dimanche 31 juillet 2016

THE RODS 1982

"Mais la musique de The Rods est jouissive d'efficacité."

 
THE RODS : Wild Dogs 1982

Rock'N'Roll et sexe sont deux expériences souvent liées. Alors en recherche d'albums de Heavy-Metal du début des années 80, en particulier de la fameuse New Wave Of British Heavy-Metal, chez un disquaire dont je conservais pieusement l'adresse à Noyon, en Picardie, je tombai sur un album de The Rods. Le nom ne m'était pas inconnu. Il faisait en effet partie des multiples références musicales de Metallica dont j'avais lu le nom. Mais cette fois-ci, il ne s'agissait pas de celles du batteur, mais du guitariste James Hetfield. L'homme était en effet friand de Heavy-Metal tord-boyau, dont deux noms ressortaient fréquemment : Tank et The Rods. Metallica partagea même l'affiche avec ces derniers, eux aussi américains.

Aussi, lorsque je trouvai cet album, le nom percuta immédiatement. Pourtant, j'hésitai un temps avant de l'acheter. Pas qu'il fut trop cher, il était même presque donné. Mais accompagné de ma sœur, et alors âgé de dix-huit ans, je fus gêné d'acheter un disque vinyle dont la pochette représentait une jeune femme en talons et porte-jarretelles blancs, posant de manière plus que suggestive, et léchant ouvertement une banane-godemiché. Le titre de l'album ? Let Them Eat Metal. Je l'achetai, gêné, et le cachai entre deux autres achats, ma sœur m'observant, le sourire en coin. L'album, tardif, datait de 1984, et était un de leurs derniers. Il était pourtant de bonne qualité, suffisamment en tout cas pour que j'insiste sur le sujet. Je retrouvai les autres albums en vinyle, toujours pour un prix dérisoire, avant de localiser des rééditions en disque compact avec bonus, quelques mois plus tard. The Rods devint pour moi un groupe jalon dans ma carrière d'amateur de Rock. Ils n'étaient pas les meilleurs, ni les plus violents, mais avaient dans leur ADN ce côté prolétaire, sale et méchant que l'on retrouvait dans une autre mesure chez Motorhead.

L'histoire de ce trio remonte en fait à bien longtemps. David Feinstein est un jeune guitariste originaire de New York. Fasciné par le Heavy-Blues de Cream, Led Zeppelin et Jeff Beck Group, il se procure une guitare et commence son apprentissage en autodidacte. Il fait bien évidemment de quelques groupes de lycée sans lendemain. Feinstein voulant faire de la musique sa vie, il décide de rechercher un groupe sérieux. Et une occasion en or se présente à lui. Il se propose comme guitariste dans le groupe de son cousin, un certain Ronald Padavona, dont le nom de scène est Ronnie James Dio. Il écume depuis le milieu des années soixante les clubs avec son groupe : Ronnie And The Prophets. A la recherche d'un guitariste, il accepte l'offre de Feinstein. Les deux hommes décident de réorienter la formation vers un son plus Heavy-Rock, et renomme le groupe Ronnie And The Elves, puis The Elves, et enfin Elf. C'est sous ce nom que le quintet obtient la première partie de la tournée américaine de Deep Purple en 1972. Ritchie Blackmore fut alors ébloui par la voix de Dio, et insista pour que ce groupe fasse leur ouverture. Il les fit signer sur leur nouveau label, Purple Records, et un premier album éponyme parut la même année. Elf assura deux autres tournées américaines avec Deep Purple. Mais devant le leadership de plus en plus encombrant de Dio, Feinstein décida de partir en 1973.

Il va vivre de petits boulots et de sessions, avant de rencontrer le batteur Carl Canedy en 1979. Les deux hommes veulent monter un power-trio de Heavy-Metal sans concession, dans la lignée de Cream. Il trouve d'abord comme bassiste un roadie de Black Sabbath, un certain Joey DeMaio. Ce dernier jouera sur les toutes premières démos de The Rods, avant de se consacrer à la tournée de Black Sabbath de 1980… avec Ronnie James Dio au chant. Puis il fondera son propre groupe : Manowar.

Il est remplacé par Steve Farmer, et c'est sous cette formation que The Rods enregistre son premier album en 1980 : Rock Hard. Et effectivement, ça rocke Hard. Le groupe est redoutable d'efficacité et de vélocité. Sans atteindre le niveau de violence sonore de Motorhead, ils sont pour la scène Hard-Metal américaine de sacrés teignes. Cette dernière est alors dominé par des formations au son chromé, séduisant les radios FM par leurs refrains fédérateurs et leurs ballades romantiques. Foreigner, Boston, Heart, Blue Oyster Cult, Kiss ou Journey dominent le terrain, et ont laissé derrière eux le côté agressif et subversif du Hard-Rock pour séduire le grand public. The Rods débarque avec une violence sonore pas entendue depuis les premiers disques de Ted Nugent. Ils sont fortement influencés par la scène européenne qu'ils ont découvert lors de quelques dates à Londres, où le son est en train de basculer du Punk à un nouveau Heavy-Metal à l'énergie décuplée. David Feinstein et Carl Canedy aiment cela, et y voit l'occasion de pouvoir jouer un Hard-Rock Blues puissant inspiré de leurs grands maîtres avec un côté bravache supplémentaire. Il n'est pas étonnant que c'est en Europe que The Rods se fait son premier public.

