieuse épopée tiennent toujours le haut de l'affiche malgré leurs soixante-dix balais. Bien qu'ils ne soient musicalement que l'ombre d'eux-mêmes, ils continuent d'incarner des idéaux, un fantasme de Rock créatif et débridé. Ils étaient surtout des artistes engagés, convaincus, prêts à aller au bout de leur rêve de musique et de liberté, jusqu'à en mourir pour certains. Tous nés juste après la Seconde Guerre Mondiale, ils ne voulaient pas de la petite vie étriquée de banlieusards de leurs parents. Même si au final, le rythme album-tournée usera bien autant que l'usine. Qu'importe, l'essentiel, c'était de ne surtout pas vivre la vie des autres. Les musiciens dits Rock d'aujourd'hui sont bien pâles à côté. Impossible de les distinguer vraiment, avec leurs tronches interchangeables, leurs absences totales de présence scénique, leurs déclarations politiquement correctes, leur mode de vie posé, bon père de famille, fidèle, et végétarien. Qui est capable de citer le nom des guitaristes de Coldplay ou de Radiohead ? Personne, car tout le monde s'en fout. Leurs groupes sont des produits marketing dans un vaste système commercial qui a désintégré la notion d'album et de création musicale. Fini le groupe qui se pointe à une heure du matin en studio après quelques pintes pour capter une version sur le vif d'un nouveau morceau. La spontanéité a disparu.

Force est de constater que sans vouloir faire le vieux con, indépendamment du style musical, la qualité intrinsèque des grosses locomotives commerciales est d'une nullité crasse. A tel point que faire écouter un morceau de Motorhead de 1979 à un adolescent est un choc terrible. En comparaison, ce Rock est tellement brut, sans aucun formatage, sincère, qu'il surprend par sa liberté de ton, son humanité. Et puis le Rock véhiculait aussi des valeurs qui ne sont plus de mises aujourd'hui. Lorsque Status Quo ou AC/DC jouaient sur scène, c'était en jeans et tee-shirts, l'uniforme ouvrier par excellence, celui de Marlon Brando et James Dean. C'est exactement le même que celui de son public, issu des usines et des mines de Sheffield, Manchester, ou Birmingham. Il y avait une collusion avec les fans, cette volonté de porter sur scène la révolte, d'être le porte-voix, et en même temps de dire que l'on est ensemble, qu'on se comprend : le groupe sur la route à trimer sans relâche, exactement comme le public, sur sa chaîne de montage. Stakhanovistes. Les paroles des chansons parlaient d'ailleurs des préoccupations de son audience : les virées entre copains, la paye à la fin de la semaine, la fille levée à l'arrière de vieille bagnole le samedi soir, les fins de mois difficiles…. Les musiques urbaines véhiculent l'air de notre temps : je me suis fait tout seul, je gagne plein de fric et du coup on me respecte, qu'importe si c'est pas très légal, ça fait rebelle. Et puis entre nous, gagner de l'argent en vendant de la came, ou en faisant fabriquer des godasses de sport à des gamins de six ans dans un pays sous-développé, qu'est-ce qui est le plus dégueulasse, au fond ? La seconde option est légale. La musique est le reflet de cet esprit individualiste aux saveurs ultralibérales.

Pourtant, le Rock n'est pas mort. Il est même bien vivant. Il n'existe aujourd'hui que dans l'underground, tapi dans l'ombre, porté par des fans refusant toujours le système. Après tout, le Jazz connut sa résurrection grâce à des musiciens comme Miles Davis et John Coltrane, puis tout le Jazz-Rock. Le Blues ressortit du bayou grâce aux groupes anglais des années 60. Alors le Rock va-t-il revivre grâce aux musiques électroniques ? Bien sûr que non, car comme je l'ai dit plus haut, les valeurs sont différentes : le Rock existe grâce à cette volonté farouche de liberté, cette spontanéité de création qui ne s'obtient qu'en jouant avec de vrais instruments. Quelques figures cachetonnent ci et là à la demande, comme Josh Homme ou Gene Simmons avec Lady Gaga. Le premier se fait un peu d'argent facile, la seconde gratte un peu de crédibilité musicale sachant qu'elle n'a fait sa réputation qu'en chantant, certes fort bien, sur de la grosse Dance moisie en montrant le plus de parties de son corps possible.

