samedi 20 février 2010

VARIATIONS

"Ils étaient beaux, ils étaient jeunes, ils étaient à la mode."

LES VARIATIONS « Nador » 1970

C’est en écrivant la chronique sur Little Bob Story que j’ai repensé aux Variations. Les Variations… Ou comment faire du Led Zeppelin à Châteauroux… C’est un peu ça finalement. Ils étaient beaux, ils étaient jeunes, ils étaient à la mode. On parlait d’eux dans tous les magazines comme le groupe du moment en France, les plus rebelles, les plus rock’n’roll. Et pourtant…
On oublia surtout qu’ils furent les premiers à tenter d’implanter un vrai son rock en France, fuyant les clichés yé-yé et les reprises d’Otis Redding version Eddy Mitchell et Nicoletta. Et c’est sans doute aussi pour cela qu’ils tournèrent beaucoup en Hollande et au Danemark, là où leur premier simple « Mustang Sally » en 1968 avait bien marché. Car voilà, les Variations étaient aussi bons que les groupes anglo-saxons, et c’était une première.
Le groupe signa chez Pathé-Marconi fin 1968, et sorti trois simples retentissants, dont les excellents « Come Along » et « What’s Happening » en 1969. Le bout de la route, c’est ce premier album, « Nador ».
Dés le brutal « What A Mess Again », on comprend que l’on a affaire à un groupe inspiré du Zep et des Stones, mais pas seulement. Il y a une rage garage, un truc à la fois blues et punk qui rend l’ensemble bien dans l’époque, et presque décalé, à l’instar des Flamin’ Groovies par exemple. Et puis il y a ce charisme dans la musique. Il faut dire que Jo Lebb au chant, Marc Tobaly à la guitare, Jacques « Petit Pois » Grande à la basse, et Jacky Bitton à la batterie ne doivent leur succès qu’à des concerts tonitruants dans les bals, les MJC et le Golf Drouot.
Tout s’enchaîne impeccablement, avec du très lourd comme « Waiting For The Pope », heavy en diable, les rocks « Generations » et « Free Me », mais aussi les influences arabisantes sur « Nador ». Car les quatre sont d’origine Nord-Africaine. Ils pousseront d’ailleurs cette veine sur « Moroccan Roll » en 1974, qui est ni plus ni moins que l’alliage d’un groupe de hard-rock avec un orchestre arabe, soit ce que fera Page et Plant vingt ans après. En attendant, ce premier disque est empli de cette énergie brute. Je ne saurais trop vous conseiller la version cd, qui inclut tous les simples de 1969, soit la quintessence rock’n’rollienne de ce quatuor formidable, qui tenta de défendre une certaine idée du rock en France, un rock fier et rebelle, digne des anglais ou des américains.
Perte de temps, le disque sera un four. Le groupe écume la France pendant un an et demi avant de fuir aux USA. Ils enregistrent « Take It Or Leave It » en 1973 avec Don Nix comme producteur, et tournent en compagnie d’Aerosmith, Blue Oyster Cult, ou les Doobie Brothers. Ils sefont une petite réputation là-bas, s’attirant les éloges du Billboard US. Mais cela n’empêchera pas le groupe de revenir, Jo Lebb pétant les plombs avant de fuir en 1974. La musique des Variations s’est alors américanisée, et bien que très bonne, est devenue plus professionnelle.
« Nador » demeure alors une œuvre séminal d’un rock français enfin à la hauteur de la concurrence, joyau impeccable d’un groupe qui courut après des chimères, et qui sembla les avoir égratigné.
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mercredi 10 février 2010

TASTE

"On entend sur ce premier disque le souffle des amplificateurs, les larsens, les changements de tonalité sur les guitares, le ronflement opaque, sourd, de la basse."

