jeudi 29 mai 2008

CAPTAIN BEEFHEART AND HIS MAGIC BAND

CAPTAIN BEEFHEART AND HIS MAGIC BAND « Live In London : Drury Lane ‘74” 1974

Vous le croirez ou non, je n’aime pas la polémique. En tout cas, je n’aime pas les guerres de spécialistes. Je trouve cela abscons, d’une bêtise confondante. Pourtant, certains artistes provoquent la polémique, de par leur œuvre, complexe, et immense.
Captain Beefheart est un poète, un artiste au sens le plus classique du terme, comme un peintre, qu’il est d’ailleurs devenu à plein temps depuis 1982.
Né Don Van Vliet en 1941 aux USA, il est adolescent lorsque les grand bluesmen sortent leurs meilleurs enregistrements : Muddy Waters, John Lee Hooker, BB King, mais surtout Howlin’ Wolf et Screaming Jay Hawkins. Don est fasciné par ses voix étranges, grondantes, sauvages, qui effraient la bonne société chrétienne blanche comme une sanguinolente cérémonie vaudou. Hanté par cette extraordinaire pouvoir de perversion des esprits, il y rattache à ces incantations païennes la littérature française, et notamment le surréalisme, qu’il soit écrit ou visuel. Magritte rencontrant Howlin’ Wolf. Tous deux en guerre contre le système.
Don découvre également le jazz, et les pionniers du rock’n’roll. Et ce fait au passage un copain vivotant dans les mêmes univers : Frank Zappa. Chacun de leurs côtés, et parfois conjointement, ils vont créer un fantastique délire contrôlé, mêlant rock, surréalisme, jazz, et érudition. Car les deux sont deux fins cerveaux. Nous sommes en 1967, et lorsque les hippies imposent leurs visions cosmiques. Mais tout cela manque de cohérence, de ligne conductrice. Malgré les discours politiques, la défonce, et le dilettantisme deviennent des maîtres-mots qui finissent par ternir le fantastique espoir généré par la jeunesse en révolte.
Van Vliet et Zappa, totalement maîtres de leurs cerveaux, imposent une vision à la fois intellectuelle et humoristique des problèmes de la société, y ajoutant des images surréalistes dérivées du psychédélisme. A Zappa le jazz et le rock, à Van Vliet le blues. Dan devient Captain Beefheart, du fait de sa corpulence éloignée de l’hédonisme grecque.
Les premiers albums de Captain Beefheart and His Magic Band sont des pierres angulaires. Curieusement, pourtant, on ne fait que les citer. Pour être franc, ces disques sont pour moi de fantastiques essais intellectuels, mais en aucun cas des disques faciles à écouter et à apprécier. On se perd dans ces textes délirants, ces chansons aux rythmes fracassés, et finalement cette absence totale de mélodies.
Oui, « Trout Mask Replica » est un disque novateur, impressionnant de complexité et de trouvailles, mais son écoute est laborieuse. J’ai fini par renoncer à aimer cet album comme j’aime «Tommy » des Who ou « Roger The Ingeneer » des Yardbirds.
Bref, parmi ma grande découverte du monde du rock, Captain Beefheart fut un énigme qui me hanta, voyant cet être étrange capable de se cacher derrière une tête de … carpe.
Et par ailleurs, il devint un de ces artistes majeurs que je négligeai sciemment sans le moindre état d’âme. Trop d’électricité guitaristique et virtuose m’attendait.
Et puis finalement, je m’y suis mis. Mais par les disques dits classiques. Non, j’aime explorer les recoins perdus pour y trouver la magie cachée.
Il m’a fallu attendre ce « Live In London » pour découvrir un Captain Beefheart qui me fascine. L’homme dadaïste et hype, plonge dans le blues et la soul alors que Zappa trouve refuge dans le jazz-rock. Cela se révéla avec l’album « Unconditionally Guaranteed ». Décrié au possible, la critique descend le disque, jugé trop commercial, inepte. Les fans aussi ne comprennent pas pourquoi cet artiste anti-conformiste se soit abaissé à de telles concessions. Il est par ailleurs un des albums les plus décriés de Beefheart à ce jour.
Pour ma part, il est le premier album que j’aime vraiment. Je le juge comme à un retour aux sources noires, à une forme de simplicité d’écriture. Car les chansons sont formidables, puissantes, emplies de cette âme incroyable.
Ce live permet l’adaptation des meilleurs titres du disque sur scène. Et leur force est démultipliée. Le funk de « Upon The Me Oh My » est exceptionnel. Il prend à la gorge, noue le ventre. La voix hirsute de Beefheart résonne, gutturale mais incroyablement expressive, comme un rugissement de rage amère.
Il y également le superbe « This Is The Day ». Magnifique ballade folk-blues, elle est indescriptible d’émotion. L’ogre du blues s’apaise, et il sort de sa gorge une voix claire, douce, comme gorgée de sanglots. La mélodie, lumineuse, sillonne au gré des arpèges de guitare.
Il y a aussi cette superbe chevauchée électrique qu’est « New Electric Ride ». Mélangeant harmonie country, blues, et soul, elle est un autre grand sommet musical de ce superbe disque. La voix de Beefheart flirte avec les géants de la soul noire, puissante, rauque, profonde, émotionnelle.
Ces trois titres méritent à eux seuls l’achat de cet album, mais d’autres pépites sont à retrouver, comme « Mirror Man » ou « Peaches ».
Par la suite, l’homme s’éloignera de plus en plus de son univers initial, mais sans avoir perdu son orignalité, ni sa force créative. Il se consacrera ensuite à la peinture, et vit reclus, loin des mesquineries du show-business et de la rock-critic.
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lundi 26 mai 2008

