samedi 27 mars 2010

BLACKFOOT 1981

"Et sur ce terrain, Blackfoot était une bête. Il était littéralement le Led Zeppelin du Hard-Blues sudiste."

BLACKFOOT : « Live In Atlanta » live 1981

Avec un ami, nous regardions sur un site des vidéos des vieux clips. Lors de ces soirées, nous nous remémorons les années 80 et 90, et cherchons les clips promotionnels les plus ringards des plus grands groupes. Ainsi, certaines institutions du Rock (toutes ?) se sont souvent fourvoyées dans des films aux scénarii et à la qualité cinématographique d’une confondante nullité, le tout servant bien souvent une musique également proche du trou noir créatif. On peut ainsi citer Deep Purple période 1987-1993, Saxon après 1983, Judas Priest après 1982, et tant d’autres qui se sont ramassés sur ces années MTV promptes aux pires débauches de clichés.
Cherchant toujours plus ridicules et donc risibles, je cherchai du côté de Blackfoot. Je lui fit ainsi découvrir « Vertical Smiles », l’album studio de 1984, authentique concentré d’immondices sonores, suivi trois ans plus tard d’un « Ricky Medlocke’s Blackfoot » tout aussi misérable musicalement parlant. Mais ce dernier bénéficia d’une coquette vidéo promotionnelle, superbe merde visuelle regroupant TOUS les poncifs dans une débauche d’incohérence à vous faire éclater la rate. On y distingue pêle-mêle le groupe jouant sur scène, mêlant musiciens black avec costards luisant genre Miami Vice et bandeau en éponge sur le front, et leader rock-métal (Ricky Medlocke donc), avec un superbe perfecto à franges, jean moulant, santiags et guitare Ibanez blanche. La musique est archi-FM, pourrie de synthétiseurs pompeux et de guitares hard-métal ineptes. Le scénario mélange ensuite clichés sexy, films d’horreur de série Z, et bagnoles de sport de l’époque (c’est-à-dire caisses pourries en plastiques). Bref, la totale.
Après quelques éclats de rire généreux, nous finissons pas nous calmer, et une pointe de douleur finit par nous envahir. Parce que derrière, je poussai le vice en diffusant « Train Train » en concert en 1981. Blackfoot n’est alors pas ridicule, mais majestueux, au pinacle d’une puissance de feu sonore irréprochable.
Les quatre musiciens, malgré leurs tronches de bouseux du Deep South, sont beaux, car fiers, unis. Ils s’amusent, donnent tout à leur public. Oui, Charlie Hargrett le guitariste, perd ses cheveux et a de grosses lunettes de soleil cheap. Oui, Jackson Spires, le batteur, louche et a un petit short satiné un peu con, mais sa frappe dantesque et ses mâchoires serrées en font un sacré musicien. Oui, Greg T-Walker avec sa panoplie d’indien, paraît un peu couillon mais sa basse résonne puissament, et l’homme fait preuve de beaucoup d’humour et de jovialité. Et puis il y a Ricky. Il est fier, il est grand et beau. Il porte son stetson et son grand manteau de bad man, mais il est en phase avec son groupe. Il vole littéralement, poussé par ses trois camarades de jeu. Les quatre sont en totale osmose, et ils ravagent tout, laissant le public exsangue, comme peu de groupes en sont encore capables à l’époque (rappelons que cela sent le hard-FM aux USA et la New-Wave en Europe depuis 1979).
Alors les valeureux combattants du Hard-Blues, ils n’en reste guère. On est dans le vent de l’époque, genre synthés et permanentes ou New-Wave gothique, ou on est carrément Métal, comme Iron Maiden, Saxon ou les futurs Metallica, Slayer ou Metal Church.