TASTE : « Taste » 1969

Si ma découverte de Rory Gallagher passa par le mythique « Irish Tour » de 1974, je découvris Taste, son premier vrai groupe, le soir de sa mort. C’était en juin 1995. Je me souviens que ce soir-là, j’écoutais l’émission « Classic Rock » sur RTL. C’était un samedi soir, il était 22h30. J’avais 15 ans, mais je ne sortais pas. Les boums, la dance, les mobylettes, tout cela ne m’intéressait guère. Les filles si, bien sûr, mais j’étais trop gauche, trop introverti, trop frustré pour pouvoir entamer la conversation. De toute façon, les plus jolies filles du lycée, que tous les garçons convoitent, n’avaient rien à faire avec un loser comme moi.
Alors ce soir-là, comme souvent, j’étais seul dans ma chambre, avec ma radio, et mes cassettes audio pour copier ce qui me plaisaient le mieux. J’avais découvert Rory via une émission de télévision appelé « Culture Rock », qui présentait l’année 1975 en musique. Il y eut quelques dizaines de secondes foudroyantes d’électricité, délivrées par un petit bonhomme en jean et chemise à carreaux, en sueur, le poil long. C’était un extrait d’un concert, en cette année 1975, où tous les délires mégalomaniaques du rock, qu’il soit progressif ou hard, sont permis : les concerts géants, la cocaïne, les double ou triple albums, les light-shows et les costumes déments.
Au milieu, Rory Gallagher c’était la simplicité, le Rock prolétaire, le Blues, nerveux, rageur, inspiré, exprimant autant la rue que la poésie gaélique. Ce garçon était magique, et renseignement pris, j’achetai donc le « Irish Tour », que je trouvai bien fameux.
Et puis ce soir de juin 1995, il y eut un hommage vibrant. Bien sûr, on était à 22h30, sur RTL, entre amateurs. La mort de Rory, ça ne faisait pas le 20h. Pourtant, ce soir-là, j’ai pleuré. Bien que ne connaissant pas bien l’homme ni sa musique, je découvris toute la sympathie qu’il inspirait, que ce soit auprès des fans ou de Georges Lang. Ce que j’avais perçu durant ces quelques secondes à la télé était vrai : Rory Gallagher était un type humble et passionné, qui sacrifia sa vie à la musique, et un art qui fut à la fois son pinacle et son tombeau.
La carrière de Rory fut donc égrenée, mais c’est Georges Lang qui dégaina Taste. Il avait découvert le disque en 1969. Alors jeune animateur sur Radio Luxembourg, il passait « Blister On The Moon » du premier album « comme un fou » selon ses propres dires.
Je me procurai ce premier album quelques semaines plus tard et fut terrassé par la totalité du disque.
Rappelons que Taste fut le premier groupe professionnel de Rory. Formé en 1966, il était alors un groupe de copains. Outre Gallagher à la guitare et au chant, on trouvait Norman Damery à la batterie, et Eric Kitteringham à la basse. Le groupe écuma tous les clubs irlandais, avant de débarquer à Londres en 1968. Taste enregistra une démo professionnel de huit titres , mais ces chansons restèrent inconnues jusqu’en 1972, sorties sous le nom de « In The Beginning ».
Le potentiel du groupe est déjà impressionnant pour l’époque. Taste est véritablement original malgré son répertoire Blues-Rock. En effet, il ne tombe ni dans les travers psychédéliques virtuoses de Cream ou Jimi Hendrix, et encore moins dans le côté British-Blues Boom respectueux du son noir jusqu’à la décalcomanie maniaque.
Taste offre un Blues-Rock énergique, sans fioriture et sans effet de manche, issu tout droit des pubs de pêcheurs. Le son est rude, c’est celui du dur labeur.
Lorsque Polydor signe Taste en 1968, il suggère fortement à Rory de virer ses compagnons, certes sympathiques, mais trop modestes musiciens pour aller taquiner du Cream ou du Experience.
Deux irlandais de Belfast (rappelons que Rory est du Sud, de Cork) prennent la basse et la batterie : respectivement Richard MacCracken et John Wilson.
Le répertoire est déjà bien établi, et les deux nouveaux doivent avant tout se fondre avec l’univers de Rory. Ce dernier sait ce qu’il veut ; les chansons, qu’elles soient des compositions ou des reprises, ont toutes la personnalité du guitariste.
En 1969, le Psychédélisme laisse place au début du Rock Progressif, au début du Hard-Rock avec Led Zeppelin, ou avec une forme de Blues dite progressive avec Free, Spooky Tooth ou Fleetwood Mac. Jimi Hendrix est mal en point après trois albums phénoménaux, des tournées à n’en plus finir et de la drogue comme si l’en pleuvait. Cream est mort à temps. L’enterrement de Première Classe a lieu au Royal Albert Hall en novembre 1968, et Taste assure la première partie, défonçant le trio heavy-pschédélique fatiguée.