BLODWYN PIG

BLODWYN PIG « Ahead Rings Out » 1969

Putain, en ce moment j’ai un de ces bourdons. Je sais pas, ça doit être le temps, ou cette merde de crève qui veut pas me lâcher, mais toujours est-il que j’ai un bourdon mortel. Tout me fait chier, tout m’ennuie à une vitesse sidérante, et rien ne me motive, du boulot en passant par ma vie privée. Je dors mal, je suis tout le temps crevé. Ca m’arrive des fois. Et le pire, c’est que je suis atterré devant tant de médiocrité psychique. Même éveillé, j’ai l’impression d’être devant une falaise d’Etretat, la tronche dans la pluie sous un ciel gris, et qu’il n’y a qu’un pas à faire et….
C’est donc dans cet état d’esprit fort joyeux que je dégaine souvent quelques pépites bluesy crasseuses, histoire d’enfoncer un peu le clou. Retentit donc du Humble Pie, genre « Live With Me », »Walk On Gilded Splinters », « I Wonder », du Led Zeppelin avec « Tea For One », ou encore « Warning » ou “Lonely Is The Word” de Black Sabbath.
Mais là, j’ai décidé de dégainer une vieille scie : Blodwyn Pig. Je le sors pas souvent, mais là, ça me réjouis réellement. Ce quatuor fut fondé par le premier guitariste de Jethro Tull, Mick Abrahams. Il tint tête à Ian Anderson le temps d'un magnifiquealbum encore très blues : « Time Was » en 1968 . Puis, voyant le flûtiste sur un pied prendre le contrôle despotique de la formation, il fuit pour monter son propre combo de blues-rock progressif.
Ce disque est une merveille de jazz-blues rock comme il y en avait à l’époque aux côtés de Savoy Brown ou Colosseum. On retrouve aux côtés d’Abrahams à la guitare et au chant quelques excellents musiciens anglais : Ron Berg à la batterie, Andy Pyle à la basse, et Jack Lancaster aux cuivres. Car contrairement à de nombreux groupes de blues progressif de l’époque genre Chicken Shack, Savoy Brown, Spooky Tooth, Jeff Beck Group ou Led Zeppelin, Blodwyn Pig ne pousse pas les amplis à fond. Il sert certes d’écrin à la guitare d’Abrahams, mais la musique reste profondément originale, notamment grâce aux cuivres, qui apportent cette touche jazz-rythm’n’blues déjà présente chez Colosseum. L’ensemble sonne donc blues, mais avec ce je ne sais quoi de revigorant, d’enjouer, de magique, qui vous transporte, vous apaise. On se laisse aller à taper du pied, à vibrer avec le saxophone, à serrer les dents sur les chorus de guitare ou sur la voix chaude d’Abrahams.
« Ahead Rings Out », premier album de Blodwyn Pig, est certes excellent, bourré de magnifiques chansons et d’improvisations musicales brillantes, mais le fait est là : totalement hors-course face au rock hippie et au hard naissant, le groupe se retrouve à la ramasse, isolé et has-been dés le premier disque.
Car le blues-boom anglais se meurt, et le public se tourne désormais vers les grandes stars, à la recherche de concept-albums et de déclarations fracassantes. Or Abrahams et son groupe ne font pas partie de cette catégorie-là. Un second disque verra le jour en 1970, et Blodwyn Pig ira tourner aux USA, en vain. Viré de sa maison de disques, le groupe survit encore un an, avant que Abrahams fonde le Mick Abrahams Band dans la même veine. Sans succès. L’homme stoppa sa carrière vers 1974. Il joue encore son blues en amateur, avec les copains de l’époque, et sort de temps à autre un disque dans l’anonymat le plus complet. Et finalement, je me dis que Abrahams doit aussi avoir le bourdon. En tout cas, à l’écoute de ce disque, on ne peut qu’y voir une injustice incroyable. Et putain, ça me fout le bourdon.
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mercredi 21 mai 2008

