mercredi 18 mai 2011

AC/DC 1977

"Ce bootleg l’a en lui. "

AC/DC : « Definitively Not The Glimmer Twins »/ « Live At Old Waldorf » Live 1977

Devenu une institution Rock mainstream depuis grosso-modo la parution de l’album « Black Ice » en 2008, AC/DC véhicule toujours l’image d’un groupe de mauvais garçons défiant le système. Ils ont vieilli bien sûr, comme Lemmy de Motorhead, et l’âge semble avoir apporté une aura de sagesse mêlée à cette irrémédiable réputation de mauvais bougres, essentiellement acquise lors de leurs jeunes années.
Plus vieux, donc plus sages, ils ne sont que le reflet un peu voilé de leur folie passée. La musique reste, et la qualité de leurs prestations, bien que ronronnant un peu trop sur la dernière tournée, reste plutôt constante. Il n’est aujourd’hui plus l’apanage des derniers de la classe d’aller écouter AC/DC, et plus incroyables, de nombreuses jeunes filles se précipitent à leurs concerts. Plus encore, le succès commercial retentissant de « Black Ice » semble confirmer l’acceptation générale du groupe dans le paysage musical international. Il est vrai qu’AC/DC est sans doute l’un des derniers groupes de Rock des années 70 encore vivants, avec ZZ Top, Deep Purple et Motorhead. Mais avec ce dernier, ils sont les gardiens du temple, ou plutôt d’une formule magique inusable qui fait taper du pied des millions de fans. Surtout, ils n’ont pour ainsi dire jamais commis de faux pas musicaux, d’écart commerciaux trop flagrants. On peut au plus leur reprocher deux ou trois disques pas très inspirés, mais toujours dans cette veine Hard-Rock Blues. Ici, pas de clin d’œil au Rock FM, ni de permanente californienne. Ils sont un repère musical inusable, même si la lame s’est un peu émoussée. En effet, « Black Ice » se rapproche justement de ces faux pas musicaux des années 80, ces « Flick Of The Switch » ou « Fly On The Wall » pas terribles. Mais qu’importe, la légende est intacte, et l’on vient surtout écouter les « hits », les « tubes » : « Back In Black », « Highway To Hell », « Whole Lotta Rosie »…. Et qu’importe si Brian Johnson s’égosille comme une vieille truie, bien loin de la goule hurleuse de 1980-1981.
Je dois avouer qu’après avoir vu AC/DC au Stade De France, devant ce parterre de beaufs, pour une prestation moyenne, j’ai eu un pincement au cœur. Où était le groupe que j’aimais tant adolescent ? J’avais 14 ans en 1993, et à l’époque, on écoutait le « Live At Donington ». Déjà, je trouvais cela un peu lourdingue.
Il me fallut apercevoir furtivement dans une émission de Rock tardive un extrait d’une prestation en direct d’AC/DC avec Bon Scott chantant « Touch Too Much » pour soudain espérer beaucoup de ce quintet à l’écolier fou. Parfois, il passait à la radio « Highway To Hell », et la voix du chanteur n’était pas celle du beauf à marcel et casquette de Donington. C’était celle d’un chien enragé, d’un fou aux tripes brûlées par la colère et le Rock’N’Roll.
Et j’achetai l’album « Highway To Hell ». Et ce fut le choc. Moi qui n’aimait rien d’autre que Téléphone, les Who, et Led Zeppelin, je devins passionné d’AC/DC. C’était d’ailleurs un plaisir un peu honteux. Moi, le fils de profs, avec mes bons résultats, ma discrétion, j’écoutais la musique des bas du front de la classe. Enfin presque, parce le Rock disparaissait des oreilles du bas peuple pour être remplacé par une Dance produite à la presse hydraulique.
Je découvris bientôt les autres albums de la période Bon Scott, dont mon préféré, « Let There Be Rock » de 1977. Sans doute s’agit-il du disque de Rock sauvage le plus définitif de l’époque, loin, très loin devant tout le cirque Punk.

Et puis les années ont passé. J’espérai un jour frissonner à nouveau sur du AC/DC. Le concert au Stade de France en 2009 me laissa sur ma faim. Le temps passa, puis je découvris ce concert. Entre temps, le groupe publia moult coffret DVD et CD avec des archives, des clips : Bonfire, Plug Me In…… Les prestations avec Bon Scott étaient magiques, mais il manquait quelque chose que j’avais trouvé sur « Let There Be Rock » mais pas ici, même en concert. Il manquait la puissance de feu, la classe, la morgue, la flamme magique du quintet.
Ce bootleg l’a en lui. Il est une tempête sonique inégalable. Une tornade de colère prolétaire que seul AC/DC pouvait éjaculer en 1977.
Nous sommes en 1977. AC/DC enregistre et tourne depuis 1974. Il en est déjà à son quatrième disque, sans la moindre reconnaissance internationale malgré des critiques dithyrambiques que ce soit pour ses disques ou ses concerts. Le quintet est alors formé de Angus et Malcolm Young aux guitares, Bon Scott au chant, Phil Rudd à la batterie, et d’un petit nouveau, Cliff Williams à la basse. Mark Evans, le précédent bassiste, vient d’être viré pour des incompatibilités d’humeur avec Angus qui n’aime guère son arrogance.
Comme à son habitude depuis trois ans, AC/DC tourne 300 jours par an, et entame une tournée américaine qui se doit d’être décisive. L’Amérique doit plier. En passant par New York, le groupe enregistre son live aux Atlantic Studios, au son émasculé. Ils ratissent également tous les clubs qui compte pour le mouvement Punk, et notamment le CBGB’s, qu’ils pulvérisent d’ivresse Rock.
C’est curieusement sur la Côte Ouest que le groupe devient le plus méchant. Lui qui vient des bas-fonds de l’Australie via l’émigration écossaise, il ne comprend pas cet univers disco et glam qui ne veut pas entendre son Rock-Blues rugueux. Ils atterrissent à San Francisco le 3 septembre 1977 pour un concert dans un club fameux pour ses concerts heavy et punk : le Old Waldorf. Là, dans la capitale du mouvement hippie, AC/DC vient calciner ce qu’il reste du rêve californien.