Mais au fond, le vrai Rock n'est pas là. Il se trouve par exemple dans ce fantastique coffret qu'est cette Stoner Box publiée par le label Cleopatra. Six disques remplis jusqu'à la garde d'un Rock électrique et gras, le Stoner-Rock, que certains osent considérer comme passéiste, alors qu'il n'en est rien. Tous puisent dans la musique des années 70, Led Zeppelin, Black Sabbath, Deep Purple, de la même manière que Jimmy Page ou Keith Richards puisèrent dans le Blues noir américain pour créer leurs propres chansons. Tous enregistrent dans de petits studios à l'ancienne, avec de vrais instruments en bois, et composent leurs propres morceaux. Ils publient de vrais disques sur des cds, et même des vinyles. Ils jouent partout où ils le peuvent, dans de petits clubs, seulement portés par les réseaux sociaux, unique concession à la communication moderne. Mais cela relève toujours du bouche à oreille. La plupart des formations sont presque inconnues, à part quelques noms cultes comme Pentagram, Nik Turner ou Atomic Rooster. Mais ces six disques sont absolument passionnants, il n'y a rien à jeter, juste un ou deux morceaux un peu moins captivants que la moyenne, très élevée. Tous ces groupes bouillonnent de créativité, et d'envie de jouer.

On ressent l'énergie, la passion, la fougue, et surtout, la modernité. Car il s'agit bien d'une musique moderne, nouvelle, qui n'a rien copié, ni samplé, mais s'est servie d'un matériau noble pour créer un son nouveau et sans concession. Alors les noms ne vous diront rien : Dead Meadow, Belzebong, Purple Hill Witch, Hark, Egypt…. Ils sont anglais, américains, mais pas que : le Stoner est international, allant jusqu'en Inde avec les très bons Bevar Sea. Vous pouvez secouer du chef en rythme dans votre voiture, ou écouter tous ces morceaux dans un bon casque audio, le plaisir sera intact. Vous savourerez la rugosité des guitares, le groove des batteurs, les voix féminines ou masculines, puissantes ou claires… mais en aucun cas,vous ne vous ennuierez.


Il faudra pour cela vaincre vos à-prioris, le conformisme inoculé sous intraveineuse depuis trente ans. Ecouter ce genre de musique, c'est finalement comme voter pour l'extrême-gauche. On est d'accord avec, on trouve ça génial, mais une petite voix finit toujours par nous ramener « à la raison ». C'est surtout un manque total de courage, qui nous empêche d'aller vers ce qui est fondamentalement créatif et à contre-courant. Il faut oser s'immerger, se laisser imprégner, et il vous sera alors impossible de revenir en arrière. Cette défiance, ce pragmatisme moral est le mal de toute notre société, tant sur le point de vue politique que culturel. Nous n'avons que la société que nous méritons, et la musique en est une de ces facettes, ne l'oublions pas. En attendant, il est probable que lorsque vous mettrez le premier disque de ce coffret dans la platine lors d'une soirée entre amis, certains laisseront tomber de stupéfaction leurs verres de mojito.

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lundi 5 septembre 2016

DEEP PURPLE 1974 Part 1

"Présenté à la presse en février 1974, Burn est le disque du renouveau."

DEEP PURPLE : Burn 1974

Dans les années 70, les choses allaient vite. Imaginez un peu que fin 1969, Deep Purple est un groupe en déroute. Après quelques simples à grand succès aux Etats-Unis en 1968, le quintet fondé par l'organiste Jon Lord publie un troisième album qui disparaît dans les tréfonds des classements internationaux. Le chanteur Rod Evans et le bassiste Nick Simper sont alors remplacés pour laisser la place respectivement à Ian Gillan et Roger Glover. L'objectif est d'opérer une mutation musicale profonde, et réorienter Deep Purple vers le Hard-Rock, qui triomphe grâce à Led Zeppelin. Le guitariste Ritchie Blackmore prend le contrôle des opérations après un ultime projet mené par Lord, un concerto enregistré au Royal Albert Hall avec le Royal Philharmonic Orchestra. Deep Purple devient un bombardier chromé, et va enchaîner les disques emblématiques : In Rock, Fireball, et Machine Head. Attraction scénique très demandée, Deep Purple n'arrête plus de jouer partout sur la planète, et en 1972, le groupe est au sommet du monde, triomphant au Japon où il enregistrera son mythique disque en public : Live In Japan.

Mais en 1973, rien ne va plus. Epuisés par trois années harassantes de travail, l'ambiance devient extrêmement tendue. Blackmore et Gillan ne se supportent plus, en venant régulièrement aux mains. Alors que le simple « Smoke On The W ater » est en haut des classements européens et américains, il faut penser à un nouvel album et à une nouvelle tournée mondiale. Et plus personne n'a vraiment envie de faire de la musique ensemble. A commencer par le guitariste Ritchie Blackmore.