PARIS

PARIS « Paris » 1976

Figurez-vous que le groupe de rock qui porte le nom de la capitale de la France est un groupe de hard-rock. Et l’un des meilleurs encore. Sa carrière fut éclair, mais il laisse derrière lui deux disques, dont celui-ci, fabuleux.
Et qui plus est, il s’agit d’un super-groupe. Ou un ramassis de losers, car à cette époque (1976), le concept est usé, et est souvent le terrain de jeu de musiciens de la fin des années 60 dont le succès individuel s’émousse. Je pense notamment au très moyen FBI, qui regroupait notamment Carmine Appice, ex-Vanilla Fudge et Cactus, et Mike Bloomfield, ex-Bob Dylan et Electric Flag, entre autres.
Donc, Paris est un super-groupe formé en 1975 par Bob Welch. L’homme est fraîchement débarqué de Fleetwood Mac, groupe d’origine anglaise qui connut le succès grâce à M. Peter Green en 1969, puis le retrouvera en 1977 avec l’album « Rumours ». c’est donc grosso-modo entre ces deux dates que Bob Welch a officié dans Fleetwood Mac. Plus précisément entre 1971 et 1975. Les temps furent difficiles, la Grande-Bretagne boudant son ex-icône blues, et L’Amérique étant frileuse à ce groupe décapité de son leader juste avant la percée US. Il y eut bien quelque disques d’or et de platine, mais trop modestes pour faire de Fleetwood Mac une superstar. Welch est débarqué pour être remplacé par le couple Stevie Nicks – Lindsey Buckingham, pour le succès que l’on sait.
Welch, désemparé, décide de fonder un groupe afin de s’adonner à son amour du rock, très zeppelinien, et tout simplement interpréter ses chansons. Il recrute un certain Glenn MacCormick, ancien bassiste de Wild Turkey, mais surtout de Jethro Tull entre 1968 et 1971. Il manque un batteur, et Welch se permet de rêver au batteur de Nazz, le groupe de Todd Rundgren, une de ses grandes influences. L’homme en question s’appelle Thom Mooney, et est l’un des plus fantastiques batteurs de l’époque. Il faut écouter l’intégrale de Nazz, et se rendre compte combien son drumming est aussi ambitieux que celui de Keith Moon, mais avec la maîtrise d’un Buddy Rich, pas moins. Nazz n’ayant connu qu’un succès d’estime, Mooney vivote aux USA. Trop impatient de reprendre ses fûts, il accepte l’offre de Welch.
Le trio se réunit, et commence à répéter fin 1975. Une chose s’impose rapidement : Welch fuit l’univers blues-rock avec des poils de Fleetwood Mac. Désarçonné, blessé, Welch laisse libre cours à son univers personnel : un mélange de références occultes, d’images surréalistes à la René Magritte, d’essais sonores modernes, et une énergie gorgée d’électricité vengeresse.
Et tout dans Paris tranche avec le contexte musical de l’époque : des titres ramassés et concis, un son électrique et menaçant, qui doit sa puissance autant aux mélodies qu’aux riffs, et une imagerie étrange et décalée très loin du rock progressif et du glam.
