mercredi 13 mars 2013

GRAVEYARD

" « Lights Out » est un aboutissement total, affirmant la personnalité magique du quatuor de Göteborg."

GRAVEYARD : « Lights Out » 2012

Voilà un disque qui sonne comme si il avait été enregistré en 1972. C’est le genre de commentaire que l’on peut lire dans les (rares) chroniques françaises de cet album. Cette phrase est par ailleurs applicable à l’ensemble de ce qui est qualifié comme Stoner-Rock ou Revival-Rock, ce qui réduit ces groupes à une sorte de plagiat des années 70. ce qui explique sans doute le peu d’intérêt que porte la critique pour ce Heavy-Rock.
Il est amusant de constater combien cette même critique use comme références musicales pointues et comme métaphores poétiques pour décrire la musique de disques beaucoup plus branchés. Skip The Use, Shaka Ponk, Mumford And Sons, Muse, et autres formations encensées par la critique pour leur anticonformisme et leur originalité ont droit à tous les honneurs.

Mais Graveyard, comme d’autres, non. Ils sont un groupe de Stoner, c’est-à-dire, des ersatz sympathiques de Black Sabbath, grosso-modo, mais trop ancrés dans le passé. Comme Kyuss, Unida, Firebird, Danava, Uncle Acid, Sleep, High On Fire et bien d’autres génies de notre temps.
Preuve si il en est que la bonne musique ne passe plus à la radio, mais doit désormais se rechercher. Graveyard est une fantastique formation. Origina ire de Suède, comme pas mal de groupes amateurs de ce heavy-Rock 70’s aussi vaste que brillant (Led Zeppelin, Cream, The Who, Deep Purple, Black Sabbath, Jethro Tull, mais aussi Cactus, Humble Pie, Mountain, Thin Lizzy, Captain Beyond, Budgie....), ils ont décidé de créer leur musique sur cette base magique. Pas idiot au demeurant comme idée. Ainsi, Led Zeppelin et le Sabbath n’ont-ils pas puisé leur inspiration dans le Blues Noir Américain et la Soul des années 50-60, comme par ailleurs 90 % de la production Rock de la fin des années 60 ?
Donc, voilà quatre garçons qui en novembre 2006, décident de créer une musique à partir de celle qu’ils aiment. Le résultat est un premier album éponyme en 2007. De très bonne facture, Blues en diable, il éveille les oreilles des amateurs du genre Stoner, jusqu’à atteindre la 27ème place des charts... danois. Après la faillite de leur premier label Tee Pee, ils sont rattrapés par Nuclear Blast qui saura leur donner les moyens de développer leur musique.L’excellent second disque, « Hisingen Blues », est paru en 2011 et il me faudra y revenir. Et puis voilà le troisième.
Alors, il semble avoir été enregistré en 1972.... Sérieusement, si à son écoute vous pensez cela, vous n’avez rien compris. La vraie différence avec le reste de la production mondiale est que la musique de Graveyard est enregistrée à l’ancienne, sans logiciel de retouche sonore et vocale. Il n’y a ici que la musique de ces quatre garçons, leurs instruments, leurs mélodies, leur feeling, et les aspérités qui font le charme de tous les grands disques. Bref, ici il n’y a rien de calibré, et à l’heure de Katy Perry, Pitbull, et David Guetta, cela semble totalement anachonique. Comme si la musique était encore un art, et pas un tiroir-caisse.
Aussi effarant cela puisse paraître, Graveyard produit un Rock issu de la musique des années 70, mais développe un univers totalement personnel et moderne. Pour les plus pointus, on pourra citer l’influence du Doom des premiers enregistrements de Pentagram, les mélodies cancéreuses des Doors, Tim Buckley et de Spooky Tooth, et l’influence du Blues acide des Rolling Stones de la fin des années 60. Point de Black Sabbath, contrairement à ce que l’étiquette mal collée de Stoner pourrait faire penser.
Ces influences sont magnifiées dans un Rock à la fois hargneux et brûlant, d’où émergent de sublimes mélodies d’une mélancolie infinie, et un chant rocailleux et soul, totalement possédé par le propos. « Lights Out » est un aboutissement total, affirmant la personnalité magique du quatuor de Göteborg.
Joakim Nilsson au chant et à la guitare, Jonatan Larocca-Ramm à la guitare lead et au chant, Rikard Edlund à la basse, et Axel Sjöberg à la batterie ont réussi une synthèse magique.
Une sirène malsaine retentit. Une ligne de basse et de guitare retentit. « An Industry Of Murder » retentit. Lente montée psychédélique, slow-burn électrique, ce premier titre dévoile déjà toute la complexité de la construction musicale de Graveyard. Les rebondissements musicaux sont multiples, portés par l’incroyable dextérité des musiciens. Nilsson a une voix décidément fabuleuse, rappelant parfois Jeff Buckley. C’est notamment le cas sur le précieux « Slow Motion Countdown », fulgurant d’emphase cinématographique. Larocca-Ramm sait broder des soli courts et concis, où le feeling est primordial. On sent la cohésion de la formation totale.
