mardi 11 novembre 2014

MOUNTAIN 1974

"On entend les déclics des médiators sur les cordes des guitares sursaturées."
MOUNTAIN : « Avalanche » 1974

Le principal intérêt quand on écoute de la musique sans se fier à rien d’autre qu’à son instinct, c’est que l’on a de belles surprises. A de nombreuses reprises, de grands groupes m’ont éblouis tant par leurs disques les plus fameux que par des pépites oubliées de leurs discographies.
J’ai toujours été attiré par les merveilleuses pochettes d’albums des années 70, chatoyantes de couleurs et de motifs totalement improbables pour les musiques proposées. Ainsi, les discographies illustrées restent pour moi un grand plaisir visuel, et il m’arrive de m’arrêter de manière totalement compulsive sur un album, rien que par sa pochette. J’ai ainsi pu poser l’oreille sur des disques totalement méconnus et d’une qualité rare. Et ce alors que parfois les groupes n’étaient ni dans l’air du temps, ni au mieux de leur forme créatrice et/ou commerciale.
Mountain est la quintessence de ce que j’ai toujours recherché dans le Rock des années 70 dans mes jeunes années : des illustrations magnifiques magnifiant un Hard-Blues ultra puissant de poésie surréaliste. Ma découverte des grands noms du Heavy-Rock des années 70 me poussa à chercher plus lourd, plus agressif, plus puissant, mais aussi plus élitiste. Je me passionnai pour tous ces groupes, cherchant celui qui serait encore meilleur que la quintessence d’un Led Zeppelin ou un Black Sabbath. Le Graal absolu en somme.
Il me fallut un certain temps pour assimiler l’écoute de « Climbing » de Mountain. Leur premier album, devenu une référence du genre, me cueillit un peu. Il y avait en effet un clavier, et en termes de violence sonore, seul Deep Purple était capable de dompter un orgue Hammond pour en faire le bombardier allié de la guitare, en l’occurrence celle de Ritchie Blackmore. Mais là, ce clavier me gênait aux entournures. La voix puissante et rauque de West, ainsi que sa guitare sursaturée ne pouvaient en côtoyer un. A la recherche de la bombe sonique absolue, il était impensable que ce... cet instrument de ….enfin.... ce n’était pas digne de virilité, voilà ! Je finirai par apprécier pleinement toute la discographie de Mountain, y compris l’apport discret mais indispensable de son organiste, Steve Knight.
Mes explorations discographiques s’arrêtèrent un jour sur la pochette de cet album. Je fus subjugué : d’abord ces oiseaux luxuriants aux plumes de feu, et ce halo tout aussi incendiaire entourant la silhouette montagneuse. J’y retrouvai ce qui me fascinait graphiquement depuis que j’étais enfant : Brueghel l’Ancien et Jérôme Bosch, la peinture flamande du 16ème siècle, Arcimboldo l’italien.
Ensuite il y avait ces photos de scène du groupe, rougeoyantes comme le fer dans le brasier du forgeron. La batterie double grosse caisse de Corky Laing, la Gibson Flying V de Leslie West. Il se dégageait de tout cela une puissance indescriptible, comme si ce disque allait faire exploser les enceintes.
Enfin, un dernier détail me convint définitivement : il n’y avait plus de claviers, mais un second guitariste, un certain David Perry, en lieu et place de l’inamovible Steve Knight.
Et la première écoute me cloua sur place. Ce qui frappa mes oreilles, c’est la puissance effective de la musique enregistrée. Là où les premiers disques de Mountain étaient encore très ancrés dans un Blues électrique typique de la fin des années 60, « Avalanche » est totalement un disque de Heavy-Blues parmi les plus modernes du milieu des années 70. Il est même parfaitement en pointe, aux côtés du premier album de Montrose ou du « Physical Graffiti » de Led Zeppelin. Cette production est l’oeuvre du bassiste Felix Pappalardi. L’homme, qui officia derrière la console pour rien de moins que Cream, offrit aussi son savoir-faire à de rares occasions pour d’autres formations, et notamment Bedlam, le fantastique groupe de Cozy Powell en 1973.
Sur « Avalanche », tous les instruments sont totalement mis en valeur, parfaitement distincts, et totalement poussés dans leurs retranchements respectifs. La batterie claque magnifiquement, la basse vrombit, la guitare rythmique tranche, totalement sursaturée, et les chorus scintillent comme des étoiles dans le maelstrom de violence contenue de la musique.
Car tous les paramètres qui ont fait le brio de la musique de Mountain sont à nouveau réunis. Il fut souvent reproché au groupe de ne pas être plus inventif, plus aventureux. Ils n’étaient pas un groupe de Rock Progressif, mais un monstre de Heavy-Blues mélodique. On retrouve donc du Blues et du Rock’N’Roll des pionniers des années 50, du hard-blues en droite lignée des premiers cités , et un blues-rock plus lyrique davantage issu du cerveau fertile de Felix Pappalardi.