Est-ce aussi la raison de son échec commercial. Sans doute. Mais longtemps ce groupe me fascina dans les encyclopédies rock, comme si, sans le connaître, une attraction étrange s’était créée.
Car la musique de Paris n’est pas une décharge d’adrénaline. C’est un venin, lent et vicieux. « Black Book », le titre qui ouvre le disque, est pourtant direct dans son riff. Néanmoins, la mélodie et la voix semble maîtriser avec une froideur lugubre l’électricité ambiante. Cette chanson est l’une de celles que je peux fredonner des heures durant, possédé. « Religion » est un titre très Led Zeppelin en apparence, mais son introduction malfaisante inversée crée une ambiance étrange, comme si malgré la négation de la chose religieuse, une atmosphère surréelle se mettait en place, vous désarçonnant peu à peu. « Starcage » imprime l’apport des synthétiseurs, mais avec emploi non pas soliste comme dans le rock progressif, mais totalement rythmique et mélodique, juste soutenu par la guitare. « Beautiful Youth » retrouve l’esprit zeppelinien menaçant de « Religion ».
Et puis, il y a « Nazarene »…. J’adore cette chanson. C’est un chef d’œuvre, une pépite exceptionnelle. A elle seule, elle mérite la découverte de ce disque. Pas moins. Une riff électrique tonne dans l’ampli, une rythmique mid-tempo appuie la sensation d’oubli romantique de la chose. C’est une ballade rapide, et l’ultime catharsis de l’homme seul face à son destin de loser. Entre vengeance, désespoir et résignation face à l’échec, on vivote entre toutes ces sensations, les battements de votre cœur oscillant sur les riffs et les cymbales. Il y a comme une sensation de malaise, de perte de soi qui rend ce titre si personnel, si magique. Une fois cette chanson dans la tête, vos déambulations solitaires sur le pavé urbain n’auront plus la même saveur.
« Narrow Gate » est une plongée dans un univers fantastique, à l’atmosphère vaporeuse, avant une nouvelle plongée dans l’électricité sauvage : « Solitaire » retrouve les accents zeppeliniens fracassés de « Religion ». « Breathless » fait étrangement cohabité les mélodies glaciales de Joy Division et le hard-rock. « Rock Of Ages » redéclenche la foudre heavy-metal, frisant la puissance du Black Sabbath de « Sabotage ». « Red Rain » clôt l’album de son riff exterminateur et de ses rythmiques alambiquées rappelant le passé progressive-blues de ces trois superbes musiciens.
Et puis il y a cette étrange odeur de cendres, et cette sensation de vide en soi, comme si Paris avait nettoyé de nos âmes modernes les tourments qui nous oppriment. A moins qu’il est réussit à en produire la bande-son la plus pertinente où le rêve de la fin des années 60, déjà, s’est envolée. L’espoir fou laisse place à l’ennui et au conformisme que ce trio génial brisa le temps de dix chansons brillantes et sans complexe.
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mardi 20 mai 2008