Gary Bordonaro remplace Farmer, et le premier disque reparaît en 1981 sur le label Arista, qui vient de signer The Rods. Voyant la chance tourner, il enregistre rapidement un second disque en février 1982, Wild Dogs. Il est rapidement suivi d'un EP en concert à Londres, Too Hot To Stop, démontrant toute la férocité du trio sur scène.

Le premier album était déjà doté de l'énergie représentative de la formation, mais ne disposait pas de compositions très fortes. Il va en être tout autre avec Wild Dogs. Gorgé d'hymnes Hard&Heavy, il ne laisse pas une minute de répit à l'auditeur imprudent. Inutile de chercher chez eux la moindre subtilité : il est question de filles faciles, de soirées viriles à base de Rock'N'Roll et de bière, et de gros cubes. Tous les clichés du genre sont là, triomphants. Mais la musique de The Rods est jouissive d'efficacité. D'abord parce que ses trois musiciens sont de sacrées pointures. Feinstein et sa guitare sont littéralement poussés contre le mur par une section rythmique en béton armé, ouvrant le feu comme un canon de 88 mm.

Les hostilités débutent par le venimeux « Too Hot To Stop ». Un riff crade et poisseux. La batterie cogne dur, et la basse vrombit. David Feinstein hurle ses tripes qu'il veut de l'amour jusqu'au bout de la nuit. Le son de la guitare est tendu, presque Punk, et n'est pas sans rappeler celui de Fast Eddie Clarke dans Motorhead. « Waiting For Tomorrow » est un Heavy-Rock véloce, chanté par Carl Canedy. Le timbre de ce dernier est moins hargneux, plus profond, presque Soul. Il est incontestable que l'homme chante bien, et s'avère un excellent contrepoint à Feinstein, qui interprète les morceaux les plus explicitement salaces de sa voix vicelarde de chien enragé.

C'est pourtant lui qui chante l'étonnant « Violation ». Le texte de ce titre est particulièrement dérangeant, puisqu'évoquant un homme couchant avec une jeune fille torride rencontrée un soir. Nous sommes dans la peau du personnage, qui semble se justifier. Puis il annonce que la police vient le chercher, qu'il ne comprend pas, et que le médecin lui donne un traitement. Et Feinstein de hurler sur le refrain : c'est un viol. De la part de ces machos graisseux, il y a de quoi être surpris, mais il s'agit d'une belle preuve d'intelligence de la part de ces trois gaillards. La version en concert capté sur l'album live est introduite par un monologue ressemblant à la déclamation d'un malade mental racontant sa mésaventure, de son point de vue, au fond de sa cellule d'hôpital psychiatrique, avant que le groupe n'achève le morceau dans un déluge de riffs méchants et de choeurs hurlant « It's A Violation ». Le riff mortifère et le tempo plombé appuient encore l'ambiance noire de ce morceau redoutable.

« Burned By Love » est un Hard-Rock mordant chanté par Canedy, suivi du titre éponyme, violent, et très inspiré du son de la NWOBHM, dans son riff brutal comme dans son tempo rapide et cassé. La guitare est presque Punk, et préfigure déjà une forme de Thrash-Metal à venir. Les soli de Feinstein sont rapides comme un desperado. La comparaison avec Fast Eddie Clarke est encore évidente.

La surprise du disque provient de cette reprise de « You Keep Me Hangin On » des Supremes, via la version des Vanilla Fudge. Mais si l'on reprend l'histoire de David Feinstein, rappelons qu'il est de New York, et qu'il a débuté à la fin des années 60, c'est-à-dire au moment où Vanilla Fudge, eux aussi de New York, brillait internationalement. Cette version n'apporte pas grand-chose, et peut même être considéré comme un point faible du disque.

Il n'en est pas de même pour « Rockin'N'Rollin' Again », morceau trépidant et addictif, sublimé dans sa version en concert à Londres quelques mois plus tard. Il ouvrira tous les concerts de l'époque, et remplit parfaitement son rôle de morceau prenant à la gorge d'entrée le public. « End Of The Line » est un Blues-Rock poisseux prétexte à d'excellents soli de Feinstein, et à une prestation vocale de Bordonaro, peu convaincante. « No Sweet Talk Honey » est un macho-Rock est une incandescente embardée de Heavy-Hard brutal qui fait à nouveau la démonstration du brio du trio.

Le disque se conclut par l'excellent et menaçant « The Night Lives To Rock » chanté par Canedy. Notre batteur chante tellement puissamment que son timbre se confond avec celui de Feinstein. Les deux hommes alternent d'ailleurs le chant à un point que l'on finit par les confondre. Le riff violent n'est pas sans rappeler Motorhead et Tank, soit les deux formations anglaises les plus brutales de l'époque. Feinstein déverse un torrent d'acier en fusion sur l'auditeur, avant d'enflammer l'air du kérosène de sa guitare lorsqu'il part en solo.