Ce dernier a déjà participé à une escapade parallèle, accompagné du batteur Ian Paice. Il enregistre des classiques de Blues et de Soul en compagnie de Matthew Fisher de Procol Harum, et d'Albert Lee sous le nom de Green Bullfrog en 1972. Ces sessions sont très agréables, et provoque une rencontre capitale. Aux studios De Lane Lea, dans la pièce d'à côté, un autre groupe enregistre. Il s'agit d'un projet commercial qui se nommera Funky Junction, et qui a pour objectif de publier avec un budget plus que minimal un album de reprises de Deep Purple. Parmi les musiciens présents se trouvent Eric Bell, Brian Downey et Philip Lynott, soit Thin Lizzy au grand complet. Après deux albums sans succès, le trio irlandais, sans le sou, a accepté l'offre du producteur Leo Miller pour faire un peu de cash. Lynott se pose déjà de vraies questions sur les capacités de Thin Lizzy d'y arriver, mais il va persévérer en enregistrant un troisième disque, publié l'année suivante. En attendant, le contact avec Blackmore et Paice est excellent. Et il se trouve que ces deux derniers évoquent leur envie de faire évoluer Deep Purple vers un son plus Funk et Blues, soit exactement ce que pratique Lynott avec Thin Lizzy. Néanmoins, tout le monde repart de son côté.

Deep Purple publie en 1973 le tiède Who Do We Think We Are ?, qui montre au combien le groupe manque d'inspiration. La tournée qui suit est catastrophique, les relations entre Gillan et Blackmore sont arrivées à un point de non retour total. Deep Purple est au bord de la séparation. Le guitariste veut partir. Ce dernier est resté en contact avec Phil Lynott, qui lui aussi est en pleine crise. Le dernier album de Thin Lizzy, Vagabonds Of The Western World, ne s'est pas mieux vendu malgré le hit « Whisky In The Jar ». Il faut dire que cette chanson, une reprise d'un air traditionnel irlandais, ne reflète pas vraiment la musique du trio, et n'aura donc aucun impact sur les ventes du LP. Leur maison de disques Decca les lâche, et le guitariste Eric Bell décide de partir. Lynott est donc libre, et Blackmore est semble-t-il sur la même voie. Le batteur Ian Paice est prêt à le suivre. Lynott, Paice et Blackmore répète même ensemble, et décident qu'il faudrait un chanteur à part entière à la voix plus aigue, qui alternerait le chant avec Lynott. Le candidat idéal est aussitôt trouvé : il s'appelle Paul Rodgers. Lui aussi est disponible après la séparation de Free. Il se joint donc aux répétitions. Le projet se concrétise, et la rumeur arrive rapidement aux oreilles de Jon Lord.

L'organiste assiste à la déroute de son groupe. Il lui faut faire un choix : soit garder Gillan au chant et laisser Blackmore partir, soit conserver le noir guitariste et virer la voix de Deep Purple. Et la décision est d'autant plus urgente que Gillan a posé un ultimatum : il ne restera pas tant que Blackmore y sera. Mais Lord, Blackmore et Paice sont les trois membres fondateurs de Deep Purple d'une part, et Blackmore est l'artificier en chef du quintet, celui qui a composé les grands classiques Hard-Rock, et fait le show avec son jeu de guitare virtuose et incandescent. Il décide donc de laisser Gillan partir afin de récupérer son précieux guitariste. Les négociations sont entamées, et finalement, ce dernier revient. Une dernière série de concerts a lieu avec Gillan, qui assure tous ses engagements, dans l'animosité la plus totale avant son départ en juin.

Dans l'intervalle, Rodgers a accepté l'offre du guitariste de Mott The Hoople, Mick Ralphs, de le rejoindre dans son projet en gestation : le futur Bad Company. Quant à Lynott, abandonné à son triste sort, il décide de remonter son Thin Lizzy, aidé par son fidèle batteur Brian Downey et son ami et guitariste Gary Moore. Deep Purple se lance alors à la recherche d'un nouveau chanteur, mais il ne faudra pas très longtemps pour qu'un autre nom apparaisse, présenté par Ritchie Blackmore : Glenn Hughes. Il est le bassiste-chanteur d'un autre fantastique trio de Hard-Rock Funk : Trapeze. Ce dernier vient aux répétitions avec Deep Purple, Glover en est exclus. Hughes étant aussi bassiste, plus besoin de ce dernier. Qui plus est, Roger Glover étant un ami de Gillan, qu'il a ardemment défendu lorsque les tensions entre le chanteur et le guitariste étaient à leur paroxysme, voilà une excellente occasion de s'en débarrasser. De toute façon, il n'avait pas le jeu de basse requis pour les nouvelles idées de Blackmore. Glover prend donc son sac un mois à peine après Gillan. Hughes est confirmé à son poste en juillet.