Tout est audible, chaud, sensible. « Slow Motion Countdown » se clôt dans le piano et le mellotron magique. Il n’y a rien ici de sirupeux. Au contraire, tout est rêche, avide de désir et d’amour. On y sent toute la mélancolie des contrées du Nord de l’Europe, à la fois sauvages et sombres. Superbe envolée lyrique, ce superbe morceau est à la fois un risque prodigieux pour Graveyard, et la preuve que l’on peut composer un morceau mélancolique sans tomber dans la diarrhée auditive. Mille souvenirs m’ont traversé l’esprit aux premières écoutes. La magie est là, comme sut le faire Jeff Buckley, justement, il y a... bien longtemps. On y trouve la tristesse majestueuse de King Crimson. Les deux guitares arpègent en choeur, délicatement.
Faut-il que les chevaux s’emballent pour que la mélancolie ait de la valeur ? « Seven Seven » est un boogie endiablé, rugueuse et épique cavalcade qui conduit au sourd et heavy « The Suits, The Law & The Uniform ». La rythmique est grondante et électrique. On cherche la référence. Qui a ce son ? Les deux premiers albums d’Humble Pie ? T2 ? The Who ? Le son est magique, il prend aux tripes. La basse et la guitare rythmique semblent souffler dans notre âme, pendant que la voix rugit, Blues, implacable. Ce titre est d’une formidable efficacité. Dans un monde parfait, il ferait un excellent tube radiophonique, mais nous sommes hélas condamnés à écouter WillIAm, toute la daube électro et la chiasse pop française. Il vous faudra donc vous procurer ce disque pour comprendre de quoi je parle. Et vibrer à nouveau à l’écoute d’un disque de 2012. N’y chercher pas non plus le Stoner des Queens Of The Stone Age. Le groupe de Josh Homme, après quelques très bons disques, a oublié ses racines musicales pour produire un Rock plus mainstream, qui n’est que le rabâchage rébarbatif de l’excellent « Song For The Deaf ». On espère que l’Homme se souviendra de son passé Kyussien, et saura retrouver son indépendance artistique.
« Endless Night » est un fabuleux morceau de heavy-rock rageur roulant comme une Pontiac Firebird 1969 à travers la ville de San Francisco la nuit. Sauf que les garçons de Graveyard sont de Suède... Alors, une Volvo S70 à travers … Göteborg ? Mais hormis son origine natale et l’incroyable noirceur intérieure de ces hommes, rien ne laisse penser qu’ils sont originaires du Grand Nord, mais plutôt d’une banlieue ouvrière de Birmingham. Ceci étant dit, on ne va pas chipoter sur la latitude et le parallèle géographique, mais bon...
La noirceur est pourtant de mise sur le lugubre « Hard Times Lovin’ ». On y retrouve toute la poésie des Doors, et ce goût de poussière dans la bouche. On retrouve le timbre de Jim Morrison dans la voix de Nilsson, celle de « Riders Of The Storm ». C’est beau, puissant, possédé. Beaucoup se sont déclarés héritiers des Doors, mais aucun ne sut en approcher le quart de la beauté. C’est chose faite. Loin du Blues racoleur que l’on pourrait attendre d’un groupe fan de Cactus et Black Sabbath, on plonge dans une faille spatio-temporelle qui aurait non pas fait de Crosby, Nash, Stills And Young la base du Rock californien, mais plutôt Neil Young And Crazy Horse et les Doors. Le plaisir est immense. Mais de courte durée. Car telle n’est pas le cas. Aussi, cette superbe ballade cancéreuse restera un fantasme, pourtant bien réel.
Le brutal et expéditif « Goliath » revient au Heavy-Rock le plus efficace. En à peine trois minutes, le Rock revient à la vie. Tout est parfait : l’intro tendue en forme de chorus. La cavalcade de la rythmique, le chant rageur, et puis l’intro qui fait écho avant l’explosion du refrain. C’est rugueux, brutal, Rock.... ROCK !!!! Le chorus est sublime, tout en poésie, sans aucune démonstration gratuite. Larocca-Ramm n’est pas un branle-manche, mais bien l’homme qui enlumine la musique de son groupe.

.Le rêche « Fool In The End » confond le Rock brutal des origines Hard et la musicalité des Doors et de Jeff Buckley. Il n’est que l’avant goût de « 20/20 », merveilleux Blues cancéreux qui rappelle celui de Robin Trower, « Bridge Of Sighs », ou « I Can’t Wait Much Longer ». Lente montée d’incandescence, combustion progressive de guitare et de quelques notes de piano électrique liquide qui ondule sur les riffs, ce merveilleux disque se termine en un goût amer. Celui du Nord, la colère, le désespoir. La poussière. Le vent dans les grandes herbes sèches un matin de février. On allume une cigarette, le nez au vent, résigné. Encore une journée triste, comme les autres. Mais tout de même un peu moins, parce que Graveyard aura réchauffé notre cœur de son Heavy-Blues inventif et mélancolique.
 
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