Assurément, The Rods était le groupe américain à suivre, l'un de ceux ne faisant aucune concession. Dans l'univers clinquant du Hard-FM américain, ils détonnaient sérieusement, mais en Europe, il semblait évident qu'ils avaient tout le potentiel pour devenir un groupe qui compte. Ils ne trouveront malheureusement le succès escompté, rapidement dépassés en violence par leurs compatriotes de San Francisco : Metallica et Slayer. L'Europe connaîtra elle aussi l'arrivée de formations plus brutales comme Venom et Celtic Frost, scellant le destin de The Rods, dont le Hard-Rock jouissif avait pourtant temps à donner. Mais ils se batteront, offrant trois albums et un live supplémentaires tout aussi généreux en électricité rebelle.

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lundi 25 juillet 2016

RORY GALLAGHER 1974

"Si Rory Gallagher est timide et réservée à la ville, il n'en est pas de même sur scène, surtout sur ses terres."

RORY GALLAGHER Irish Tour '74 1974

Rory, petit frère irlandais trop tôt disparu, fit résonner sa guitare à travers la planète, sans relâche. Jusqu'à l'épuisement, jusqu'à sacrifier sa vie personnelle, il écuma les scènes, jouant soir après soir son Blues-Rock magique. Gallagher avait cela dans le sang, depuis qu'il a commencé la guitare. Depuis les débuts de Taste en 1966, avec deux copains de Cork. Un trio de Blues qui, en même temps que Cream et Jimi Hendrix Experience, mais à un niveau plus modeste, développa une musique électrique et irrévérencieuse. Le trio initial se disloqua à la demande de la maison de disques Polydor, qui venait de le signer. Le guitariste était excellent, mais le bassiste et le batteur pas au niveau. Rory n'en avait cure. Ce qu'il aimait, c'était l'interaction, l'aspect humain.

Avec l'arrivée de Richard MacCracken à la basse, et John Wilson à la batterie, le niveau technique était là, mais pas vraiment l'entente amicale. C'est que le guitariste était un être des plus sympathiques, mais aussi des plus déterminés. Il avait une idée précise de sa musique, et était un compositeur doué. Aussi, il n'y avait que peu de place pour les deux nouveaux, qui en 1970, après deux fabuleux albums couronnés d'un succès commercial et critique plus que notable, décidèrent de faire valoir leurs droits à participer à la composition, et donc aux droits d'auteur. A cela se greffa une vieille rivalité politique, tristement typique de l'Irlande : le conflit entre le Nord et le Sud. Gallagher n'en avait rien à faire de tout cela, mais les deux trublions originaires de Belfast mirent sur la table le fait que le leader de Taste était un homme de l'Irlande du Sud cherchant à les écraser. L'ambiance devint vite irrespirable, et la musique impossible à écrire. Il ne put donc que se résoudre à dissoudre le trio, et fonder le sien, à son propre nom, afin d'entamer une carrière solo.

La séparation de Taste sera une blessure profonde dans le cœur de Rory Gallagher. Il n'aura de cesse de surpasser cette douleur, que ce soit par ses textes, la richesse de sa musique, ou le succès critique, commercial et scénique de son groupe à son nom. C'est sans doute aussi ce qui apportera cette âme si particulière, ce Blues profond qui hante ses chansons jusqu'à sa mort. La désillusion du premier groupe de jeunesse, la médiocrité de l'homme et de ses conflits absurdes, apporteront une philosophie un peu amère à Rory. Il ne se départira pourtant pas de sa sincère gentillesse, une humanité qui transpire à chaque note, et se lit sur son visage jovial, déformé sur scène par la force de sa musique.

En 1974, Rory a déjà quatre albums à son actif, dont deux rien que l'année précédente. Chacun connaît un succès croissant qui permet au musicien de parcourir en 1973 L'Europe et les Etats-Unis, pour la première fois. Ils accompagnent deux formations extrêmement populaires aux USA : Deep Purple et The Faces. Durant ce tour mondial, il décide de réaliser une vraie série de concert dans son pays natal  en décembre 1973 et janvier 1974 : l'Irlande. Rory est alors de retour dans son pays pour les fêtes de fin d'année. A cette occasion, il en profite pour donner quelques concerts. Mais cette fois-ci, le contexte est différent. L'Irlande vit une période de guerre civile débutée dans les années 60 due à une ségrégation des droits civiques des loyalistes protestants pro-anglais contre les nationalistes catholiques irlandais. Les deux camps s'affrontent dans un conflit sanglant, surnommé avec un flegme tout britannique les Troubles, et attisé par les groupes armés comme l'IRA et l'armée britannique sur place. En 1972, une manifestation pacifiste de 20000 personnes est réprimée dans le sang par cette dernière, faisant 14 morts. Ce jour funeste sera appelé le Bloody Sunday. Il sera suivi par une victoire des loyalistes aux élections de l'Assemblée Nord-Irlandaise, et l'échec de la proposition des nationalistes d'une assemblée proportionnelle entre les deux camps. Les loyalistes, craignant un retrait de l'armée britannique et des représailles des nationalistes, reprennent fin 1972 leurs campagnes de violences. Les ghettos catholiques s'embrasent, et plusieurs attentats et exécutions ont lieu durant l'année 1973. Les rapports entre loyalistes et gouvernement britannique se détériorent suite à ces actes. Les premiers lancent une grève générale qui engendrera sept morts du côté catholique. L'IRA répond par des attentats. C'est dans ce climat que le Rory Gallagher Band se lance dans sa tournée irlandaise.