Cette petite soirée finit par me donner envie de faire écouter un petit bijou à mon ami. C’est un live enregistré par une radio américaine d’Atlanta en 1981. Blackfoot est alors en pleine tournée promotionnelle de l’album « Tomcattin’ », paru l’année précédente. Le groupe a définitivement assis son style depuis « Strikes », paru en 1979, c’est-à-dire un Hard-Rock gorgé de Blues et de Soul. Blackfoot fut rattaché au mouvement sudiste, ce qu’il revendiqua pour deux raisons : la première est qu’ils sont de Jacksonville comme Lynyrd Skynyrd et que Ricky Medlocke en fut le batteur en 1970. La seconde est qu’en 1979, seuls les groupes sudistes continuaient à perpétuer ce mélange de Rock dur et de Blues, à l’instar des Outlaws, de Molly Hatchet, Point Blank ou Doc Holliday. Mais Blackfoot était le plus redoutable.
Il avait de plus un aspect sympathique que n’avaient pas ses camarades de jeu. Les trois-quart du groupe étaient d’origine indienne Blackfoot, soit issus d’une des communautés les plus persécutés des Etats-Unis, et ce avant les Noirs. On ne pouvait donc guère suspecter Blackfoot d’être raciste ou d’extrême-droite, contrairement à Lynyrd Skynyrd par exemple.
Musicalement, si en studio, le groupe semblait mal à l’aise, bercé par les conseils des producteurs et de la maison de disques (Atco, filiale d’Atlantic, précisons-le, soit une major), il lâchait les chiens en concert. Et sur ce terrain, Blackfoot était une bête. Il était littéralement le Led Zeppelin du Hard-Blues sudiste. Le quatuor ramassait n’importe quel concert, n’importe quel festival. Son incroyable énergie mit à genoux un paquet de vaillants jeunes loups, comme les Iron Maiden en 1982 à Reading, battus par ces quatre têtes brûlées généreuses.
Ce live en est la preuve éclatante. Bien sûr, il y eut le live officiel, ce « Highway Song Live » enregistré à l’Hammersmith Odeon à Londres. Pourtant, bien qu’excellent, il lui manque les tripes ce celui-ci.
Totalement pris sur le vif, galvanisé dans son fief du Sud, Blackfoot donne tout, sans retenue. Et puis, il y a ici une superbe set-list, faisant la part belle aux deux précédents disques, mais aussi à quelques belles nouveautés tirées du magnifique « Marauder » paru cette année-là. C’est-à-dire ce fameux bestiaire qui fit la réputation de Blackfoot.
Surtout, il est capté par une radio FM locale, ce qui décuple encore son impact live, et donc, galvanise les boys qui donnent tout.
Inutile de vous préciser que le son est très bon, puissant, lourd, et électrique. Ricky Medlocke harangue la foule, défiant ce public de prouver combien le Blues respire encore dans ce poumon prolo des USA.
Atlanta, c’est la Géorgie, le pays de James Brown. Blackfoot vient faire démonstration de sa puissance en terre Soul.
Et pour cela, il débute par le désormais classique « Gimme Gimme Gimme », tornade Hard-Rock luisante sous ses chromes, qui fixe le décor. Mais Blackfoot pousse le culot à enchaîner ce titre avec un autre brûlot appelé « On The Run ». Refrain accrocheur, paroles taillées pour la route. La section rythmique s’emballe, survoltée, et voit Hargrett et Medlocke se répondre en chorus hargneux.
La pression ne redescend pas avec « Every Man Should Know (Queenie) ». Cette hard-song sortie de “Marauder” déboule derrière un petit boogie improvisé. Les riffs sont implacables, Blackfoot est dangereux.
« Searchin » calme l’ambiance, et ramène le quatuor sur de vraies terres sudistes. Cette mélodie mélancolique, cette impression de poussière dans la bouche, ces soli plaintifs et lyriques, tout est là, magnifié par des musiciens transcendés.
Il ne s’agissait pourtant que d’une brève accalmie avant un nouveau déluge sonique magistrale. D’abord, il y a le heavy et poisseux « Fox Chase », imbriquant sa rythmique lourde avant de voir galoper de grands chevaux sauvages sur « Too Hard To Handle ». Ce dernier est un titre stylé « good booze and bad wimmen », machiste et fier. Pourtant, ce titre reste pour moi l’un des plus implacables que Blackfoot ait produit.
Le boogie ne s’arrête pas pour autant avec le fracassant « Fly Away » avec ses faux airs de blue song. Le tonnerre rugit toujours sur le refrain et dans les joutes de guitares. « Road Fever » ramène Blackfoot dans des territoires hard’n’heavy purs. C’est ce type de chanson qui fit du groupe un redoutable concurrent pour la NWOBHM.
« Train Train » suit ce torrent de colère. J’adore cette chanson, entre Blues et boogie. Vrai road-song, elle fait définitivement partie des classiques du genre. La particularité ici est que Shorty Medlocke, le grand-père de Ricky, qui assure l’introduction du titre en studio, vient ici jouer en live. Moment émouvant donc, qui n’altère en rien la puissance de l’interprétation. Ricky Medlocke fait étalage de ses talents de slide-guitariste, chose aujourd’hui rare dans Lynyrd Skynyrd.