FANDANGO OU LE ROCK DES LOSERS

FANDANGO « Slipstreaming » 1979 et « Future Times » 1980

C’est la fin d’une époque. Il y a dans l’air ce vent froid qui souffle les dernières cendres d’une existence. Debout devant la Mercedes 300D, les mains dans les poches, Nick Simper regarde l’horizon de ce monde moderne qui a balayé ses dernières illusions de jeune musicien.
Nick, comme beaucoup de musiciens, est devenu culte. Mais cela, il ne le saura que vingt ans plus tard. Pour l’instant, il n’est qu’un loser des années 70. Il fait partie de cette grande famille de musiciens ayant contribué à un grand groupe, mais dont le travail est resté dans l’ombre. Et puis, avec le temps, et malgré les groupes suivants, il est tombé dans l’oubli.
Simper fut le bassiste de la première formation de Deep Purple, entre 1968 et 1969. Bien qu’ayant enregistré trois albums avec eux, on se souviendra surtout de Deep Purple pour les disques suivants, « In Rock » et « Machine Head » en tête. Mais Nick n’y était pas.
Il fonda ensuite Warhorse, excellent groupe de hard-rock très purplien, qui sortit deux très bons disques. L’échec commercial du groupe le conduit à recommencer à zéro, et avec ses anciens camarades de Warhorse, il fonda Fandango. On est déjà en 1977.
Le Punk est là, et Nick a 32 ans. Il est trop vieux pour la génération Punk, et pas assez connu pour les majors. La musique de Fandango, dont le premier disque ne sortit qu’en 1979, après deux ans de galère entre contrat foireux et petits boulots pour manger, est à l’image de ses musiciens. Sans illusion.
Froide, professionnelle, elle est symptomatique de ces êtres envahis par l’amertume et la résignation. Les années d’or sont loin, les espoirs aussi. Et Nick, comme tant d’autres, savent qu’ils sont trop vieux pour réussir un jour. Alors Fandango, c’est cette musique de survivant, blindée, faite de décontraction et de solitude.
C’est du gros rock un peu heavy, mâtiné de réminiscences bluesy, celles de la formation de ces zicos biberonnés au blues anglais. Le seul souci, c’est que entre le punk, la New-Wave, et le renouveau du heavy-metal anglais, Fandango est déjà has-been.
Et puis il y a ces chansons. Pas toujours très inspirées, manquant de ce souffle magique qui rend une chanson rock géniale : celui de la jeunesse et de la fougue, disparue ici. C’est très bien jouer, mais cela n’a rien de vraiment génial, sauf que…
Il y a dans « Slipstreaming » et surtout sur « Future Times » ce son caractéristique des groupes de vieux briscards perdus dans une époque. Ceci dit, la plupart des groupes rescapés des années 70, stars ou non, furent vicitme de ce syndrôme. Vous savez, ce son un peu terne, un peu 80’s, le tout jouer avec professionnalisme, celui des musiciens qui ont plus de trente ans, et la moitié sur la route, de Jethro Tull à ELO en passant par les Doobie Brothers.
Mais il y a quelque chose de plus fort dans Fandango. Car là où les mammouths du rock ne sortent qu’une musique ininspirée, ces losers magnifiques rendent cette atmosphère de fin de siècle encore plus mélancolique.
C’est particulièrement vrai sur le titre « Future Times » : arpèges laid-back tristes de Pete Parks (au fait, ce garçon est un génie : écouter le solo de guitare sur « Back In Time » de l’album « Red Sea » de Warhorse. Parks joue seul sur la partie centrale, triturant les cordes et les effets, et arrive à vous déchirer le cœur. Même Jimmy Page n’aurait pas réussi à en faire un comme ça), batterie épaisse de Mac Poole, basse métallique de Nick, et vocaux perdus dans ces temps nouveaux que le chanteur Jim Proops tente d’exorciser en vain.
Le plus désarmant, c’est que ces quatre-là savent sûrement avant que le disque ne sorte que ce sera un four commercial. D’ailleurs, Fandango ne tournera pas : pas de proposition, et puis il faut manger, nourrir sa famille. Bref, il faut faire avec cette vie normale, celle du quidam moyen, lorsque les rêves de gloire et de reconnaissance se sont envolés un beau jour de 1969.
Après cela, ce sera les années 80, les sons synthétiques, et l’oubli total. Avant les années 2000, la pop mondiale aseptisée, grotesque et sans saveur, ou tout à coup, on redécouvre ces losers, et leur musique. Et de ce dire que ces deux albums de Fandango sont finalement bien meilleurs que beaucoup de disques actuels. Alors Nick, avec ses soixante berges, peut sourire en buvant sa bière au pub, en écoutant les deux jeunes blanc-becs assis à côté et parlant avec des étoiles dans les yeux des trois premiers albums de Deep Purple.
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vendredi 16 mai 2008

