mardi 28 octobre 2008

HOUND DOG TAYLOR

"Mû d'une sauvagerie inouïe, il surpasse en terme de boogie primitif et sale celui de John Lee Hooker, le maîtr en la matière." HOUND DOG TAYLOR "Hound Dog Taylor And The HouseRockers" 1971


Taylor est né à Natchez dans le Mississippi en 1915. Coureur de jupons invétéré, bagarreur, il sera d’abord l’ami et l’accompagnateur de nombreuses légendes du blues: Elmore James, Muddy Waters, Sonny Boy Williamson. Mal conseillé, mal encadré, il restera un musicien de jukejoints pendant plus de vingt ans.
Durant ces longues années, Taylor fonde progressivement ses mythiques HouseRockers. Brewer Phillips, le second guitariste, joue avec Taylor pour la première fois en 1959 dans une taverne du West Side.
Quant à Ted Harvey, le batteur, il joue avec le Dog pour la première fois en 1955 dans le backing-band d’Elmore James. Les deux hommes se retrouvent aux obsèques de James en 1963. Puis Harvey remplace le batteur des HouseRockers, Levi Warren, officiellement en 1965.
Il n’y aura paradoxalement jamais de bassiste au sein du groupe. Phillips assure en même temps la basse et la rythmique alternativement sur sa guitare, suivant que Taylor soit en rythmique ou en solo.
Le groupe continue à tourner sans réelle perspective jusqu’à ce qu’un certain Bruce Iglauer devienne le manager de Taylor et de son groupe. Nous sommes en 1969.
Iglauer est littéralement scotché par le son du trio : la slide grasse et hululante du Dog, sa voix hargneuse, et la rythmique qui délivre un boogie plus hard et sale que n’importe quel groupe de heavy-rock de l’époque.
Il tente alors de faire signer ses nouveaux protégés sur le label Delmark Records, mais n’y parvient pas.
Convaincu du potentiel du groupe, il investit 2500 dollars pour financer l’enregistrement du premier album. Dans la foulée, il crée un nouveau label afin de sortir le disque : Alligator Records.
Enregistré en deux nuits durant le printemps 1971, le premier album de Hound Dog Taylor et ses HouseRockers est une pierre angulaire du blues électrique. Mû d’une sauvagerie inouïe, il surpasse en terme de boogie primitif et sale celui de John Lee Hooker, le maître en la matière.
Dés She’s Gone, on est pris à la gorge par la voix hargneuse, mordante de Taylor. Gorgé d’électricité la musique des HouseRockers déchire le ciel d’éclairs de slide rugueuse. Taylor joue depuis 1970 sur des guitares japonaises bon marché, ce qui explique ce son saturé, à la limite de la rupture.
Du boogie, il en est question, mais également de blues lent et poisseux, comme sur It Hurts Me Too ou 44Blues, qui résonne comme une supplique. La slide miaule, la rythmique sonne un tocsin maudit avant de se fracasser au sol dans un raout électrique.
Par la suite, l’album se vendra à 9000 exemplaires, ce qui représentera la plus grosse vente blues d’un label indépendant, et le titre Give Me Back My Wig deviendra le titre le plus connu de Hound Dog.
La tournée qui suivra ira jusqu’en Nouvelle-Zélande et en Australie, et permettra au groupe de se faire de nouveaux fans. Il n’est pas impossible que les frères Young d’AC/DC aient vu le bonhomme sur scène à cette époque.

tous droits réservés

vendredi 24 octobre 2008

THE ROLLING STONES

""Exile On Main Street" est un vrai retour salutaire à une musique authentique, débarrassée de ses clichés Rock de stade."
THE ROLLING STONES : “ Exile On Main Street” 1972