« Highway Song », longue pièce héroïque typique du genre sudiste, vient clore de superbe manière ce superbe concert. Hargrett et Medlocke se répondent à l’infini sur une rythmique brûlante, galopant que des pur-sangs.
Le public d’Atlanta a droit à un petit rappel hurlant : « Rattlesnake Rocker », qui laisse le silence encore empli d’électricité.

A l’écoute de ce live décisif, Blackfoot ne pouvait que réussir. Il se battra encore un an de plus. Il en sera autrement à partir de 1983, le management la pression sur le groupe afin qu’il décroche un vrai hit. Et à l’époque de Genesis, Bon Jovi et Motley Crue, cela ne pouvait donner qu’une compromission sans âme. Blackfoot se dissolvera dans l’amertume. Et pour les vrais fans qui savent, ils restent ces concerts fabuleux qui rendent tout le blues-rock et le rock sudiste actuel bien pâle et aseptisé.
Et parce que je suis bon avec vous, voici Blackfoot interprétant "Train Train" en concert en 1981 :
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samedi 20 mars 2010

BABY GRANDMOTHERS

"Baby Grandmothers, est, comment dire, au-delà de toute la hype anglaise et US."

BABY GRANDMOTHERS « Baby Grandmothers » 1968

Les arcanes du rock sont décidément impénétrables. Jusqu’à quand retrouvera-t-on des enregistrements estampillés 60’s-70’s ? Il est vrai que beaucoup de choses sorties récemment manquent cruellement d’intérêt, et on a parfois l’impression de râcler les fonds de tiroir. Mais là….
Ce disque est une pépite sidérante, et contrairement à Rabbit ou Paris, vous la trouverez aisément, puisque rééditée récemment. Le rock dit psychédélique, c’est-à-dire en gros gorgé de fuzz et de rythmiques hypnotiques, fut prolixe en groupes, mais pas toujours très inspirés.
Les chantres, les maîtres du genre furent entres autres Cream et Jimi Hendrix Experience, auxquels on peut ajouter les Yardbirds. Grâce aux génies guitaristiques dont ils disposaient chacun, à savoir Clapton, Hendrix, Beck ou Page, ces trois bands fournirent de grands moments instrumentaux très planants et électriques.
Baby Grandmothers, est, comment dire, au-delà de toute la hype anglaise et US. Si l’inspiration Cream – Jimi Hendrix est bien présente, ce power – trio est l’un des plus invraisemblables groupes de heavy-psyché.
Fondé sur les cendres des T-Boones en Suède en 1967, le guitariste Kenny Hakanson, le bassiste Goran Malmberg et le batteur Pelle Ekman décide d’envisager le rock de l’époque dans un tonnerre d’électricité. Excellents techniciens, ils bricolent leurs propres lampes d’amplis (qu’ils fourniront également aux Troggs), ou leur propre grosse caisse métallique, et non en bois. Le résultat de ces bidouillages sont de longues plages gorgées d’électricité sauvages, malsaines et prenantes, sortes de bad-trips redoutables.
Dés le vertigineux et fantomatique « Somebody Keeps Calling My Name », on est pris à la gorge par cette voix lugubre, et cette guitare au timbre blues, mais vacillant sous les coups de médiator et la chauffe à blanc des amplis Marshall. On est balloté dans un tourbillon cosmique qui s’étend à l’infini, c’est-à-dire sur l’ensemble des plages qui font entre 7 et 20 minutes. Et si la musique de Baby Grandmothers est pour beaucoup instrumental, on ne peut que rester pantois devant l’inspiration permanente des chorus de guitare qui n’est pas sans rappeler la meilleure guitare de Jimmy Page en 1969, mais avec ce quelque chose de barré en plus. Un peu comme si Syd Barrett avait rejoint Led Zeppelin. De « Berkagulen » à l’odyssée en deux parties de « Being Is More Than Life », on est plongé dans un univers délirant de gorgones et d’hallucinations urbaines, transformant les scènes du quotidien en visions d’épouvante.
Le son de l’enregistrement est bien évidemment très cru compte-tenu des moyens dont a pu bénéficier le trio à l’époque, mais il est tout de même incroyable qu’une telle formation n’est pas fait plus de bruit médiatiquement parlant. Trop bad-trip peut-être. En tout cas, il se dit que Jimi Hendrix resta sans voix devant leur prestation alors qu’ils se produisaient en première partie du Experience. Le Voodoo Chile dut redoubler de talent pour faire oublier les trois cinglés électroniques.
Toujours est-il que le trio ne survit pas à cet album, et le trio rejoint les Mecki Mark Men avant de disparaître définitivement dans l’oubli.
Il a donc fallu attendre près de quarante ans pour redécouvrir pareil miracle sonique, et se dire que l’archéologie rock’n’roll apporte parfois du bon. Dans tous les cas, c’est toujours avec amusement que je regarde les nouveaux groupes dits garages ou planants à la mode. Parce qu’en écoutant ce disque, vous trouverez le reste bien fade.
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samedi 6 mars 2010

SPOOKY TOOTH

"Ce disque est donc rien de moins que l’achèvement musical, non seulement d’un groupe, mais aussi d’une époque."

