mardi 21 juin 2011

DIAMOND HEAD

"Mais ces quatre-là, ensemble, sont brillants. Comme Led Zeppelin."
DIAMOND HEAD « White Album – Lightning To The Nations » 1980

J’ai sombré. J’ai touché du doigt un sentiment terrifiant que je ne pensais pas connaître. J’ai ressenti un profond désarroi lié au peu de reconnaissance de ce blog. Un mauvais trip d’égomanie mal placé sans doute. J’ai parfois senti cela dans ma vie, en y réfléchissant bien. Lorsque les plus jolies filles du lycée ne me regardaient même pas, que les mecs les plus cools de la fac ne me parlaient pas parce que je n’étais pas assez cool à leurs yeux. J’avais ce sursaut de colère après l’incompréhension qui me disait que je n’étais pas n’importe qui. Pas une merde, en somme.

Mais là, c’est différent. J’écris pour le plaisir, pas vraiment pour la reconnaissance. En fait, je me suis assis dessus depuis quelques temps. J’ai bien été (très modestement) publié, je reçois bien votre soutien, mais je crois que je ne suis pas, encore une fois, assez hype dans mes choix ni dans mon écriture pour attirer le plus grand nombre. Cela ne me dérangeait pas outre mesure, jusqu’à ce que, en proie à un doute existentiel passager, je me dise que mon talent valait bien celui de chroniqueurs plus reconnus. Sentiment d’injustice, fierté blessée, je rageai intérieurement de n’être, une fois encore, qu’un pion dans le grand échiquier de la toile. Comme l’adolescent que je fus, avec ses rêves, ses désirs fous. Je suis un loser, conformément à l’idéologie capitaliste dominante qui, dans tous les médias, ne fait que mettre en exergue des self-made men ou women qui, avec une bonne idée et un travail ACHARNE réussir leurs projets les plus ambitieux. Soit des winners. Ceux qui n’y arrivent pas ? Pas assez de travail ACHARNE. Des losers, donc.
Ce sentiment de loser m’envahit brutalement, devant l’échec de mes ambitions. Je plongeai dans une détresse intérieure finalement assez profonde qui finit par me faire perdre goût à mes disques. Je fus incapable d’écrire convenablement. Mon projet de roman est au point mort, faute de temps, et d’inspiration. D’ambition me dirait la pensée unique. Où alors de talent, ce qui fait donc de moi un … loser.
J’écoutai bientôt des heures Savoy Brown et Chicken Shack, du Blues, triste, brûlant, joué par des … losers.
Et puis bientôt, ce fut le silence. Je n’aimai plus rien. J’étais en colère. Et puis j’ai mis cet album dans mes oreilles. Au casque, dans le calme. En ce soleil couchant de juin, rougeoyant, lacéré de nuages d’un gris cendre.
C’était la première fois après de longs mois sans écoute. Presque des années. Et j’ai aimé cet album. Il fait partie de mes trois préférés de tous les temps avec « Power Supply » de Budgie et « Smokin » de Humble Pie. Il est par ailleurs intéressant de signaler que rares sont les disques qui peuvent se vanter de n’avoir que des chansons que l’on adore. En effet, tous ont une ou deux chansons que l’on a tendance à zapper brutalement par lassitude, comme si ces morceaux avaient lassé prématurément par rapport au reste. Et c’est parfois l’apanage des plus grands. Black Sabbath, dans ces six premiers disques dits classiques, a quelques lacunes de ce type. Que le mec qui jouit autant sur « Changes » que sur « Supernaut » sur le « Vol 4 » de 1972 se fasse connaître. Pas possible, cette chanson est une ballade pourrie au milieu d’un disque formidable. Mais revenons au sujet.
Ce « White Album » est un l’un des albums de Rock les plus extraordinaires que j’aie jamais entendu. Et plus fort encore, les chansons ajoutées en bonus dans sa réédition en CD sont elles aussi exceptionnelles. Pourtant, cela faisait un bout de temps que je ne l’avais pas écouté. A force, j’avais l’impression d’avoir usé son pouvoir magique, son magnétisme, sa force unique. Et puis, ce soir, j’ai retrouvé les sensations, le frisson, celui qui me brûla l’échine il y a presque dix ans.
Pour les fans de heavy-metal les plus cultivés, Diamond Head est juste le terreau initial de leur groupe favori : Metallica. Et pour cause, le quatuor de la Bay Area en a repris pas moins de six titres sur les sept que compte ce disque. Mais il m’est toujours difficile de crier joie auprès de Metallica lorsque ses fans sifflèrent le quatuor anglais en 1993, jouant en première partie au Milton Keynes, ceux-ci croyant que les « Am I Evil » et « Helpless » étaient des chansons des Four Horsemen.
Et puis pour les autres, ni fan de metal, ni fan de Metallica, Diamond Head n’évoque pas grand-chose. Il fut pourtant nommé par la presse anglaise comme le fier successeur de Led Zeppelin, et ce dés 1980.