PETER GREEN

PETER GREEN « White Sky » 1982

Tiens, je vous parlais de Peter Green avec Fleetwood Mac. J’ai réécouté ce disque hier soir, et puis des souvenirs sont revenus.
Le froid, la nuit tombante, les amours déçus…. Pour moi, il y a tout cela dans ce disque. Peter Green est-il allé aussi loin ?
Loin, ça c’est sûr, et ce depuis le début des années 70. Devenu complètement névrosé, il déambula près de dix ans entre petits boulots, appartements miteux, et séjours en hôpital psychiatrique.
Le Green de 1982 est un homme bouffi, déboussolé, mais en relative paix avec lui-même. Bien sûr, la carrière solo qu’il entame en 1978 sera un long chemin de croix, et il lui faudra être épaulé par de nombreux amis et proches, et notamment son frère Mick, qui écrit ici une grande partie des chansons. Car Peter éprouve encore beaucoup de difficultés à écrire.
C’est sur ce disque que Green exprimera le mieux sa détresse. Son jeu de guitare retrouve une partie du brio de la fin des années 60, et notamment sur le sublime « White Sky ».
Ce titre est à lui seul un monument, un diamant glacial. Sorte de riff funk new-wave sortit de nulle part, un homme chante sa peine. Quelques mots s’égrènent en boucle : « Lover, love that evil woman » Ces quelques mots prennent alors sens au fur et à mesure de la chanson, et surtout avec la montée en puissance de la guitare de Green, qui se met à égréner des notes sèches gavées de wah-wah, menaçantes, d’outre-tombe. Peu à peu, la guitare se met à hululer, à pleurer.
On se retrouve bientôt dans un train, assis dans un compartiment sinistre. Dehors, on aperçoit les paysages froids : ces champs givrés, ces arbres décharnés, ces petites maisons tristes perdues dans des milieux urbains plus ou moins abandonnés, ces friches industrielles. Il y a cette mélancolie indescriptible qui monte en soi, qui étouffe. C’est tout cela que raconte « White Sky ».
Il y a bien sûr d’autres chansons, et notamment quelques unes qui rockent sévères : « Shining Star », « Born On The Wild Side », « Indian Lover » notamment. Mais il y a toujours cette musique un peu déglinguée, et ces paroles obscures, en détresse.
Il y a bien un peu de lumière, mais toujours blafarde. Comme sur « The Clown ». La mélodie fait penser à un clown pleurant derrière le chapiteau. Elle fait aussi penser à Peter Green, dont le visage n’exprime plus les sourires de l’époque Fleetwood Mac.
Ce disque est assurément un album mélancolique, triste, sombre. Il révèle derrière une musique apparemment superficielle, légère, un peu datée années 80, les tréfonds de l’âme humaine. Et tout à coup, chaque note prend un sens profond.
« White Sky » est urbain et sincèrement humain. Il est le reflet de la fragilité du cœur et de l’esprit, et aide finalement l’auditeur à s’en remettre, parce qu’il sait faire vibrer cette corde sensible en chacun de nous, faite de souvenirs.
Puis Green disparaîtra à nouveau en 1984, et remettra encore dix ans pour renaître de ses cendres, revenant au blues de ses premières amours. Il reste alors les albums de 1978 à 1983, miroir d’un homme fragile en quête d’identité.
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mercredi 14 mai 2008