SPOOKY TOOTH « The Mirror » 1974

Celui-là, on le trouve souvent dans les bacs à soldes, sous une pochette moche et plus ou moins intitulé “best-of Spooky Tooth”. Je crois que j’ai découvert ce disque grâce à une vilaine compilation « Editions Atlas », mais les pressages à chier de ce disque sont légions.
Le bon format, celui qui rend son âme à ce disque, est plus rare. Surtout qu’il faut être gonflé de commencer à parler de Spooky Tooth en passant à côté des premiers albums. Il est vrai que « Spooky Two » de 1969 fut le premier disque de musique « intelligente » qui me fascina à mon plus jeune âge.
Mais la force de l’électricité sauvage m’attire vers ce brûlot, coda d’un groupe prodigieux qui, dans la confusion d’une séparation imminente, enregistre un de ses meilleurs disques.
Car « The Mirror » est une pépite. Souvent utilisé comme une bande au rabais, il est l’un des chefs d’œuvre de ce quintet original anglais, fondé en 1967 sur les cendres d’une groupe de rythm’n’blues du nom des VIP’s, qui vit passer dans ses rangs un certain Keith Emerson, devenu célèbre par la suite sous forme d’initiales : ELP.
En 1974, la situation de Spooky Tooth n’est pas évidente, mais pourrait être plus mauvaise. En effet, le groupe s’était séparé en 1970 après le magnifique « The Last Puff ». Mike Harrison, le chanteur à la voix profonde, et Mike Kellie, le batteur à la frappe magique (son jeu me fascine à chaque écoute : je crois avoir écouter « Witness » à foison rien que pour ce beat fabuleux), reforment Spooky Tooth, espérant surfer sur un succès antérieur plutôt prometteur aux USA et au UK pas encore disparu. Le groupe s’adjoint l’ancien guitariste de …Johnny Hallyday, un certain Mick Jones, pour reformer la bande, en compagnie du clavier historique : Gary Wright. Pilier du son Spooky Tooth, il fait parti du trio des organistes reconnaissables entre tous, aux côtés de Jon Lord et… Keith Emerson. Et Puis Brian Auger, mais ça, c’est pour me faire plaisir.
Bref, Spooky Tooth reprend la route en 1972, et trouve fortune aux USA grâce à deux beaux disques : « You Broke My Heart…. So I Busted Your Jaw » en 1972, et « Witness » en 1973. Mais la valse des musiciens chez Spooky Tooth est une constante, donc, il y a du mouvement en 1974.
Mike Harrison, notamment, fait connaître son souhait de quitter le groupe. Mais contrairement à ce que les différents historiques du groupe veulent bien vous apprendre, la genèse de ce disque fut complexe. Mick Jones reste à la guitare, Gary Wright aux claviers, Mike Kellie à la batterie (mmmhhh ! ce rythme compact, épais, ce feeling…) remplacé pour la tournée par Graham Bryson. Val Burke apporte une basse monstrueuse, lourde, grasse, sonore, la première depuis Greg Ridley en 1969, parti dans Humble Pie.
