jeudi 29 novembre 2007

BE-BOP DELUXE

BE-BOP DELUXE « Futurama » 1975

Le grand oiseau blanc se pose sur l’étang, et replie ses ailes. La rosée d’un lendemain de pluie nappe le paysage d’un halo blanc fantomatique. Derrière l’épaisse végétation, la lumière d’un soleil rougeoyant matinal réveille les nichées.
Au loin, le grondement dans la grande ville urbaine résonne, et laisse une amère pensée au promeneur, celle d’une fin de siècle partagée entre une nature qui résiste aux assauts urbains, et cet univers post-moderne qui offre au péquin de base mille solutions pour se perdre lui-même dans les méandres électroniques.
Be-Bop Deluxe, c’est un peu la bande-son de tout cela. Fondé en 1973 par le guitariste-chanteur Bill Nelson, ce d’abord quatuor sort un premier disque très glam-heavy du nom de « Axe Victim » en 1974. Le disque, très bon, ne se vend pas, et Nelson vire tout le monde.
Nelson a une vision réelle de sa musique. Aussi, il décide de revenir à une formule plus simple et libre, le power-trio. Il embauche Charles Tumahai à la basse, et Simon Fox à la batterie. Le groupe s’oriente alors vers un son plus progressif. Si Be-Bop Deluxe reste un peu glam dans le son et l’attitude, les morceaux sont désormais complexes, et s’oriente vers une architecture de riffs et de mélodies qui construisent les titres comme de mini-symphonies. Pourtant, on reste dans un rock plutôt costaud. Cela est en grande partie dû aux riffs serrés de Nelson, mais aussi à ces soli magnifiques.
Car le garçon est un virtuose, audacieux et lyrique, parfois jazzy, capable de remplacer le clavier, les cuivres, et le second guitariste d’un groupe de rock progressif à lui tout seul.
Mais il n’y a pas que cela. Be-Bop Deluxe, c’est avant tout la bande-son rêvée de cette fin des années 70, perdue entre mammouths du rock et pré-punk. Car le groupe arrive à capter la magie du rock progressif le plus fin et racé, pour l’emmener vers la new-wave de Joy Division, le tout avec un son qui frise le hard-rock.
Et il faut se laisser emporter par les « Stage Whispers » et ses cassures de rythme, le magique « Sound Track », l’immédiat et tubesque « Maid In Heaven », ou le somptueux et profond « Sister Seagull ». Ce second album est une véritable mine d’or de chansons à tiroirs, parfaitement produit par Roy Thomas Baker, le producteur de Queen.
Be-Bop reste incontestablement un groupe difficile à classer, c’est sans doute ce qui le gardera dans un certain anonymat dans les grands classements des meilleurs disques de tous les temps de la terre. C’est aussi parce que Be-Bop Deluxe reste un groupe de son temps à la base, pétri dans ce rock 70’s, mais incontestablement pont de deux époques, entre progressif et new wave.
Pourtant, les mélodies parlent encore aujourd’hui. Ce disque magnifique révèle sa saveur délicate au fur et à mesure des écoutes. Pas étonnant que Be-Bop Deluxe ait connu un certain succès en Grande-Bretagne et aux USA. Le groupe sortira d’excellents disques jusqu’à la fin de sa carrière fort courte, qui s’achèvera paradoxalement avec la fin des années 70, juste au moment de la naissance du post-punk, en 1979. Depuis, Bill Nelson a laissé tomber ses costards arty, et enregistre des disques très confidentiels, reclu en chercheur fou.
Et puis, à l’heure on parle de cases musicales, de mixages de genres, de crossover, d’audace là où il n’y en a plus, il est parfois bon de se rappeler ce qu’est un très bon disque, et ce qu’audace veut dire.
Et le grand oiseau blanc s’endort doucement, la tête sous son aile. Le soleil se lève, et le bruit de l’autoroute tout proche couvre peu à peu le chant des oiseaux.
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jeudi 22 novembre 2007