Le premier album éponyme arrive en 1969. Sa pochette, magique, résume le propos : de la sueur, des larmes, et de l’électricité. Taste joue ici un Blues violent, âpre, enregistré live en studio. La photo en noir et orange de Rory, le montrant en action, hirsute, en sueur, est une fulgurance antinomique à cette époque. On cherche l’intellectualisation du propos, faire en sorte que le Rock soit pris au sérieux. Bien que de nombreux chefs d’œuvre émergèrent, tels « Tommy » ou « Aqualung », Taste rappelle combien le Blues et le Rock ont à voir avec une certaine culture ouvrière et prolétaire.
Surtout, l’énergie incroyable, totalement indescriptible et inclassable à l’époque, à la fois issue du Rythm’N’Blues du milieu des années 60 et du Rock des années 50, mais avec une virtuosité du propos totalement moderne, étonne.
Taste défriche le terrain au Hard-Rock de la fin des années 70, à la fois totalement exubérant et profondément romantique. C’est le vivier de UFO, Thin Lizzy ou de Aerosmith première époque.
On entend sur ce premier disque le souffle des amplificateurs, les larsens, les changements de tonalité sur les guitares, le ronflement opaque, sourd, de la basse. Les peaux et les cymbales semblent crépiter dans votre salon, le Blues est là, vivant.
Ce disque est irrémédiablement le symbole de ce que la nouvelle génération ne comprend pas. Les kids veulent du surproduit, du 3D, du HD, du Blue-Ray, de la hype. Avec Taste, on entend trois musiciens se donner le change. Ca ripe, ça souffle, ça siffle, bref, ça respire. Qu’importe les imperfections, la musique ici vit. On sent l'énergie du live, là dans le studio londonien.
Le Blues râcle le plancher. Après le fulgurant « Blister On The Moon », tonnerre de riffs rageurs sur une rythmique maintenant une tension exacerbée, on trouve l’un de mes titres favoris : « Leaving Blues ». La slide dérive, la voix de Gallagher est magique. La batterie rentre en jazz. Voilà encore un aspect de Rory dont tout le monde se fout : son amour du jazz. Le second disque de Taste le verra s’orienter vers ce courant, et l’homme est un brillant saxophoniste. J’aime cette slide toute en accords piqués. J’aime cette fantastique sensation mêlant joie de la liberté et sensation d’abandon, voire de trahison.
Suit « Sugar Mama ». Je n’aime pas trop les Blues lents. Du genre pompier et lourdingue, de ce que furent capable de produire des Eric Clapton, BB King, et autres adeptes du Blues à paillettes.
Pourtant, on y trouve une rage exacerbée que l’on ne trouve que chez Humble Pie. On y trouve les vraies boules de l’homme qui subit la vie comme un loser. C’est marrant, mais interprété comme cela, la Sugar Mama, elle a intérêt à faire profil bas. Parce que ça va chier, et pour de vrai. Tout y est exacerbé, de la guitare à la rythmique. On y trouve notamment les prémices du Doom, avec ce rythme ultra-ralenti, pachydermique, ces riffs plombés,qui préfigure le heavy-metal, bien plus que Led Zeppelin.
On retrouve cet art sur « Catfish », morceau du même métal, mais qui lui annonce « Whole Lotta Love » de Led Zeppelin de par son riff entêtant, tiré du Blues le plus noir, épidermiquement parlant.
« Wrong Side Of Time » est une rock-song héroïque, typique de l'influence irlandaise que l'on retrouvera sublimée chez Thin Lizzy.
« Same Old Story » est le titre efficace par excellence, avec son riff boogie imparable, et ses chorus bien sentis. Cette chanson aurait dû connaître un destin plus attrayant dans les charts.
Et puis il y a les titres acoustiques, « Hail » et « I'm Moving On », qui sont loin d'être négligeables. Plus que des respirations dans le brasier, elles démontrent l'amour profond de Gallagher pour le country-blues. D'ailleurs l'homme reste à mon sens l'un des tous meilleurs interprètes, de par l'énergie et la vivacité qu'il y insuffle.
Taste devient une attraction scénique dans tous le pays, et le second album, « On The Boards », paru en 1970 entre dans le Top 20 anglais. La suite, ce sera une tournée triomphale, et notamment à l'Isle de Wight. Alors que les héros hippie agonisent, de Jimi Hendrix au Doors, là sur la scène du festival, de nouveaux héros blues et heavy apparaissent, dont Taste et Free. Le trio de Gallagher devra ainsi faire cinq rappels après une performance brillante, immortalisée sur disque.
Puis Taste explosera en vol début 1971, Wilson et MacCracken voulant être davantage impliqués dans la composition. Se greffe dessus les inévitables conflits politiques entre Irlandais du Nord et du Sud. Rory s'en tamponne, mais ces deux camarades deviennent vite trop pénibles pour que l'homme de Cork supporte cela plus longtemps.
La dissolution de Taste restera pour lui une immense blessure, mais commence pour lui une brillante carrière solo, dont la quasi-totalité des disques sont des miracles sonores.
Finalement, sa mort lui aura éviter de finir totalement obèse dans des festivals de blues ou de jazz, devant un public bien trop éloigné des prolétaires de son vrai public et de son Irlande Natale.
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