L’écoute de cet album me procure toujours vingt ans après les mêmes sensations d’extase totale, comme une sorte de félicité jouissive. Dès la reprise de « Whole Lotta Shakin’ Goin’ On » de Jerry Lee Lewis, on est emporté par une tornade électrique totale. On entend les déclics des médiators sur les cordes des guitares sursaturées, comme si West et Perry domptaient une vague sonique. Il semble qu’on la voit surgir de leurs guitares dans un tourbillon de couleurs psychédéliques lorsque les deux hommes lèvent leurs mains vers le ciel pour laisser jaillir le son. Mountain dote ce morceau d’une emphase fantastique, notamment sur sa partie finale sur laquelle Leslie West chorusse à l’envi.
« Sister Justice » est un méchant hard-blues chanté par Pappalardi. Le refrain mélodique et mélancolique, soutenu d’une ligne de mellotron, est d’une beauté parfaite. Bien que West et Pappalardi aient des voix bien distinctes, les deux hommes chantent sur la même tonalité. Le premier sur un registre plus rauque, le second de manière plus délicate, plus maîtrisée. Ce qui est amusant, c’est que j’ai un temps cru qu’il s’agissait du même chanteur, mais adaptant sa voix au climat du morceau.
Après deux superbes morceaux de hard-blues parfaits, Mountain se pose et joue acoustique. Les tentatives dans ce domaine sont rares, et font plus office d’intermède sur les disques afin de créer une pause à l’auditeur qu’un véritable morceau. On retrouve cette approche chez Black Sabbath. « Alisan » n’y coupe pas, mais cet instrumental est réellement superbe, et prouve combien Leslie West est un guitariste fin.
« Swamp Boy » est une composition de Pappalardi qui m’a toujours fasciné. Alors peu au fait de la mythologie du Deep South et de l’histoire du Blues, je trouvai ce morceau particulièrement caractéristique du Bayou. Mes recherches musicales me prouveront le contraire, mais ma fascination de ce court morceau est restée. Je continue d’y voir à son écoute les marais du Sud des Etats-Unis, les racines dans la boue, les cyprès, les eucalyptus.
Quant à la magie du Blues, elle est bien plus prégnante sur la reprise de « Satisfaction » des Stones. Ralentie, malaxée à grands coups de roulements de caisses, le morceau est propulsé dans la stratosphère à coups de slide sur le manche. Le jeu de bottleneck de West est lui aussi tout un poème, tant celui-ci est reconnaissable entre tous, et parfaitement authentique et virtuose à bien des égards. On y distingue l’influence de Duane Allman dans la précision et le lyrisme. « Satisfaction » devient ici totalement entêtant comme un leitmotiv. Exactement comme la version originale finalement, mais Mountain lui a injecté la testostérone qui lui manquait, ainsi que la disproportion emphatique liée au genre Heavy.
« Thumbsucker » est un retour au Heavy-Blues plus classique, chanté par Pappalardi. Le riff est tonitruant, comme celui de « Sister Justice ». Ici, pas de refrain mélodique, juste du rock bien macho, mais toujours avec son arpège saturé qui brille comme le soleil d’Espagne. Leslie West enchaîne avec « You Better Believe It », un Hard-Blues brutal que Mountain joue déjà depuis de nombreux mois en concerts. On y retrouve toute la dynamique inhérente à ce disque, qui s’éloigne effectivement de la lourdeur Blues presque Doom initiale que l’on retrouvait aussi chez Humble Pie ou Cactus. Mountain se montre ici plus agressif, plus mordant.
Une nouvelle bouffée d’air vient s’intercaler entre deux vagues de Rock brut. « I Love To See You Fly » est, fait rare, une composition commune de West et Pappalardi. Véritable titre acoustique, il dévoile une nouvelle facette du talent de Mountain : celle de délivrer une chanson acoustique d’une grande sensibilité, ayant la poésie mélodique de son bassiste, et le parfum délicat du Blues de son guitariste. « Back Where I Belong » revient au Hard-Blues gorgé de bottleneck. Status Quo n’aurait pas renié cette rythmique boogie. West fait jaillir des étincelles d’électricité miraculeuse de sa slide. Corky Laing s’emballe sur ses cymbales, emporté par la fougue.
« Last Of The Sunshine Days » est un Blues au parfum Jazz New Orleans. Chaleureux, joyeux, il est comme la main d’un bon copain sur l’épaule. On rit de bon cœur de ses emmerdes dans le soleil couchant, un verre à la main. La caravane chatoyante s’en va vers l’horizon, les instruments en bandoulière, en direction de ce monde merveilleux où seul l’amour et la musique comptent.

Ce n’est pas vraiment cette direction que prit Mountain, puisque le groupe se sépara fin 1974, et que Pappalardi sombra dans l’héroïne avant d’être abattu par sa compagne Gail Collins, l’auteur de tous les visuels de Mountain, en 1983. Il reste que la magie de l’univers de Mountain reste intact, et que ce disque a pour moi la saveur des longues heures de route à travers la France et l’Espagne, le cœur parfois lourd de soucis et de doutes qui s’envolent peu à peu lorsque s’égrène les chansons de ce bel album cher à mon cœur.
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