Les hostilités commencent par « Live Wire », chanson emblématique des concerts avec Bon Scott. Elle ouvrira ainsi tous leurs concerts de 1976 à 1980. Avec son épaisse introduction de basse, son riff vicieux montant en puissance comme la voix de Scott, elle allume d’entrée l’incendie dans le cœur des amateurs de Rock qui ne veulent qu’une seule chose, que l’on parle d’eux et de leurs vies, de sexe et de loose avec des mots simples et percutants. La musique, la rythmique, les guitares, apportent la puissance dont manque l’homme simple face aux affres de son destin. Et Bon Scott est la goule furieuse qui effraie le bourgeois et impose le respect de la rue.
Vient « Hell Ain’t A Bad Place To Be ». La version offerte ici est poisseuse. Jouée un brin plus grave que sur l’album, le groupe lui donne une coloration plus sombre, plus vengeresse. Les riffs sont serrés, la batterie tombe juste, la basse ronfle. Bon Scott déroule son texte de sa voix râpeuse. Comme des uppercuts, les ruptures rythmiques sont autant de coups de sang. Ce sang qui coulera bientôt dans le caniveau, parce que AC/DC donne tout, notamment son âme et son cœur.
Les deux titres suivants sont des inédits à l’époque. Nous sommes en 1977, mais le groupe étant constamment sur la route, il compose entre deux concerts. De cette furie live sort des nouveautés comme « Up To My Neck In You » et « Kicked In The Teeth » qui seront enregistrées « Powerage » en 1978 dans des versions un peu différentes.
La première citée est un intense boogie de huit minutes roulant sur l’asphalte comme la Ford Mustang de Steve McQueen dans « Bullitt ». L’électricité crépite dans les cordes. Angus et Malcolm Young semble jongler avec un flot de courant qu’ils domptent de leurs doigts magiques en vagues successives. Ils ralentissent un temps le tempo dans un pont très « Boogie Chillen » de John Lee Hooker, la vitesse de la rythmique folle de Rudd et Williams en plus. Ce concert est par ailleurs l’occasion d’apprécier à sa juste valeur la qualité du jeu de ce dernier, souvent négligée. Le solo d’Angus Young est superbe, tout en retenue dans le pont puis en accélération foudroyante, gorgée de Blues et d’électricité, comme seul ce petit homme en est capable.
La seconde est le pinacle de colère de concert. « Kicked In The Teeth »…. Encore baisé, quoi… L’intro et la mélodie sont fort différents. Cathédrale de riffs d’entrée, accords de guitares mordants et puissants dans sa partie centrale, « Kicked In The Teeth » est une overdose de foudre, une ode à la rage intérieure. Il est même une évidence supplémentaire : ce titre est dangereux. A son écoute, vous devenez dangereux. Vous pouvez rouler à 180 km/h, prendre votre chef de service par le col et le coller contre le mur de son bureau en lui hurlant qu’il est un con de la pire espèce. Et pourquoi pas faire l’amour sauvagement sur une aire d’autoroute, à la vue de tout le monde, juste parce que le feu intérieur vous en donne l’envie. Brûler la vie, vivre à l’instinct… tout est dit dans cette chanson, dans cette version magistrale. AC/DC n’aura sans doute jamais été aussi brillant ici dans sa maîtrise du Blues et de la colère. Et Satan seul sait combien ce groupe fut brillant à de multiples reprises.
Aussi surprenant soit-il, les morceaux suivants semblent presque lassants. « The Jack », « Whole Lotta Rosie » et « High Voltage » sont pourtant des chansons fabuleuses théâtre d’improvisations magistrales. Et c’est encore le cas ici. Seulement voilà, l’histoire, le temps, a rendu ces morceaux presque banals. C’est pourtant bien une erreur, et AC/DC délivre ici des versions furieuses, et fort originales, notamment l’introduction de « The Jack », granitique. Vous y trouverez de toute façon votre bonheur si vous aimez ce groupe.
Mais pour le vrai amateur de Rock, la pépite suivant est « Baby Please Don’t Go ». Cette reprise fait partie du répertoire d’AC/DC depuis cinq ans. Pourtant, avec l’élargissement naturel du répertoire, cette reprise disparaît progressivement. Nous sommes encore en 1977, et pour la dernière fois, le quintet en offre la quintessence primale. Joueur, AC/DC s’amuse, dialogue avec le public. Angus Young est brillant, répondant par ses chorus aux relances du public et du groupe mêlées.
Le set se termine par un « Problem Child » de circonstance. Particulièrement plombé et rapide, il arrache les derniers brins d’herbe du jardin et nos dernières illusions bourgeoises. Le duo des frères Young n’a jamais aussi bien sonné qu’ici, passionné. Les guitares sont une merveille, de bout en bout.

On ressort de ce concert épuisé, mais satisfait. Presque sale. Parce que comme des sales kids, on a pas hésité à remettre en cause le système, à refuser cette société de cons. Et la rage au ventre, on reprend le chemin des bureaux, comme un mouton. Mais plus totalement soumis.
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