Et puis donc, il y a Mike Patto au chant. Patto est un chanteur magnifique, tout droit sorti d’un prodigieux groupe de heavy-jazz-rock du nom de …. Patto, et qui comptait dans ses rangs le merveilleux Ollie Halsall à la guitare.
Et cette union magnifique ne va pas donner un disque fade et ampoulé. Non, Spooky Tooth se débarrasse de ses effets progressifs, et décide de se concentrer sur un heavy-rock proche de Deep Purple.
Et Deep Purple, mêlé à du blues progressif anglais, du jazz-rock progressif type Patto, et du funk lourd, cela donne « The Mirror ».
Ce disque n'est donc rien de moins que l’achèvement musical, non seulement d’un groupe, mais aussi d’une époque.
« Fantasy Satisfier » débute avec un gros riff lourd, puissant, poursuivi par une section rythmique incroyable, compacte, précise. L’orgue Hammond râpe l’espace, soutenant la Les Paul de Jones. La basse, soutenue, gonfle le son. Gary Wright chante, et plutôt bien. Sa voix mélodique annonce, mais avec plus de hargne, des chanteurs de la trempe de Steve Perry de Journey, période hard-FM, à la fin des années 70.
Le pont heavy-planant du milieu fait retomber la pression, et rappelle combien Spooky Tooth est depuis 1968 à la croisée des chemins entre heavy-music et rock progressif.. Un pionnier des genres en somme.
Le titre suivant, « Two Time Love », est un hallucinant heavy-funk. A l’époque, nombre de groupes plonge dans le bain de la soul-music, notamment après le choc « Superstition » de l’album « Innervisions » de Stevie Wonder.
Sauf que Spooky Tooth n’est pas du genre à suivre le vent. La basse est lourde, puissante, ronflante, collée sur un beat impeccable, mais totalement original, puisque c’est celui de Mike Kellie, et que l’homme a toujours eu ce groove depuis la fin des années 60. L’orgue Hammond de Wright rugit sur les débats, lourd, menaçant. La guitare est très en retrait, comme pour prouver que l’on sait groover en Albion, mais contrairement au son Motown, on n’hésite pas à jouer des coudes. La voix de Mike Patto est brillante, rugissante, parfois narquoise, nasillarde. Cet homme avait un talent fou, capable de chanter n’importe quoi avec un brio hors normes. Ajoutons à cela que sa voix fusionne impeccablement avec celle de Wright, ce qui fait un bon point de plus sur le refrain. Etrangement, cette chanson disparaît régulièrement des rééditions, ce qui est, pardonnez-moi l’expression, une connerie monumentale.
« Kyle » se fait plus romantique. C’est le titre qui fait le moins preuve de personnalité. Bien que cette ballade soit de bonne facture, elle n’apporte rien de plus à la discographie de Spooky Tooth. Il s’agit sans doute là d’un petit plaisir de Gary Wright, ainsi qu’une tentative d’accrocher les radios US. Néanmoins, les harmonies vocales sur le refrain reste un petit délice.