C’est en 1976 que le jeune guitariste Brian Tatler recrute Sean Harris comme chanteur d’un hypothétique combo hard-rock. Si Tatler aime bien Deep Purple et Led Zeppelin, ses influences premières se dirige vers le hard-rock mélodique, celui de Thin Lizzy, UFO, Montrose et Bad Company. Et il aime aussi le hard progressif de Nektar. D’ailleurs, le nom du groupe provient du nom du premier disque solo du guitariste de Roxy Music, Phil Manzanera. Duncan Scott est recruté à la batterie, suivi de Colin Kimberley en 1978. Enfin au complet, le quatuor écume le circuit des clubs en pleine période punk. Sauf que le vent tourne. Le heavy-metal revient, les crânes rasés laissent place à une nouvelle race de chevelus qui donne leur version du heavy-metal. Les premiers à sortir du bois sont Saxon, Def Leppard, Iron Maiden et Tygers Of Pan-Tang. Diamond Head a bien un petit paquet de démos sous le bras, mais personne pour signer le groupe.
Pourtant, un buzz invraisemblable tourne autour du groupe. Dés début 1980, Diamond Head s’affirme donc comme les dignes successeurs de Led Zeppelin (c’est dans Sounds). Le pire, c’est qu’ils ont raison. Les concerts font le plein, et cela permet au combo de réunir la somme suffisante pour enregistrer une démo équivalente à un disque fini. Bouclé en trois jours, la démo est prometteuse. Pourtant, Tatler est déçu : si le son en studio était puissant, il est tombé à plat sur bande. Mais qu’importe, il ne s’agit que d’une démo. On fera mieux sur le premier disque.
Tiré à 1500 exemplaires, le 33T à pochette blanche est vendu aux concerts avec la dédicaces des quatre musiciens. Aucun nom de chanson n’y figure, le groupe considérant l’ensemble comme un tout. Seul Harris indique que le second titre s’appelle « The Prince ».
Les exemplaires partent en quelques semaines, et oblige le groupe à en ressortir 2500 exemplaires de plus. Puis c’est un label allemand qui demande les bandes pour un pressage de 3500 exemplaires. Les bandes originales ne reviendront pas à Tatler avant 2002…. La carrière de Diamond Head ne sera jalonné que de galères comme cela. Le groupe alignera les concerts, jouant avec AC/DC, UFO, Thin Lizzy, Budgie…. Mais son premier vrai disque ne sortira qu’en 1982. Du temps s’est écoulé, et ce disque est mort-né. Une tragédie. D’autant plus que Diamond Head est en quelque sorte passé à autre chose, enregistrant certes des titres fabuleux, mais qui n’ont pas la hargne et la magie de ces premières bandes. C’est à chialer.
Parce que voilà, ce « White Album » est une tuerie comme on dit dans le monde metal. Ou pas vraiment. Parce que si vous attendez des gros riffs évidents à la AC/DC ou Motorhead, ce sera compliqué. Car ce fut mon cas. Je fus perdu, décontenancé.
Diamond Head pratique en fait un heavy-metal épique, mélodique, mais avec un son compact. Il est le fruit de ce hard-rock à la UFO et de l’entrechoc avec un aspect plus progressif, qui voit la structure des morceaux culbutés par les ruptures de rythmes, les changements d’ambiance. Seul un titre est en-dessous des cinq minutes. Pourtant, on est bien avec quatre musiciens, guitare-basse-batterie-chant. Voire plus étonnant, sur certains titres, il n’y a pas de … solo de guitare. Diamond Head construit par exemple sur « Lightning To The Nations » ou « Helpless » une architecture de riffs qui monte le titre en cathédrale d’électricité. Metallica tentera le coup sur « St Anger », mais ce sera pitoyable. Car il ne faut pas uniquement aligner les gros plans metal. Il faut avoir une idée du titre, sa direction, ses ambiances, injecter le venin progressivement.
Pourtant ces quatre-là ne sont pas des prodiges, à part peut-être Tatler. Kimberley et Scott délivrent une rythmique carrée et efficace, sans démonstration, et Harris chante juste, honnêtement, sans virtuosité aucune. Tatler a, quant à lui un toucher magique, mais modeste, économe, au service de la chanson. Ses soli sont concis, brillants, à la note près. Mais ces quatre-là, ensemble, sont brillants. Comme Led Zeppelin.
Le résultat, en une seule éjaculation électrique, c’est cet album. De « Lightning To The Nations » à « Helpless », en passant par le magnifique et épique « Sucking My Love ». Tout y est somptueux, envoûtant, furieux et lumineux. Même ce son un peu écrasé, presque rédhibitoire, deviendra une part intégrante de cet album. Car c’est cette juxtaposition de rugosité sonore et ce brio musical qui fait de cet album un poison total.