THE DICTATORS

THE DICTATORS « Bloodbrothers » 1978

Le Rock’N’Roll est une science inexacte. Qui pouvait deviner que l’alliage du Punk et du Metal serait un échec cuisant ? On pouvait un peu s’en douter lorsque les Stooges sortirent « Raw Power » en 1973. Ce disque, excellent et fondateur, ne fut reconnu à sa juste valeur que bien des années plus tard.
Les pionniers payent souvent le prix fort de leur exubérance. Les Ramones, pionniers du Punk, durent galérer des années en ne raflant qu’un succès d’estime. Aujourd’hui, même Britney Spears a un tee-shirt Ramones.
Bref, les Dictators sont des pionniers. Ce qui veut donc dire, suite à cette introduction, qu’ils piétinèrent allègrement. C’est tout à fait vrai, et il faut dire qu’ils partirent plutôt mal. Déclaré dés 1975 qu’à part « Raw Power », il n’y a rien d’excitant dans le rock, c’est fondateur, mais peu commercial.
Le quintet formé de Ross « The Boss » Funicello et Tom Kempner aux guitares, Handsome Dick Manitoba au chant, Andy Shernoff à la basse et Rich Teeter à la batterie sort en 1975 le premier disque classé comme Punk new-yorkais : « Go Girl Crazy ! ». Seul album des Dictators un tant soit peu cité, il n’est pour moi pas le meilleur.
Tout simplement parce qu’il y a un élément fondamental à savoir : les Dictators ne sont pas réellement des punks. Ce qui fait leur spécificité, c’est cet alliage de heavy-metal et de punk-rock que l’on trouve dans « Raw Power », mais avec un côté pop plus prononcé, etune bonne dose de déconne, aussi. Cette caractéristique, on ne la retrouve pas chez les Ramones, Johnny Thunders, ou Stiv Bators.
Les Dictators savent jouer, et cela est important. Cela donne par exemple ce troisième disque. Le groupe est alors soutenu par la presse musicale, et bénéficie de la production de Sandy Pearlman et Murray Krugman, les deux hommes de l’ombre de Blue Oyster Cult. Et puis, c’est sans compter sur les fans prestigieux, comme Patti Smith ou Bruce Springsteen qui hurle le « 1-2-3-4 » au début du disque.
Hélas, les ventes sont faibles. Pas assez punk-trash pour les aficionados destroy, et pas assez heavy-metal pour les amateurs de Ted Nugent et autres métallurgistes de la fin des années 70, les Dictators loupent le coche.
Ce disque aurait dû pourtant enfoncer les portes, mais il intervient trop tard. Les Dictators ont déjà deux disques au compteur : le premier fut un précurseur du punk, mais fut dépassé dés 1976 par les Ramones en terme d’attitude. Quant à « Manifest Destiny » en 1977, sa production faiblarde, et l’absence de vrais titres accrocheurs, plombent les chances du combo.
« Bloodbrothers » en 1978 est le disque des Dictators : dés « Faster And Louder », on prend une rythmique lourde dans les gencives, et un refrain inoubliable comme une balle dans la tête. S’en suivent huit autres pépites immédiates, puissantes, portés par la voix caractéristique de Manitoba, entre chant punk rauque et un Paul Stanley de Kiss. La guitare de Funicello enlumine chaque titre de soli impeccables et de riffs épais, domptant le larsen, et posant un mur du son à la fois mélodique et heavy sur des chansons résolument courtes et ramassées. Cette fois-ci l’alliance punk/heavy-metal est royale. Le groupe a trouvé son équilibre sonore, et délivre un disque génial. Il faudrait citer les superbes « No Tomorrow », « Let’s Twist », ou le percutant et gras « Slow Death ».
Et puis, il y a ces aspects rock'n'roll particuliers, une certaine finesse dans l'approche de la mélodie comme ce piano sur "I Stand Tall", qui apporte une touche dramatique au titre, sans le faire plonger le moins du monde dans le commercial.
Cela ne suffira pas pour imposer le quintet qui voit ses membres fuirent le navire progressivement jusqu’au départ de Ross The Boss, parti rejoindre en 1980 Shakin’ Street, puis les éphèbes cloutés et moumoutés de Manowar. Il reste ce disque oublié, concentré d’énergie et de classe, qui fit franchir aux Dictators le pas de rigolos de service à celui de groupe rock majeur.