BROWNSVILLE STATION

BROWNSVILLE STATION “Yeah !” 1973

Quel titre ! En voilà une devise formidable ! Le rock’n’roll résumé en un mot. Et en plus, Brownsville Station ne fut que ça : du rock’n’roll sans fioriture, brut, bien saignant, et et sans prise de tête. Enfin, si : quand vous avez écouté cet album bien à fond, la bouteille de Jake à la main, si, il faut l’admettre, ça fait mal à la tête.
Fondé en 1969 à Detroit par le guitariste Kub Coda, le bonhomme recrute trois autres cinglés locaux : Michael Lutz à la guitare et au chant, Robert « H-Bomb » Weck à la batterie, et Tony Driggins à la basse. Le but avoué de la bande : Yeah ! Ou plutôt jouer du bon vieux rock’n’roll de la manière la plus brute et la plus blanche possible, sans souci ni d’originalité, ni d’authenticité aucune. Ce que Lester Bangs appellera un carburateur flinguée. Ca carbure, ça pétarade, c’est jouissif.
Les deux premier disques de Brownsville Station, « No BS » en 1970 et « A Night On Town » en 1972, sont très bons , « Yeah ! » est un cran au-dessus. Dans l’intermède, Driggins est parti, laissant la basse à Lutz. Le trio ronge à nouveau son os en 1973, et aligne un brûlot hard, heavy, crétin et jouissif. Parmi les titres, le fameux « Smokin’ In The Boys Room », mais ce n’est pas le meilleur.
Il faut avoir écouté « Barefootin’ » au moins une fois pour comprendre ce que veut dire le vrai rock’n’roll électrique sauvage, le fameux bruit blanc version Detroit, Michigan. Il faut y voir briller l’aspect rutilant de cette musique en acier trempé, rude et prolo.
Et puis il y a toute la provoc de la scène : les fringues glam, les lunettes ronde de Coda, la croix de fer sur le débardeur de Weck, le côté ultime de cette musique simple et efficace. « Yeah ! », c’est tout cela, et bien plus encore. A l’heure où la planète plane dans les limbes plombées de Deep Purple et Led Zeppelin, que les hippies sur le retour se défoncent sur Pink Floyd et Yes, et que la libération sexuelle se joue sur Ziggy Stardust et Lou Reed, Detroit revient à l’essentiel.
Cela ne permettra pas à Brownsville Station de cartonner dans les charts. Il leur faudra attendre « The Martian Boogie » en 1978, sur leur dernier album, pour que le groupe décroche enfin un semblant de succès commercial.
Ils seront nombreux à ramer sans gloire à Detroit, mais leur franchise sut faire naître ce que l’on appellera le High-Energy Rock’N’Roll. Brownsville Station tourna d’ailleurs beaucoup avec Ted Nugent et ses Amboy Dukes, le James Gang et surtout Slade. Les deux groupes ont en commun l’amour des mélodies simples et de la good-time music. Il y a à la fois le fun, la déconne, et le riff bien hard que l’on joue les mâchoires serrées, près à en découdre.
C’est tout cela « Yeah ! » : une profession de foi, un art de vivre, et une bonne paire de claques dans la gueule.
Et parce que ce blog sait toujours vous combler, voici Brownsville Station live au Don Kirshner Rock Concert en 1973 avec l'emblématique "Smokin' In The Boys Room" couplé au redoutable "Barefootin'" : http://www.youtube.com/watch?v=SxBbmoUdEac
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