La Renault 16 de la Brigade des Stupéfiants de Marseille quitte la propriété sur les hauteurs de Saint-Tropez. Son propriétaire, Keith Richards, fulmine contre cette police française décidément pas si libérale que ça.
Les Rolling Stones n’aime pas la France. Depuis qu’ils y sont pour des raisons fiscales, les musiciens ne peuvent plus se défoncer à leurs guises. C’est que la police française se moque éperdument de ces 5 rock-stars, et applique avec un zèle tout particulier la loi. Richards se retrouve donc en résidence surveillée pour possession de stupéfiants.
Alors, le moins que l’on puisse dire, c’est que le moral n’est guère au plus haut chez les Cailloux. Pour être tranquilles, ils se retrouvent la nuit chez Richards pour jammer sur du vieux Blues, car le Blues, ils l’ont. The Rich Kid Blues.
Ce sera également le mot d’ordre du nouvel album des Rolling Stones. Loin de leurs racines, ils se replongent dans celles, musicales, de leurs débuts : Blues, Bluegrass, Soul, et Gospel.
Enregistré avec le Rolling Stone Mobile, chez Keith Richards, la nuit, en compagnie de Gram Parsons, Nicky Hopkins, Bobby Keys et tous les amis fidèles du groupe, « Exile On Main Street » est un vrai retour salutaire à une musique authentique, débarrassée de ses clichés Rock de stade.
De Rock, il en est bien sûr question, dés « Rocks Off », mais il y a dans ce titre un côté funky proche des Meters de New-Orleans. La suite se fait plus Blues avec « Rip This Joint », « Shake You Hips », et « Casino Boogie ». Tantôt acoustique campagnard, tantôt boogie électrique, tantôt Chicago Blues, tantôt Mississippi Blues, les Stones naviguent à travers les Etats-Unis des ghettos et des champs de coton.
« Tumbling Dice » est un superbe morceau Rock avec un air Gospel de toute beauté, comme si Jesus se balladait quelque part entre New-Orleans et Saint-Louis une guitare sur le dos, traînant ses vieilles bottes trouées sur le bitume poussiéreux d’une autoroute perdue. « Sweet Virginia » chante les Braves courbés dans le coton, sous un soleil de plomb, pendant que les Maîtres circulent entre les rangs, le fouet à la main. Le soir, les hommes noirs rentrent dans leurs pénates de bois, se mettent devant la porte, et entament « Torn And Frayed » et « Sweet Black Angel ». Les gamins tapent sur de vieilles boîtes pour accompagner les vieux. « Loving Cup », c’est plutôt pour le soir, avec un verre en main.
La suite est déjà plus Rock, avec ce « Happy » chanté par un Keith Richards dont la voix fragile et hargneuse apport un côté désabusé à cette fausse ritournelle. En passant, signalons le superbe travail de Mick Taylor à la guitare, et notamment à la slide, magique, coulée, chaude. Taylor, ancien guitariste de John Mayall And The Bluesbreakers, gravera sur ce disque son empreinte de musicien impeccable, discret, mais efficace, qui imprime ici aussi parmi ses plus belles notes de musique, et le rendra irremplaçable au sein des Stones.
« Turn On The Run » est un bon vieux boogie à la John Lee Hooker, tandis que « Ventilator Blues » sent le Swamp à plein nez, Blues poisseux et moite.
« I Just Want To See Your Face » n’est rien d’autre qu’une jam un soir où les gaillards, ronds comme des queues de pelle, se lancent dans un beat tribal, surmonté par un Fender Rhodes, et par la voix lointaine de Jagger, perdue dans la fumée des clopes et autres mégots toxiques. « Let It Loose » prolonge cette atmosphère délétère, sur un fond de réverbe qui disparaît dans la rosée du matin.
Cette petite baisse de régime est bien vite compensée par une petite ligne blanche, et tout le monde s’y met sur « All Down The Line », un bon vieux Rock orné de cuivres triomphants, ceux de Bobby Keys et Jim Price.
Et puis, le soir suivant, après le passage de la Police, Richards arrache de sa Télécaster un vieux riff mi-Canned Heat, mi-Hound Dog Taylor. Jagger souffle dans son harmonica et attaque « Stop Breaking Down ». Et puis, dans une lueur d’espoir, « Shine A Light » apparaît, mi-Blues, mi-Gospel, parce que finalement, la vie de Rock-Star, c’est pas si mal quand même.
Pour conclure ce disque, et comme s’il fallait résumer le disque, « Soul Survivor », vrai Blues-Rock typiquement Rolling Stones, boucle cette parade des musiques noires américaines.
Ce superbe double album, le premier des Stones, sera aussi le seul à ne pas dispenser son lot de simples à succès. Considéré comme un bloc, un diamant brut, ce disque reste le meilleur album des Rolling Stones. Parce que 5 Rock-Stars multi-millionnaires habitant sur la French Riviera ont ressenti en eux le Blues du fin fond du Mississippi le temps d’un album. Cela ne leur arrivera plus jamais. Le simple suivant s’appelle « Angie ».
tous droits réservés

dimanche 19 octobre 2008

GINGER BAKER'S AIRFORCE

"De magnifiques fleurs multicolores sortent bientôt du béton gris londonien."
GINGER BAKER’S AIRFORCE « Ginger Baker’s Airforce »1970

