lundi 9 avril 2012

ROBIN TROWER 1974

"Plus que le son sublime, la qualité des chansons est indéniable. "
ROBIN TROWER : « Bridge Of Sighs » 1974

Trop occupée à aduler le Glam de Bowie et le Prog de Emerson, Lake And Palmer, la Grande-Bretagne ignora Robin Trower. Qu’importe, l’homme et son groupe, composé de Jim Dewar à la basse et au chant et de Reg Isidore à la batterie, trouvent fortune aux USA. Orphelins d’Hendrix et d’une certaine forme de Blues électrique qui fit les grandes heures de la contestation anti-Vietnam alors révolue, les Etats-Unis trouvent en Trower un digne héritier qui a su sublimer le son et l’esprit du Cherokee Mist.
Le premier album paru en 1973, « Twice Removed Of Yesterday », débarque dans le Top 40 US et devient disque d’Or. Les portes s’ouvrent, et Le Trower Band tourne sans relâche dans le pays. A grands coups de concerts, le trio aux apparences nonchalantes fait rugir un bombardier de Heavy-Blues ravageur, carbonisant de son napalm sonique les oreilles engourdies de codéïne des kids américains.
Trower et Dewar, fort inspirés, se remettent au travail et produisent un nouveau disque avec Mathew Fisher, ancien membre de Procol Harum et également producteur du précédent album du Trower Band.
Le résultat est cet album, « Bridge Of Sighs ». Le son est une fois de plus là, à la fois clair et vaporeux, mettant en valeur aussi bien les délicats soli Blues que les riffs lourds. La profondeur du son est exceptionnel et laisse rêveur, presque 40 ans après.
Plus que le son sublime, la qualité des chansons est indéniable. L’ouverture se fait par le cancéreux et lugubre « Bridge Of Sighs ». Morceau évoquant les soldats morts au combat traversant le fameux pont pour rejoindre l’Eternité, il traduit autant par ses mots que sa musique la douleur de la mort. Le texte de Dewar est puissant, et le riff de Trower épais et lent, comme une marche funèbre. Isidore n’a plus qu’à appuyer de sa caisse claire et sa ride le tempo mortifère. Douloureux et dense, ce morceau éponyme confirme l’intensité émotionnelle du Blues de Robin Trower.
« Bridge Of Sighs » sur un thème lancinant et obsédant submergé de vent. « In This Place» poursuit le disque sur mélodie délicate mais pas forcément plus gaie. C’est une poignante chanson d’amour relatant la douleur d’un homme meurtri par l’abandon de sa bien-aimée. C’est profond et la douleur se révèle sournoise. Mine de rien, Robin Trower vient de pulvériser nos âmes à deux reprises, et sans crier gare.
« The Fool And Me » est un morceau plus Rock, qui vient alléger le climat lourd du début. Efficace, doté d’un solo assassin, le refrain vient se nicher dans votre cortex pour ne plus vous lâcher.
Cette respiration vous permettra de plonger dans la pièce de résistance de ce disque : « Too Rolling Stoned ». C’est l’évocation de l’univers du Rock et de ses travers. La came, la célébrité, la route, la concurrence, les filles. Mais traité avec ironie et une certaine amertume. Celles de ces hommes qui voient des musiciens brillants se carboniser et se perdre dans les méandres sournois du music-business.
Sur un tempo funky furieux et rugueux, Dewar, Trower et Isidore débutent le morceau dans une orgie de Heavy-Rock chromé. La voix de Dewar vient temporiser un poil cette embardée Rock presque parfaite de son timbre sombre, rappelant que la menace est toujours là. La wah-wah de Trower fait des merveilles, et le solo vient entériner le fait que Trower est un sacré guitariste, brillant, concis, expressif et pas bavard inutilement. Ce dernier point à son importance, car le morceau vient s’écraser dans un crash de cymbale et quelques retentissements de marimba. Puis un prodigieux riff Blues vient racler l’estomac de l’auditeur imprudent. Méchant, menaçant et impitoyablement désespérer, il se voit emboîter par la basse de Dewar et la batterie de Isidore qui appuient à plus soif le tempo moite. Dewar incante qu’il s’est trop cramé. Trower emboîte le pas, et sort du bois avec ses chorus noueux et hypnotiques. Merveilleuse coda possédée, elle achève ce fulgurant morceau qui reste depuis toujours un grand classique de scène de Robin Trower.
La brume se lève à nouveau quand débute « About To Begin ». Comme ce voile humide au petit matin sur les étangs et le canal que l’on longe en allant travailler, le cœur lourd. Délicate mélodie de guitare cristalline, à peine surmontée de quelques claquements de cymbales cloutée, cette chanson possède en elle une mélancolie infinie. La voix de Jim Dewar y est magnifiée, sertie d’intonations Soul par moments. Le chorus de Trower, tout en douceur et en spleen, nous ramène à ces belles images perdues de nos vies après lesquelles on court en vain.
C’est sans doute elle après qui l’on court. Cette « Lady Love » qui nous carbonise et nous obsède. Plus Rock, plus rapide, elle n’est pourtant pas exsangue de subtilités. D’abord par son riff mi-figue mi-raisin, entre entrain et dépit. Dewar et son chant magique viennent appuyer cette dualité des sentiments. Comme cet amour fou, entre espoir déçu et ivresse de la passion aveugle. Curieusement, il ne prendra sa vraie saveur qu’en concert, où la puissance scénique viendra intensifier la profondeur du morceau.
« Little Bit Of Sympathy » a plusieurs points communs avec « Too Rolling Stoned ». D’abord son inspiration funk, ensuite la luxuriance de sa guitare. Si le premier brillait par sa coda Blues poisseuse, le second exulte dans les chorus ravageurs hendrixiens en diable, rapides et furieux. Ils sortent de partout, ils transpirent par tous les pores du morceau ! Etourdissant, enivrant de brio musical, il laisse à la fois l’auditeur pantois et sur sa fin. Le dernier solo s’achève comme une ouverture vers une suite, qu’il faudra attendre un an.
La suite, ce sera « For Earth Below », le meilleur album de Robin Trower. En attendant, « Bridge Of Sighs » grimpe à la 5ème place des charts US, et le Robin Trower Band devient un groupe qui compte. Loin du star-system et des excès en tous genres, ils seront des ovnis de la planète Rock de l’époque, à la fois trop brillants et trop sérieux pour que la presse leur consacre un peu d’attention. Mais le temps leur a donné raison.
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