Les répétitions du désormais quatuor vont bon train, mais deux problèmes se posent. D'abord, la transformation du format de quintet historique en quatuor chagrine Lord, et d'autre part, Hughes peine à assurer la basse et le chant sur les morceaux de Deep Purple, très exigeants techniquement. Il est donc décidé de trouver un autre chanteur, à part entière, et qui partagera le chant avec Hughes suivant les morceaux, et permettra des choeurs très Soul. Paul Rodgers fut un temps pressenti, mais le projet Bad Company étant bien avancé, il décline poliment. Des auditions débutent en août, et le choix se porte sur un chanteur inconnu, d'origine du Nord de la Grande-Bretagne : David Coverdale. Il est bedonnant, a de grosse lunettes fumées, mais a un timbre chaud et Blues parfait. De plus, il est totalement inconnu, ce qui évitera toute velléité d'égos face aux musiciens historiques.

Coverdale débarque de son salon de coiffure où il travaille pour rejoindre Deep Purple, pensant qu'il s'agit d'une simple audition. Personne ne lui adresse vraiment la parole, on lui indique simplement ce qu'il doit chanter. Il n'apprendra qu'à la fin de la journée qu'il est devenu le chanteur officiel de Deep Purple, mais moyennant une condition : exit les lunettes moches et le bide. On est une Rockstar ou on ne l'est pas. Le quintet débarque à Montreux, en Suisse, où la formation a déjà capté ses deux albums précédents, en compagnie du non moins fidèle producteur Martin Birch. Nous sommes fin 1973, et donc depuis 1969, Deep Purple, a viré son premier chanteur et son premier bassiste pour les remplacer, a publié quatre albums studios et deux albums en concert, a atteint les sommets des classements internationaux, a failli se séparer, a viré son second chanteur et son second bassiste, a embauché un nouveau bassiste-chanteur, avant d'opter pour un chanteur supplémentaire, et enfin se retrouve en studio pour enregistrer son huitième album. Le nouveau line-up est présenté le 23 septembre 1973 au château de Clearwell, où se déroulent les répétitions pour le nouvel album. Le 9 décembre, le groupe assure son premier concert à Copenhague.

Présenté à la presse en février 1974, Burn est le disque du renouveau. Deep Purple joue son va-tout après plusieurs rebondissements qui ont failli le conduire à sa perte. L'album aborde de nouveaux territoires musicaux. Et que valent les deux nouveaux venus ? Ces questions sont définitivement balayées dès le premier titre, l'éponyme Burn. Violente embardée de Speed-Rock, ce morceau devient instantanément un grand classique de scène pour le quintet. Vif, épique, agressif, il débute par un méchant riff de maître Blackmore, poursuivi par l'orgue de Lord, un peu en retrait. Paice fracasse ses caisses à grands coups de roulement sur les couplets. Coverdale chante en leader vocal le morceau, accompagné de Hughes sur le refrain et le pont central. Il est incontestable que les deux voix se marient à merveille, créant une puissance vocale inédite chez Deep Purple. Burn est le théâtre d'un somptueux solo de Blackmore suivi d'un chorus tout aussi néo-classique de Lord.

Après cet hymne authentiquement Hard-Rock, Deep Purple dévoile toute l'ampleur de sa nouvelle approche. « Might Just Take Your Life » est un superbe morceau de Hard-Soul dominé par la voix puissante et rauque de Coverdale. Son timbre ressemble parfois à celui de Stevie Wonder. La rythmique est puissante. L'orgue est très en avant, seul instrument à officier en solo. Blackmore se contente d'une rythmique efficace, visiblement très influencé par Booker-T And The MG's ainsi que par Albert Lee avec qui il joua avec Green Bullfrog.

« Lay Down Stay Down » mêle un peu plus clairement Hard-Rock et Funk Music : la rythmique est brutale, encore soutenu par d'innombrables roulements de caisses frénétiques. Le piano se fait très Blues, la basse a du groove, les choeurs sont très Soul. Coverdale et Hughes se répartissent le chant équitablement, croisant leurs organes admirables sur les refrains. L'interaction entre ces deux-là est superbe, d'un naturel confondant. Blackmore offre un solo audacieux, n'hésitant pas à aller à se frotter au Blues-Rock de manière plus évidente. On distingue l'influence de Peter Frampton, de Stan Webb, et d'Eric Clapton.