Il semble que les grandes légendes du rock aient bien du mal à se relever du succès planétaire qui les touchèrent à la fin des années 60. Pour ce qui est de Jimi Hendrix, le problème se résolut assez rapidement, puisque sa carrière météorique se termina entre quatre planches. Pour ce qui est de Mitch Mitchell et Noel Redding, elle finit dans d’obscurs combos avant la disparition complète.
Pour ce qui est du grand concurrent Cream, à la carrière également météorique, l’après Cream fut difficile. En ce qui concerne Clapton, sa carrière est archi-connue. Pour ses deux comparses, Jack Bruce et Ginger Baker, lce fut le retour vers des territoires jazz et blues plus proches de leurs aspirations de départ.
Ginger Baker, puisque c’est lui qui nous intéresse aujourd’hui, fonda Blind Faith avec Steve Winwood de Traffic, Rick Grech de Family, et …. Eric Clapton de Cream. Le groupe sortit un excellent disque et assura une tournée, mais les tensions furent telles que le quatuor se disloqua fin 1969.
Baker, lassé des supergroupes et des contraintes inhérentes aux égos, fonda son propre orchestre. Et le mot orchestre est approprié. Le but pour lui, c’est de jouer ce qui lui plaît, comme il l’entend. Il fonde donc son Ginger Baker’s Airforce. Le batteur réunit autour de lui guitare-basse-claviers et cuivres. Sauf que rapidement, cela tourne au…. Supergroupe. En effet, Baker embauche ses amis, et du coup, l’on voit arriver Denny Laine à la guitare, Ric Grech à la basse, Steve Winwood aux claviers, Graham Bond et Chris Wood aux saxophones, bref que du beau linge.
Le groupe répète et organise deux concerts : le premier a lieu à Birmingham, au Town Hall le 12 janvier 1970. Le second show a lieu à Londres au Royal Albert Hall. Baker décide de l’enregistrer afin de capter l’énergie brut de son nouveau groupe, et de le publier en guise de premier album.
Le résultat est ce disque. Ce qui frappe avant tout, c’est l’aspect rugueux et un peu bordélique de l’ensemble. Il faut dire qu’à dix sur scène, avec à peine un mois de répétition, on peut s’attendre à quelques pains. Mais les musiciens présents ici sont tellement bons que tout se met en place rapidement.
La set-list s’organise autour de titres de Blind Faith (« Do What You Like »), Cream (« Toad »), Osibisa (« Aiko Biaye »), de blues réarrangé (« Early In The Morning ») et de chansons originales (“Dada Man”, « Doin’ It”, « Don’t Care »). Et malgré une set-list disparate, l’ensemble est cohérent. Imprégné de blues, de jazz, et de musique africaine dont Baker est devenu friand grâce à la découverte du groupe nigérian Osibisa, la musique du Airforce est une odyssée.
Dés l’énorme « Dada Man », on est propulsé dans une spirale hallucinante. A pleine vitesse, l’Airforce délivre une jam de heavy-jazz blues. Les soli d’orgue Hammond et de guitare volent au-dessus d’un tapis de cuivres lourds et menaçants tenant l’auditeur en haleine. Autre grande réussite, la reprise de « Early In The Morning » chantée par Steve Winwood. La mélodie blues se transpose dans la jungle africaine, moite et ombragée.
De magnifiques fleurs multicolores sortent bientôt du béton gris londonien. Le jazz-blues anglais fricote avec les percussions du grand continent noir. Par ailleurs il faut citer également la présence du percussionniste soudanais Reebop Kwaaku Baah, futur membre de Traffic.
Ce disque n’est bien sûr pas exempt de quelques imperfections. Outre l’aspect bordélique déjà cité, il y a également quelques longueurs, en particulier les solos de batterie de Baker, curieusement pas très inspiré. On sent l’Airforce manquant parfois de souffle sur la longueur. Mais il faut dire que maintenir une jam cohérente à dix n’est guère évident. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat reste excitant. Cela n’empêche pas l’Airforce de laisser le public pantois, encore grisé par les paysages traversé, la jam finale de « Doin’ It » encore dans les oreilles.
Car ce sont également tous ces défauts qui font de cet album un disque attachant, une expérience à part. En toute décontraction, dans des territoires nouveaux à l’époque, le rock anglais prend des risques.
Par la suite, Baker poussera sa logique world en enregistrant avec Fela Ransome Kuti, et en s’installant au Nigeria. Puis en 1974, il reviendra au hard-rock avec Baker-Gurvitz Army. Mais l’Afrique et ses rythmes resteront la bouffée d’air dont avait besoin Baker après Cream, et dont les premiers assauts eurent lieu sur ce premier album d’Airforce.
tous droits réservés

mercredi 15 octobre 2008

TIM BUCKLEY

TIM BUCKLEY « Live At The Troubadour 1969 »