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mercredi 21 novembre 2007

WEST,BRUCE AND LAING

WEST, BRUCE AND LAING “Why Dontcha” 1972

Les super-groupes sont une pure invention des années 60. Suivant les traces de Cream, alliage entre trois musiciens confirmés du circuit blues londonien, on utilisa le terme comme un gage de qualité. Etant donné celle de la musique de Cream, leurs prestations scéniques, et les références musicales de chaque individu, l’alliance ne peut se révéler qu’excellente.
C’est oublier que réunir des musiciens installés, ayant chacun connu gloire et fortune individuellement, cela peut aussi rapidement tourner au clash. Ce fut le cas de Cream, et de tous les autres d’ailleurs, l’existence d’un super-groupe ne dépassant pas les deux ans.
Suivi ainsi Blind Faith, ou encore Humble Pie, trop vite appelé super-groupe, et dont l’appellation lui nuit plus qu’il ne l’aida. Même le Jimi Hendrix Experience, Deep Purple et Led Zeppelin furent affublés de ce terme, dés lors que chaque musicien avait au moins un 45 tours vendu à trois exemplaires à son actif.
Puis à l’aube des années 70, le super-groupe perdit de son bel élan musical. Ceux-ci se transformèrent en d’hypothétiques machines à cash, et dont le signe musical distinctif est la virtuosité gratuite au détriment de la chanson, ce qui donna des albums toujours décevants par rapport au potentiel de base. Autre caractéristique, le nom : le super-groupe ne prend plus un nom imagé, mais celui de ses membres. Ainsi apparurent les Beck, Bogert, Appice (BBA), Bruce, Lordan, Trower (BLT), Emerson, Lake And Palmer (ELP), et ceux qui nous intéresse : West Bruce And Laing.
Dire que l’opération était courue d’avance est peu dire : imaginez un peu les deux-tiers du groupe Mountain, fier descendant de Cream (et dont la bassiste n’est autre que Felix Pappalardi, le producteur de …. Cream), se réunissant avec Jack Bruce, le bassiste de Cream. Ah ! Ca sent bon le bon plan ça ! En tout cas, on est parti du bon vieux heavy-blues-rock des familles. Le genre, alors très en vogue aux USA, est assuré du succès au moins en tournée. Pour les ventes, elles seront bien suffisantes, étant donné la réputation des trois gaillards.
Pour les musiciens, il s’agit d’une toute autre affaire. Pour West et Laing, c’est avant tout l’occasion de jouer avec un musicien qu’ils admirent. C’est aussi l’occasion de voir leur carrière décoller, car si Mountain a connu son heure de gloire, les ventes du groupe n’ont jamais atteint des sommets. Pour Bruce, c’est avant tout l’occasion de revenir sur le devant de la scène. Si ses albums solo sont d’excellente qualité, ils restent confidentiels, sa musique restant pointue, très jazz, et donc pas du tout dans l’air du temps, celui de Led Zeppelin, Deep Purple, Jethro Tull, et autres Yes. Jack Bruce est resté le bassiste virtuose de Cream. Et West et Laing attendent cela de lui.
Lorsque les trois compères se retrouvent en studio, d’entrée, c’est la déroute. Par quel bout attaquer ? Où veulent-ils aller ? Et personne pour leur conseiller quoi que ce soit, ils produisent eux-mêmes. Pour ne rien arranger, les trois ont le pif dans la cocaïne et la main sur le goulot les trois quarts du temps (le super-groupe sert aussi à financer tout cela).
Alors West prend sa Gibson Junior et décoche un vieux riff cradingue, celui de « Play With Fire » des Stones, et transforme cela en « Love Is Worth The Blues ». Tout le monde suit, et c’est parti. Bruce recycle son « Traintime » période Cream, et fait chanter le titre par Laing. Cela donne « Turn Me Over ». West a alors un boogie en stock, période Mountain, « The Doctor », et zou ! Hein, déjà, l’album il avance bien !
Et puis Bruce se ressert un whisky, et pète un plomb. Il est trois heure du matin, et des bribes de chansons solo. Il se dit que tiens, avec une grosse guitare blues, et la batterie lourde de Laing, ça pourrait coller. Alors il présente à ses deux collègues « Out In The Fields » et « Pollution Woman ». West et Laing restent dubitatifs, mais la sauce prend. D’un seul coup, le trio passe de la vieille formule éculée à une surprenante originalité musicale. D’un coup, le super-groupe archi-prévisible devient original. Et avec des titres comme « While You Sleep » ou encore « Pleasure », le trio continue son étrange mixture entre les arrangements fins de Bruce, et les accélérations brutales à base de grosses guitares heavy de West.
De cet apparent bourbier ressort un disque étrange, qui à l’écoute attentive se révèle peu à peu. On découvre un album riche, et finalement à contre-emploi. On découvre aussi un disque bien construit, et une musique à part dans la discographie de West, Bruce and Laing. Bon, je vous rassure, la virtuosité gratuite, on y aura droit en live. Il suffit d’écouter le « Live’N’Kickin’ » de 1974. Limite écoutable, ce disque est composé de … qutre titres pour quarante minutes de musique. Et que je te fais des soli de guitare, de batterie, et de basse mais… il reste cette petite flamme dans les vapeurs de came et d’alcool, lorsque Bruce attaque « Powerhouse Sod », seul à la basse, et tiens l’audience comme cela pendant dix minutes.
Il y aura aussi un deuxième album, un peu moins bon, mais résolument intéressant, où le groupe tente définitivement de sortir des ornières de sa catégorie.
Puis West et Laing reformeront Mountain, et Bruce sortira un album solo : « Out Of The Storm ». Tout un symbole. tous droits réservés