Le très bon « Sail Away » approfondit le sillon Heavy-Blues. L'atmosphère se fait plus noire, le riff est dense, le tempo se fait lourd et pesant. Les voix se croisent encore sur le refrain épique et lumineux. Lord a dégainé son Moog, et appuie le riff abrupte de Blackmore. Ce dernier se lance en fin de morceau dans un chorus sinueux et obsédant, à la saveur indianisante, circonvolutions de notes ondulant dans le lointain.

« You Fool No One » est un retour au Hard-Funk, avec sa batterie soutenue de cowbell et et son riff pointilliste, très rythmique. Le chant se fait à deux voix sur la quasi-totalité du morceau, comme un titre de la Motown. « You Fool No One » deviendra un autre grand classique du répertoire scénique de Deep Purple entre 1974 et 1976, théâtre de joutes virtuoses entre Paice, Blackmore et Lord sur près de vingt minutes. Le guitariste explore énormément, cherchant de nouvelles inspirations pour ses soli dans les musiques exotiques d'Afrique du Nord ou d'Orient. Il se montre ici particulièrement brillant, d'une expressivité rare, n'hésitant pas à laisser de la place à l'émotion là où il lui fut souvent reproché d'être un guitariste trop bavard et prétentieux.

« What's Going On Here » est un Boogie-Blues aux teintes rappelant ZZ Top. Ce n'est pas vraiment un hasard. Glenn Hughes connut avec Trapeze un succès aussi surprenant qu'important au Texas, alors que toujours inconnu dans son pays d'origine, jouant en tête d'affiche aux côtés de groupes comme ZZ Top, justement. Il est donc probable que « What's Going On Here » soit avant tout l'apport des deux petits nouveaux. Lord dégaine son piano de saloon, et s'offre un beau solo, le seul du morceau, Blackmore se contentant de bétonner la rythmique et d''enluminer les couplets et les refrains de petits chorus bluesy ravageurs.

Le paroxysme est atteint avec le sublime Blues « Mistreated ». Coverdale y est le roi, sa voix puissante et chaude fait des miracles, accompagné d'un Ritchie Blackmore tout aussi royal à la guitare. Là encore, lui à qui l'on a reproché de mettre des notes dans tous les coins, laisse parler le feeling. Il va notamment beaucoup jouer avec son vieil ami Stan Webb, guitariste de Chicken Shack. Leurs groupes respectifs partageront d'ailleurs la même affiche en mars 1975 en Europe. Webb lui enseigna la force de la note soutenue, et les attaques avant le retour au spleen. Blackmore découvre la nuance à la guitare, et son jeu à la technique unique gagne de manière éblouissante en force et en émotions. « Mistreated » en est la preuve éclatante, véritable Heavy-Blues dominé par le chant et la guitare.

« A200 » est un instrumental très spatial, au tempo martial, et dominé par les synthétiseurs de Lord. Il n'apporte pas grand-chose à la qualité du disque, mais le clôt de manière un peu déroutante. Sans doute est-ce une concession à l'organiste, plutôt discret sur ce nouveau disque dominé par les deux nouveaux et Blackmore. Ce dernier se permet d'y apporter un solo massif et cosmique du plus bel effet.


Burn déroutera dans un premier temps les fans de Deep Purple, notamment en Europe. Mais au pays du Blues et de la Soul, il décroche le sommet des classements, se vendant à huit millions d'exemplaires aux Etats-Unis. Deep Purple devient encore plus gros qu'avant, et va connaître les frasques mégalomaniaques des plus grandes Rockstars, comme les Rolling Stones et Led Zeppelin. Ils voyagent désormais dans un Boeing à leur nom, seront les têtes d'affiches du festival California Jam devant 350000 spectateurs. Pour l'occasion, un immense arc-en-ciel lumineux domine la scène. Leur prestation sera diffusée en direct par satellite à la télévision, privilège uniquement accordé à Elvis Presley en 1972. A la fin du set, Blackmore, exalté par l'événement, brise sa guitare puis s'attaque aux amplificateurs. Il y met le feu et les fait exploser, provoquant des dommages auditifs irrémédiables aux premiers rangs. Tous commencent bien évidemment à vivre les excès, à commencer par Coverdale et Hughes, qui découvrent la grande vie. Deep Purple domine le monde dans un cortège d'alcool, de cocaïne et groupies. Le rythme effréné de disques et de tournées va reprendre de plus belle, éreintant les esprits et les organismes. Et là encore, tout ira très vite.

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