J’ai découvert Tim grâce à son fils. Non pas que j’ai été un fan transis de Jeff Buckley, bien que sa musique fut un des sommets des années 90. Non, en fait, j’ai découvert Tim en l’apercevant dans un reportage sur son fils. On y voit l’homme chanté une poignée de secondes. Je n’ai ouï que quelques notes, mais je suis resté sans voix.
Le second choc aura lieu quelques semaines plus tard. Pourquoi n’avais-je déjà pas acheté un disque de l’homme, je n’en sais rien. Peut-être fus-je trop absorbé par la recherche de l’éjaculation métallique ultime. Toujours est-il que c’est dans la rediffusion de la série des Monkees que je revis Tim Buckley. Seul, avec sa douze-cordes, il interprétait « Song To A Siren ». J’en eus presque les larmes aux yeux tellement c’était beau, titanesque de poésie et de mélancolie.
Le premier disque acheté fut ce live. Tim Buckley est devenu un artiste-culte, qui comme la plupart des artistes-cultes, bénéficie d’une discographie post-mortem plutôt conséquente.
Pourtant ce live est une pépite. En 1969, Buckley a déjà quatre albums au compteur, et sa musique a pris depuis « Happy Sad » un contour jazz-rock très net. Les titres s’allongent, et laissent libre cours à l’improvisation électro-acoustique des musiciens, et notamment Lee Underwood, le guitariste attitré de Buckley durant sa carrière. Je dis bien électro-acoustique, car Tim décida de mélanger électricité des guitares, et percussions africaines folles.
Ce live au club Troubadour de Los Angeles en septembre 1969 est la parfaite synthèse de cette musique obsédante, envoûté par la voix hallucinante de Buckley. Car si Jeff avait une voix magnifique, c’est qu’elle était héritée de son père. Mais celle de Tim volait encore plus haut, plus fort.
La musique prend ici une ampleur géniale. Dés « Strange Feelin’ », on plonge dans un jazz cool empli d’un groove fabuleux, moelleux à souhait. Les notes électriques de Underwood volent au-dessus de la mêlée, magiques. Suit un instrumental presque free-jazz, « Venice Mating Call », où le piano électrique finit par ramener la rythmique au sol. On oscille finalement dans ce jazz-rock moite et légèrement funky sur la plupart des titres, brillants par leurs mélodies magiques. De« I Don’t Need It To Rain » à « Nobody’s Walkin’ » en passant par les titres plus intimistes comme « I Had A Talk With My Woman » ou le poignant « Chase The Blues Away», on navigue doucement entre sensation de liberté infinie et infinie amertume.
Mais le sommet reste incontestablement « Gypsy Woman ». Cette longue pièce presque vaudou, incantatoire, voit sa rythmique s’emballer. Les percussions résonnent dans la salle comme au fond de la jungle épaisse. Underwood égraine des notes serrées, puissantes, sur lesquelles Buckely emballe sa voix. Le chant se perche dans les cieux, rageur, en sueur, possédé par cette Gypsy Woman envoûtante. On plane de longues minutes durant, possédé par les modulations ensorcelantes de la voix de Buckley qui fait contre-point à la guitare.
Par la suite, Buckley ira encore plus loin dans son exploration jazz, possédé par cet esprit nomade, avec autant de bonheur artistique, mais toujours pas au niveau commercial. C’est le début de la fin pour lui, s’enfonçant dans la déprime et la drogue.
Il tentera une veine commerciale en 1973 en se tournant vers la soul. Le résultat fut presque concluant, si ce n’est que les superbes mélodies, et la magie de l’homme sombra dans la poussière d’ange, et une tristesse profonde et noire comme le jais. Il meurt finalement en 1975, laissant derrière lui un fils qui comme lui, mourra jeune et naviguera sur les limbes de la mélancolie.

tous droits réservés