De plus, le groupe a vu sa popularité croître en un an de manière significative. Suffisamment pour que trois chaînes de télévision fassent des propositions de documentaire dans ce contexte difficile. Mais soucieux de ne pas voir ces concerts détournés de manière politique, Rory Gallagher opte pour un tournage indépendant. Trois concerts seront captés, sur bandes et en film, afin de célébrer le retour du héros au pays. Il n'y en aura pas plus. D'abord parce que le management obtient péniblement l'autorisation de l'armée britannique de permettre un concert à Belfast, et ce grâce à la notoriété nouvelle de Rory. Ensuite parce que le studio mobile d'enregistrement, le Ronnie Lane Mobile, sera bloqué par les autorités britanniques avant sa traversée de la Mer d'Irlande, faisant rater la captation du premier concert.

Et le tournage ne sera pas des plus simples non plus. Tony Palmer est chargé du tournage. Il s'agit d'un long-métrage tout simple, avec de généreux extraits de concerts, des interviews des protagonistes sur la tournée, et des impressions de Rory sur son retour au pays. Mais afin d'illustrer un peu le contexte, Palmer part dans les rues de Belfast prendre quelques vues de la ville, ce qui déplaira fortement à l'armée britannique, qui stoppera le tournage une journée et donnera ses consignes au réalisateur.

Le Irish Tour '74 sera malgré tout un succès, les salles sont pleines à craquer, et le Band fait un véritable tabac tous les soirs. Le concert de Belfast a lieu dans le Hall de la ville, qui n'est autre qu'une salle de bal. Le son est épouvantable, résonnant comme un hangar de marchandises. Pourtant, le groupe réussit le tour de force d'offrir une prestation au son étonnamment bon, et d'une qualité musicale de haut vol. Devant un public irlandais meurtri, le Blues de Gallagher sonne d'une intensité toute particulière. La douleur des notes entre en symbiose avec celle de ce petit peuple martyrisé par un conflit religieux absurde vieux de trois siècles. Pendant deux heures, les deux camps se retrouvent en paix, devant un porte-parole malgré lui d'un pays à feu et à sang, mais dont la générosité et le talent soignent toutes les blessures. Rory offre ainsi le temps d'un concert un peu de chaleur humaine là où il n'y en a plus.

Le Rory Gallagher Band a trouvé une incarnation stable depuis deux ans, avec le fidèle Gerry MacAvoy à la basse, présent depuis les débuts en solo de Gallagher, Rod DeAth à la batterie, et Lou Martin au piano électrique. Ce dernier vient étoffer le son du trio initial, et permettre de soutenir le guitariste durant ses improvisations, tout en trouvant un partenaire soliste. Lou Martin est un ancien musicien de l'excellent quintet de Blues Killing Floor, qui produira deux albums marquants. Suffisamment en tout cas pour embaucher Martin à ses côtés, persuadé que leur association sera fructueuse. Et il avait raison, le bougre.

Le double album initial, Irish Tour '74 est un des tous meilleurs albums en concert de toute l'histoire du Rock. Généreux comme son auteur, il transpire l'énergie, l'inspiration, la complicité, le plaisir de jouer. Le public est en transe, répondant à toutes les sollicitations au quart de tour. L'électricité est sur scène et dans la salle.

C'est avec ce disque que je vais commencer mon odyssée dans l'univers magique de la musique de Rory Gallagher. Pour moi, le guitariste-chanteur de Blues-Rock solo n'est pas forcément quelque chose qui me fascine. Il ressemble davantage à Eric Clapton ou Robert Cray au début des années 90. C'est une musique rébarbative, terne, avec des musiciens au garde-à-vous, ne cherchant surtout pas à faire d'ombre au patron. Je saurai découvrir bien plus tard l'oeuvre de Clapton, mais pour l'heure, tout cela me fait peur. Et si cet irlandais était un chiant du manche ? Dès les premiers accords de « Cradle Rock », l'attaque en picking solo ponctué de grognements possédés, le doute est totalement balayé. Ce petit gars a de la poigne et du coeur. Il ne pouvait en être autrement d'un type portant jeans, chemise à carreaux et vieille Stratocaster râpée. Il avait l'âme du prolétaire, Rory, et savait faire plaisir à ce public ouvrier qui venait l'acclamer autant que Status Quo.