« Woman And Gold » vrombit sous une basse funky, mais tellement sauvage et anarchique que l’on ne soupçonne pas la moindre influence studio soul. Mick Jones râcle le sapin. Il est dingue comme ce garçon avait un son incroyablement gras et puissant, à l’instar d’un Leslie West, qu’il côtoiera par ailleurs au sein du Leslie West Band en 1976 (superbe disque mes amis !). Et cela et d’autant plus étonnant qu’avec Johnny ou dans Foreigner, on cherchera cette hargne en vain. Sans doute une parenthèse de liberté miraculeuse. Toujours est-il que cette bonne chanson puissante, aux ressorts progressifs ne fait qu’annoncer les pépites à venir.
« Higher Circles » est une petite merveille qui débute tout en douceur avant de plonger dans les affres de la Les Paul de Jones. Mais ce que j’adore ce sont ces ponts à l’Hammond presque cosmiques, angoissants, qui font rebondir la chanson dans une autre dimension.
« Hell Or High Water » est un funk-rock très à la mode, qui rattache le funk ambiant et la rock-music de Peter Frampton, notamment par cette talk-box survolant l’introït. Seulement voilà, c’est Mike Patto qui chante, et le côté mélodique niais est évité largement, pour plonger dans un refrain puissant, gorgé d’orgue Hammond noir et de Les Paul Custom grasse. Le refrain est tout simplement imparable, malgré le psychédélisme délicieusement désuet du refrain : « I Chase Rainbows In The Dark ». Les chœurs sont parfaits, et finalement, la talk-box est un peu superflue.
« I’m Alive » est LA Hard-Rock song a se caler sur l’autoradio de la voiture lorsque l’on se barre en vacances, ou lorsque l’on fuit une rupture douloureuse. Tout y est impeccable : le riff de guitare, les chorus de piano électrique, la rythmique. Reste la voix, celle de Wright, qui aurait dû être confiée à Mike Patto, plus expressif, plus hargneux. Néanmoins, « I’m Alive" s’écoute des dizaines de fois sans lasser, notamment avec sa coda lyrique.
Lorsque les premiers accords acoustiques de « The Mirror » retentissent, on entre dans une autre dimension. Il y a bien ces quelques accords de synthétiseur qui pourrait prêter à confusion, mais vous êtes bien avec un grand titre. C’est une sorte de ballade morbide, lugubre, froide, étrange. Wright et Patto alternent le chant sur des accords surréalistes de claviers et de guitare acoustique. Les chœurs interpellent, rassurent presque, mais lorsque l’homme regarde dans le miroir, il cherche la lumière, semblant la voir, en vain.
« The Hoofer » ne résout rien, laissant un doute derrière ce chorus cynique. Il conclut le disque comme une parenthèse. Il semble que Spooky Tooth n’ait pas tout dit.
Le temps reste en supens. Le groupe s’est reformé, mais Mike Harrison revenu au chant, le blues a pris la place du lyrisme soul-jazz-progressif.
Pas un mal, car un concert de Spooky Tooth vaut mieux qu’un concert de Johnny, et cela, j’en fais la promesse. En me regardant dans le miroir.
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