mardi 20 novembre 2007

BUFFALO

BUFFALO « VOLCANIC ROCK » 1973

Lorsque Led Zeppelin sortit son premier album en février 1969, on commença à s’intéresser sérieusement au Heavy-Rock. Avec le Zep, ce son devint la Sonic Wave. Cette vague sonique sera encore plus crédible avec l’arrivée de Deep Purple et Black Sabbath en 1970.
J’aime beaucoup ce terme Sonic Wave. Il s’agit d’une bonne image de ce que l’on peut ressentir en écoutant certains disques de Heavy-Rock. C’est en tout cas le terme qui m’ais automatiquement venu à l’esprit lorsque j’ai écouté « Volcanic Rock » de Buffalo.
Groupe australien formé en 1971 et composé de Dave Tice au chant, John Baxter à la guitare, Peter Wells à la basse, et Jimmy Economou à la batterie, le quatuor sort son premier disque en 1972 : « Dead Forever ».
Dés le début, Buffalo détermine son style : des torrents d’électricité sauvage. Les morceaux sont massifs, plutôt longs, et surtout heavy. On lorgne d’ailleurs largement du côté Heavy-Blues, avec ce son gras, épais, et ces soli faisant pleurer les notes. La voix de Tice, rauque, renforce encore ce côté bluesy.
Mais ce qui fait de « Volcanic Rock » un immense disque, c’est que toutes ces qualités sont poussées à l’extrême. Dés « Sunrise », on prend une grande baffe de guitare tronçonneuse dans la figure : rythmique massive mid-tempo, gros son, voix mordante, basse sourde. On n’est pas là pour rigoler. De manière générale, ce disque est sombre.
Les riffs de Baxter décrivent des mélodies tantôt désabusées, tantôt vengeresses, faisant résonner sa Gibson SG comme des coups de tonnerre.
La voix de Tice résonne comme une sentence au-dessus du cataclysme guitaristique. Survolant la lave électrique de Baxter, il impose des textes puissants, prophétiques. Notamment sur « The Prophet », justement, qui raconte l’histoire de Moïse sur le Mont Sinaï. Si le texte à consonance religieuse peut paraître indigeste, c’est avec la musique qu’il prend tout son sens. Désertique, rocailleuse, agonisante, la mélodie semble plus décrire une descente aux Enfers qu’une montée aux cieux.
On retrouve d’ailleurs cette ambiance désespérée sur « Freedom », longue plainte organique d’un homme courant après sa liberté perdue. Et si le titre suivant peut paraître plus entraînant, il s’appelle « Til My Death », comme si la Mort était une sorte de libération. Je vous épargne la résonance du titre « The Prophet » après tout cela.
Et puis il y a également l’énorme « Shylock » et ses riffs Heavy-Metal avant l’heure, avant que Black Sabbath accouche de « Symptom Of The Universe » en 1975 sur « Sabotage ».
On ressort de « Volcanic Rock » un peu hagard, frissonnant, saisi par un souffle glacé inconnu. C’est sans doute la poussière du bush australien, et ses ambiances minérales, qui attisent cette mélancolie sauvage.
Buffalo connaîtra un grand succès en Australie, mais ne s’imposera pas ailleurs malgré d’autres bons disques. Sans doute s’est-il fait griller la priorité par un certain AC/DC, et d’autres formations comme The Angels, plus punks et hards.
Peter Wells quittera Buffalo en 1975 pour se joindre au chanteur de Buster Brown (dans lequel joue Phil Rudd) : Angry Anderson. Les deux compères formeront Rose Tattoo. Wells vient par ailleurs de décéder du crabe, et cette chronique lui est dédiée. Reste ce monolithe de lave incandescente, qui malgré les années, reste encore brûlant comme au premier jour. Parce que la Sonic Wave résonne encore et toujours dans le cœur des amateurs de Heavy-Blues.
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lundi 19 novembre 2007