Il a aussi le sens du groupe, Rory, n'hésitant pas à présenter tout le groupe dès la fin du premier morceau. C'est qu'ils sont devenus sa famille. Donal, le frangin, est bien là pour assurer le management, mais c'est avec ses musiciens qu'ils passent le plus de temps. Alors il veut les conserver le plus longtemps pour obtenir la cohésion d'un vrai gang. Ils partagent tout : repas, concerts, la bière après le show. Il n'y a guère que les filles. Pas que Rory n'y goûte pas, mais en véritable puriste, l'homme a décidé de sacrifier toute potentielle vie de famille pour vivre sa passion de musicien. Et comme il n'est pas du genre baiseur sous défonce, il ne préfère pas s'attacher. La seule à pouvoir partager son lit est sa Fender Stratocaster achetée en 1964 qu'il ne quitte pas, et dont la peinture s'écaille sous sa transpiration, soir après soir.

Si Rory Gallagher est timide et réservée à la ville, il n'en est pas de même sur scène, surtout sur ses terres. « Cradle Rock » est un sacré coup de fusil. Dès l'introduction, et l'arrivée de la rythmique, il ne lâche plus son public, mordant la chair comme un chien affamé. Il va nous vriller le cerveau de son Blues-Rock puissant et agressif. Pourtant, il ne s'agit aucunement de Hard-Rock au sens où on l'entend. La musique de Gallagher est ancrée dans un Blues noir séculaire, mais aussi dans la musique traditionnelle irlandaise, ce qui lui donne ce lyrisme si particulier. De ce fait, chaque morceau est un voyage vers des horizons magiques, et ce d'autant plus qu'il est un soliste et improvisateur de premier ordre, jamais rébarbatif, jamais prétentieux. Aucun morceau ne dépasse les cinq minutes si cela n'est pas nécessaire. Et quand on atteint les dix, c'est que Rory a envie de causer.

« Cradle Rock » est pour lui l'occasion de faire la démonstration de sa technique de bottleneck, très particulière. En effet, il ne met pas le tube de métal sur son majeur, mais sur l'auriculaire. Cela lui permet ainsi de pouvoir toujours faire des accords et des solos sans slide, puis d'en incorporer quand il le souhaite. Cela exige une dextérité très particulière, dont il est l'un des rares à en être capable. Après ce «Cradle Rock » incandescent, il livre un premier Blues mid-tempo rustique mais redoutable : « I Wonder Who ». L'interprétation n'est jamais ennuyeuse, appuyée par une rythmique furieuse, et un piano électrique léger et toujours à bon escient.

Ce qui fait la grande incandescence du Rock de Gallagher, ce sont ses chansons. Il est un compositeur fabuleux, capable de mêler toutes ses influences dans un même morceau avec un naturel évident. « Tattoo'd Lady » est un exemple évident de ces Rock-songs efficaces et généreuses, à la mélodie joviale et entraînante. Le solo de Gallagher est puissant et concis, apportant toujours un plus à la mélodie, créant un crescendo d'émotions lors de l'écoute. « Too Much Alcohol » est un bon vieux Blues-Boogie redoutable, claquant dans le coeur des prolos du public. Rory y parle de boisson, de ces liqueurs aux couleurs ambres qui font oublier le merdier le temps d'une nuit. Notre héros goûtait à cela bien volontiers, en bon irlandais qu'il était. Les pintes de stout et le whisky n'étaient pas pour lui déplaire, mais il ne fut jamais un furieux alcoolique aux blagues débiles comme Motley Crue ou Ozzy Osbourne. Il est fort probable que la solitude lui pesait parfois, comme elle pesa plus tard sur les épaules du sensible Bon Scott, lorsque ce dernier se retrouvait seul tard le soir au comptoir du bar de l'hôtel, après avoir vécu la foule en délire deux heures avant. Gallagher se posa bien d'autres questions, à commencer par ce qui pouvait encore valoir plus cher entre sa musique et une vie de famille aimante. La comparaison avec son frère Donal fut régulièrement un défi pour ce célibataire convaincu mais peu sûr de lui.

« As The Crow Flies » est une superbe reprise d'une chanson de Tony Joe White, intermède acoustique où Rory se saisit de son dobro. Ce morceau remplace l'inusable « Going To My Hometown », morceau traditionnel irlandais que Gallagher jouait avec sa mandoline à chaque concert depuis trois ans. Il était l'occasion de faire taper du pied et des mains le public, comme une bonne chanson à boire. « As The Crow Flies » est un superbe Blues acoustique, à l'émotion intacte, lumineuse. Comme Bob Dylan et Neil Young, il utilise un porte-harmonica, jouant simultanément de la guitare. On ressent l'émotion des hautes plaines, le vent qui souffle sur celles de l'Arizona avec Neil Young comme sur celles, vertes d'Irlande, de Rory Gallagher.

« A Million Miles Away » est un des grands sommets de cet album. Sa mélancolie, son spleen prenant au ventre est un miracle sonore ultime. Rory y développe justement dans ses paroles la solitude d'après-concert, le salle de restaurant et le bar où il n'est qu'un anonyme après le gig. Il y évoque autant l'écart entre ces deux instants, que cette femme rêvée qu'il a laissé là-bas chez lui, pour partir sur la route. L'interprétation, les accords, la voix sont poignantes au possible, les viscères vrillées de douleurs amères. Le médiator trotte sur les cordes de la Stratocaster râpée, chantant une ballade irlandaise triste, avant que Rory ne joue sur le sustain pour créer des sanglots électriques qui traversent l'air de la salle silencieuse, subjuguée. Il chante, il pleure, il rit, le petit homme de l'Eire. Le public commence à frapper des mains en rythme, soutenant leur héros dans son chagrin.