Le premier titre que j’écoutai, ce fut ce « It’s Electric ». Sixième chanson, et sorte de classique de Metallica que j’écoutai dans sa version « Garage Inc » et en concert, je fus terrassé par le génie de cette version originale. Je vais même être franc : Metallica n’y a rien compris. On ne reprend pas une chanson aussi puissante avec une telle désinvolture. Ce qui fait la magie, c’est l’ampleur de la guitare soutenue par cette rythmique rugueuse soulignée de cymbales. Car Duncan Scott jouait peu de la charleston, mais frappait à l’envie une ride-crash de 12’’, comme Keith Moon des Who en guise d’accompagnement de la caisse claire. Mais le tempo est rapide, virevoltant. La rigueur des toms, la folie des cymbales. Colin Kimberley claque les cordes de sa Rickenbacker à la façon d’un Geezer Butler dont il est fan, et tapisse les riffs de Tatler de gros ronflements de basse puissants doublant la guitare comme un Lemmy en plus Blues. Tatler et sa Flying V blanche n’ont plus qu’à dérouler les mélodies magiques. Le plus de cette version de « It’s Electric » ? C’est tout cela, mais surtout la voix de Sean Harris. Sa voix de gamin furieux, qu’il double en écho dans le refrain, en fait une piste de décollage émotionnel magique. Avec rien, juste un doublage des chœurs. Et cette guitare râpeuse et mélodique. Et puis cette cymbale qui résonne. Et la Rickenbacker……
Et puis…. Et puis en reprenant tout depuis le début, depuis « Lightnin’ To The Nations », tout est incroyable. Lente montée d’adrénaline poussée par la basse vrombissante de Kimberley, elle éclate dans un cri lyrique et sauvage. En fait, Sean Harris n’est pas un hurleur au sens classique du terme. Il n’est pas un Ian Gillan, un Bruce Dickinson ou un Ronnie James Dio. Sa voix ne râcle jamais, elle est une sorte de modulation subtile entre les aigus et les graves, très claire, presque enfantine. Elle est pourtant gouailleuse et expressive. Et c’est bien cette caractéristique qui fait que cette voix colle si bien aux riffs de Tatler.
Parlons-en de cette guitare. Brian Tatler est un génie absolue. Il a la personnalité d’un Jimmy Page allié à la virtuosité et la vivacité d’un Michael Sckenker. Il est une synthèse incroyablement brillante du hard-rock des années 70, mêlant la subtilité de UFO, la construction alambiquée des mélodies d’un Jethro Tull ou de Rush. Dans les faits, cela donne « Lightnin’ To The Nations » ou encore « The Prince », superbes chansons épiques aux multiples rebondissements lyriques. C’est brillant, et en aucun lassant ou démonstratif. Le but est l’efficacité dans l’émotion.
Et la suite n’en sera que la confirmation : il s’agit de « Sucking My Love ». Galopade brutale et érotique de plus de neuf minutes alternant riffs puissants, soli majestueux, pont angoissant digne de « Whole Lotta Love » et redémarrage vers les étoiles, ce morceau est un sommet total, une forme de quintessence de ce que le Hard-Rock peut produire de plus brillant. Etonnamment, sur scène, Diamond Head n’en délivrera que des versions raccourcies, sans doute par crainte de lasser un public en demande d’énergie issu du Punk. C’est pourtant au casque, dans le calme, un verre de whisky à la main, que « Sucking My Love » s’apprécie vraiment, et révèle toute la subtilité de sa construction. Les chorus de Tatler sont à ce point insurpassables.
La suite n’appartient pas au répertoire de Metallica non plus. Il s’agit de « Am I Evil », et derrière le massif morceau de heavy-metal se cache encore une cathédrale de riffs. D’abord par son introduction issu de « Mars » du compositeur de musique contemporaine Holzt, via la version de King Crimson en 1969. Et puis il y a ce riff aux apparences sabbathiennes mais dont la subtilité initiale servie ici à totalement échappée aux Four Horsemen. Car il y a cette électricité sous-jacente, ce grésillement vicieux qui lui donne un côté garage psychédélique qui louche vers Sir Lord Baltimore. Le riff en lui-même est bien sûr implacable, soutenu par une batterie matraquant le tempo à coups de cymbales folles. Sean Harris se fait sorcière possédée. Et puis tout s’emballe, furieusement, comme une course folle dans les rues sombres, la nuit.
Après « It’s Electric » vient « Helpless ». Base ultime d’une certaine forme de trash-speed-death-metal, elle vaut surtout par l’enchaînement infernal de riffs qui en fait son essence d’une part, et l’absence totale de solo d’autre part. A l’instar de « Lightnin’ To The Nations », basé sur cette même construction, « Helpless » s’impose encore davantage par la fluidité de son écoute, malgré la rapidité, la violence et les sept minutes de la chevauchée infernale.
Ivre de bonheur, on ressort de ces quarante minutes de musique chargé de colère et de fureur. Les versions CD ont bien sûr apporter des inédits, en l’occurrence les simples que Diamond Head s’échinera à auto-produire pour exister avant que MCA daigne bien les signer fin 1981, soit après la bataille.
On retrouve de superbes chansons comme « Diamond Lights », « Play It Loud », « I Don’t Got » ou « Streets Of Gold ». Ils leur manquent néanmoins ces développements musicaux sur la durée qui font des sept titres du « White Album » un disque profondément et furieusement génial. Le dernier de tous les temps ? Pas loin.
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