Il décide aussitôt de le prendre à la gorge avec un bouillonnant Hard-Blues : « Walk On Hot Coals ». Gallagher fait la démonstration de tout son brio de guitariste, mais aussi de showman. Ravageant des kilomètres de riffs et de chorus électriques, ils carbonisent l'audience. Il ralentit en son sein le tempo pour jouer avec lui, décochant de petits soli en picking avant la reprise du thème et l'explosion finale. C'est une virée en bagnole, extraordinaire de vélocité.On court sur le bitume, la ligne blanche défile dans le rétroviseur. On sent son coeur palpiter de plaisir, rythmé par les accords de Rory.

Après ces deux compositions plus électriques, ils s'engagent sur deux pièces de musique plus authentiquement Blues. « Who's That Coming ? » débute par des embardées de bottleneck. Il en fait toute la démonstration sur ces dix minutes de Blues transpirant le bayou. Il ne le quitte pas pour la conclusion pour ce morceau évocateur : « Back On My Stompin' Ground ». Il est de retour chez lui, notre héros, et il joue le Blues, pour nous. Ces deux morceaux plus rustiques sont également deux compositions originales, ce qui fait que le sur dix morceaux et un double-album, on ne compte que deux reprises avérées. Gallagher était donc bien un compositeur doué, et pas uniquement un technicien et un arrangeur. « Just A Little Bit » est un Boogie-Blues improvisé en répétitions avant les concerts, et outre sa mélodie obsédante, conclut ce magnifique disque sur un profond sentiment d'humanité dans cette musique.

Sincère, généreux, ce disque est doté de toutes les qualités d'un grand enregistrement en concert, comme il y en a finalement bien peu. Rory Gallagher vient de mettre sur bande l'aboutissement scénique de morceaux de sa seconde partie de carrière d'une part, et un témoignage de ses concerts irlandais de fin d'année d'autre part, dans un contexte tendu. Sans faire de politique, il s'est affirmé, et a crée la bande-son d'une période trouble de son époque et de son pays. Le film, simple et humble, n'en sera que le témoignage visuel supplémentaire.



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dimanche 17 juillet 2016

YELLOW TOWN

"Caché dans la montagne. C'était donc ça."

YELLOW TOWN : Hidden In The Mountain 2016

Il est 20h30 à Autun, petite cité historique de Saône-Et-Loire nichée aux portes des collines du Morvan. L'air est frais dans les rues de ce mois de juillet censé être estival. Mes parents et moi-même nous dirigeons vers un pub irlandais de la ville, où se joue un petit concert pour une poignée de spectateurs. Je n'attends d'habitude pas grand-chose de ce genre de sets, à part passer un moment agréable en buvant une bière. Je suis peu confiant envers la scène musicale locale, d'où qu'elle soit. Pas très inspirée, maladroite, elle déborde jusqu'à la lie de ce cocktail de Pop-Folk électro un peu bobo sans grand intérêt pour mes oreilles sensibles. Je ne suis de toute façon pas venue dans le Morvan pour écouter de la musique, mais pour passer un moment en famille. Les soucis de ces derniers mois m'ont parfois fait perdre de vue l'essentiel, et je ressens le besoin d'y revenir, à ce fondamental, avant d'avoir le moindre regret.

Autun est une petite ville agréable, à la riche histoire multi-millénaire. Il se cache partout dans cette campagne de jolis sites, des vues prenantes émerveillant l'oeil averti, encore relativement vierge de tout saccage touristique à grande échelle. Il se dégage pourtant de cette ville et de ces villages alentours une grande mélancolie. On y voit une population vieillissante, agricole, déambulée sur les petits marchés subsistant localement, exhalant une atmosphère de sérénité rurale séculaire. Partout, des maisons sont abandonnées ou à vendre, des usines fermées, traces d'une activité humaine riche, entre agriculture familiale et vie ouvrière. Tout cela s'éteint doucement, dans une forme de résignation et d'amertume. Les hollandais en recherche d'une résidence secondaire à moindre coût ont racheté quelques bâtisses, ne remplaçant pas la vie simple de tous les jours, enfuie, qui animaient les rues des bourgades du Morvan. Et certains de ces envahisseurs à l'étrange accent partent, lassés de ces terres rudes à la poésie enfouie dans sa terre.

Ces quelques jours me sont appréciables, et me permettent une pause dans des instants toujours compliqués, invariablement depuis presque trois ans. Ils avaient bien mal commencé, victime d'un sale microbe qui me ravagea les tripes pendant vingt-quatre heures. Mais comme il semble que rien ne soit simple et aisé lorsque je décide d'entreprendre quelque chose, je suis résigné. Je suis assis à ma table en pin, devant une pinte de bière ambrée, l'esprit fatigué, face à la petite scène improvisée en pleine rue. Ma mère me montra le dépliant informant du concert de ce soir. Une rapide présentation entre enthousiasme gratuit et platitudes de rigueur évoque une formation originaire de Nevers : Yellow Town. Le style musical indiqué est absolument fourre-tout et sans intérêt : Folk-Rock. Mais cela me semble être tout à fait suffisant pour boire une pinte tranquillement.

A la table à côté de nous, un jeune homme barbu finit de manger avec trois autres personnes d'une cinquantaine d'années. Il me paraît clair qu'ils sont les musiciens, et leur apparence sympathique et sans prétention m'informe qu'il s'agira d'un set agréable. Deux d'entre eux monteront finalement sur scène : le jeune homme empoignant une guitare Gretsch hollow-body noire et son comparse un kit de batterie. Dès les premiers accords à la fois électriques et pleins de réverb, il me paraît clair que je n'assisterai pas à un simple concert de rue classique. La voix est d'abord un peu noyé dans le mix, avant de se clarifier pour en révéler son âme. Le jeune homme chante bien, avec une voix très naturelle, peu forcée, avec de la personnalité. Il n'a pas les manières des chanteurs d'émissions de télévision, cherchant à se donner un style avant de chanter juste. Il s'agit clairement de ses propres compositions qu'il semble vivre avec conviction, les yeux fermés. Premier chorus de note en picking, jouant avec le larsen, de grands accords en chords, visiblement, notre homme est manifestement inspiré par Neil Young. Voilà une bien belle référence pour un musicien français. Nous n'aurons pas droit ce soir à un brouet de Ben Harper-John Butler devenu aussi systématique que fatiguant. Accompagné d'un percussionniste aussi efficace que discret, totalement au service du leader du duo, les mélodies font effet. Il ne s'agit pas de pâles copies de Neil Young, mais d'une musique originale abordant aussi les terres américaines de Bob Dylan. La guitare acoustique est utilisée d'une manière tout aussi réjouissante, utilisant un micro pour créer de grands accords électriques à la manière de John Martyn. Quelques reprises aussi osées que judicieuses se mêlent aux compositions originales : « Ohio » de Crosby-Stills-Nash And Young, et « Voodoo Chile » de Jimi Hendrix, dans une version poussiéreuse et rugueuse, ou notre homme n'ira surtout pas se frotter à la virtuosité de l'auteur original, mais va utiliser la mélodie pour y injecter sa personnalité.

Le concert va bien tristement être gâché par des averses puis un violent orage, qui vont couper net l'intérêt du public, le nez dans son assiette, pourtant crée au bout du second morceau. Il sera ruiné définitivement, le set se terminant sous des trombes d'eau. Je tenterai de suivre cette prestation digne d'intérêt pauvrement abrité, moi et mon père, sous une entrée d'immeuble jouxtant le côté gauche de la scène, avant de battre tristement en retraite au dernier morceau. Las, conscients que le public s'est dispersé et que le matériel est en danger, Yellow Town se réfugie avec une guitare et une percussion dans le pub pour jouer quelques morceaux en acoustique. Je n'y assisterai pas. Le Pub déjà bondé du public réfugié et mon père trempé et transi de froid me feront choisir la voie de la raison, et nous battons retraite. Je n'ai que le temps de demander où trouver le disque du duo au batteur, qui m'indique leurs deux amis encore sur la scène, démontant le matériel. Je récupère un exemplaire, puis nous nous éclipsons dans la nuit, le vent, la pluie et les grands éclairs électriques. En rentrant, séché, je glisse rapidement le disque dans la chaîne de la maison. Dès les premiers morceaux, je retrouve la saveur du concert, je reconnais quelques chansons. Je suis rassuré, l'album est à la hauteur des attentes dessinées par le concert. Je pars me coucher, content de ma découverte.

Nevers. Ville nichée au coeur du Morvan, capitale de la Nièvre, essentiellement connue par les parisiens pour son circuit et son Grand Prix de moto, elle est dotée de cette même atmosphère de fin de règne ressentie à Autun. Perdue dans les collines verdoyantes, blottie dans une grande forêt séculaire, elle se bat pour survivre. Une petite scène artistique tente de faire vivre le coeur de la vieille cité agricole et fluviale, loin de tout, animée par quelques groupes et quelques bars. On y retrouve un patrimoine historique cher aux petites villes de province des vieilles régions de Bourgogne et Franche-Comté. De beaux monuments aux taille modestes mais à l'intérêt certain, sont disséminés à travers les rues et les sentiers, comme figés dans le temps, contemplant le siècle de leur désolation. Les populations y sont attachées, comme à ces campagnes calmes et fraîches, encore préservées de la violence urbaine et du tourisme à sandales-chaussettes. J'y ai passé quelques week-ends à Nevers, m'y rendant pour le travail comme pour des rencontres amoureuses furtives. Traverser les grandes forêts en voiture, sillonner ces vertes prairies m'avait donné la sensation d'une nouvelle liberté, l'esprit encore troublée par la confusion d'une rupture violente qui m'avait conduit au bord du précipice. Je n'avais pas trouvé ce que je cherchais, mais je fus touché par l'âme de ces paysages et de ces pierres. Nevers, Autun… elles étaient les cités d'un autre monde, sur le fil tendu entre tristesse et douceur de vivre.

C'est tout cela que j'ai retrouvé sur ce disque : Hidden In The Mountain. Caché dans la montagne. C'était donc ça. Comme un ermite, comme un résistant, j'avais moi aussi trouvé refuge dans les collines du Morvan. Comme pour que plus rien ne m'atteigne, pour retrouver l'apaisement, un instant pour m'asseoir, me poser, réfléchir, et penser à nouveau. En cette période de ressac douloureux, je revois les images. J'ai à nouveau l'amertume dans la bouche. Ces quelques jours vers Autun était à nouveau un besoin de respirer dans cette montagne, trouver un espace pour laisser mon esprit se vider de ses doutes.

Yellow Town est un sacré groupe. Le mystérieux jeune homme sur scène comme sur la pochette s'appelle Thibault Lavèvre. Il est bien français, son petit accent sur les textes anglais le dénote, et il est originaire de ces montagnes. Ce garçon a indéniablement un immense talent. Il se dégage de l'album une atmosphère de mélancolie nimbée de grands espaces sauvages. Les yeux scrutent l'horizon, le regard perdu dans les pensées amères et l'envie d'avancer sans se retourner. Les chansons créent un climat fait de poussières et de cendres, le vent soufflant sur la route que l'on prend au petit matin pour partir, des boules de broussailles sèche traversant le bitume.

Dès « Never Kneel Down » et son riff rageur rappelant « Cowgirl In The Sand » du Loner, le paysage est posé. On y trouve cette belle sensation de voyage et d'espace vers un nouvel univers, loin de la douleur. Banjo et guitare acoustique s'entremêlent sur les grands riffs tonnant dans l'horizon. « Temples » est une belle mélodie, chanson d'amour tendre pour l'être désiré après les sombres années de tristesse. L'harmonica dylanien vient se poser sur les accords clairs de guitare électrique. Ces temples sont certainement ceux de l'amour tant souhaité.

« In The Sand » est une balade aux tournures country americana totalement crédibles. On en oublierait presque que Thibault Lavèvre n'est pas né dans l'Arizona. La guitare électrique qui tonne avant le chorus, ces notes sinueuses dans l'air ne sont pas rappelés d'autres géants mésestimés du spleen à l'horizon gris : les Simple Minds sur l'album Street Fighting Years. Les grands accords de piano introduisant « Your Arms » dessinent une atmosphère grise et quasi-gothique, comme quelques pas dans le froid de l'hiver, sur le pavé humide d'une rue vide un dimanche en province. « Gold Man » est un morceau bravache, montant progressivement en tension, comme la colère de l'homme silencieux et écrasé qui décide de se libérer. Thibault chante doucement, d'une voix profonde, avant de sonner la révolution.

« A Long Day Coming » est une belle ballade acoustique rappelant ce Folk américain traditionnel séculaire, Woody Guthrie, Dylan, Springsteen aussi. Ces chansons d'homme simple et laborieux ne sont pas données à tout le monde. Savoir parler avec justesse sans surenchère émotionnelle appuyée est un don. Les grands accords électriques résonnent à nouveau comme le tonnerre au-dessus de la vallée désertique et rocheuse. Les climats se dessinent, au gré des notes, comme une histoire. Ce talent de conteur, on le retrouve sur « Beneath The Foam », marqué par le rythme nonchalant de la batterie et les chorus pointillistes et clairs inspirés du « Down By The River » du vieux Neil. On pourrait craindre la caricature, mais il n'en est rien, c'est une nouvelle belle et grande chanson, inspirée et forte. Chaque pièce de musique monte en tension, comme un coup de sang, une rage intérieure qui se libère.

« Nobody Knows » est une nouvelle perle acoustique, ponctuée d'harmonica, à la beauté proche des chansons de Bob Dylan et du Neil Young acoustique d'Harvest. Il ne m'a pas été souvent donné d'entendre un musicien hexagonal joué avec une telle force. C'est celle qui anime la colère de « Cast A Spell » la noire, l'orageuse. C'est l'obscurité de Nebraska de Springsteen qui se dessine. Est évoquée la folie de la rupture, celle qui ronge les tripes, gangrène le cerveau, lorsque le whisky sert à inhiber la douleur. Cette chanson féroce clôt un album à l'âme puissante, et à l'instrumentation aussi sobre que judicieuse.


Je suis à nouveau ébloui par le soleil, je ressens la fraîcheur de la nature, le vent dans les grands chataîgniers. Album empreint d'une grande humanité, d''une maturité brûlante de justesse, il est désormais un de mes meilleurs amis, celui qui parle franchement et sait réconforter. Désormais secondé d'un batteur stable, Pogo, vu sur scène à Autun, Thibault Lavèvre se doit de poursuivre, qu'elle que soit le succès à venir. Sa musique est vitale, et ils sont bien peu aujourd'hui à pouvoir s'en vanter, rejoignant les fantastiques Elder de Boston sur cette planète magique de sens.

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