LED ZEPPELIN

LED ZEPPELIN « Presence » 1976

Disque souvent décrié, pointé du doigt, il correspond au déclin du maëlstrom sonique que fut Led Zeppelin. Il est surtout un grand chef d’œuvre méconnu, chargé d’une immense mélancolie, celle des illusions perdues.
Disque de brume, poussiéreux, urbain, minéral, décharné, sans la moindre note acoustique, il est d’une puissance froide à couper le souffle. Jimmy Page en fut l’instigateur principal, et ce côté poussiéreux n’est pas sans rappeler la consommation de stupéfiants catastrophique de l’ombrageux guitariste. De ce fait, décharné, Jimmy l’est aussi, à cause de l’héroïne.
Décharné, Robert Plant l’est également, mais à cause d’un accident de voiture datant de 1975 qui fracassa le crâne de sa femme et de ses enfants, et lui brouilla une jambe en esquilles. Plant se trimballe alors en béquilles et chaise roulante, élément qui donna le nom de la démo de « Achille’s Last Stand » : « The Rolling Chair Song ».
Urbain, le son de ce disque l’est, et froid aussi. Et cela a sans doute aussi un rapport avec le lieu de l’enregistrement : Zurich. Poursuivi par les premiers Punk, mis en déroute par l’accident de Plant, Led Zeppelin se concentre sur un nouvel album. Hors l’unité des musiciens est en train de se déliter progressivement, la faute au succès, à la fatigue, à la pression, à la fatalité aussi. John Bonham plonge corps et âme dans la dope et l’alcool, John Paul Jones est lui aussi atteint à moindre mesure. Page, perdu dans sa quête perfectionniste, ne se rend pas compte de l’état de son groupe, et de toute façon se sera trop tard.
« Achille’s Last Stand » qui ouvre l’album est le dernier grand titre épique de Led Zeppelin, sauf que contrairement à l’ensemble de ses prédécesseurs (« Stairway To Heaven », « In My Time Of Dying »…), « Achille’s …. » démarre pied au plancher, et reste à se rythme pendant dix minutes. La rythmique à la basse inspirera rien de moins que Steve Harris dans Iron Maiden, et cette pièce d’anthologie » est l’un des plus beaux moments musicaux que j’ai pu entendre. Après cela, on ne parle guère du reste du disque. Grave erreur. Car si Led Zeppelin semble faire preuve d’une apparente légèreté après le monolithe d’ouverture, la musique est bien plus fine et revêche qu’elle ne paraît. Il y a d’abord cet extraordnaire blues qu’est « Nobody’s Fault But Mine ». Rythmique abrupte, son proche de l’os, et harmonica échevelé de Plant, qui joue comme si sa vie en dépendait. Ca sent la bataille ultime, la guerre contre les éléments, le destin.
« Hots On For Nowhere » est un autre sommet de cet album. La mélodie, vaguement chaloupée, se durcit au fur et à mesure du morceau. Rocailleuse, aride, brutal, ce titre est une pièce de funk hard, où les fûts de Bonham prennent une sérieuse correction.
Enfin, il y a l’immense « Tea For One », un blues de neuf minutes glacial, noir comme le jais, sans espoir. En mid-tempo, Plant ressasse le même couplet fait de solitude et de désillusion, d’amertume et de désespoir. Et les mots s’enluminent de chorus de guitare rauques et poussiéreux, pas plus lumineux que les mots de Plant.
Comme tous les autres albums, « Presence » sera numéro un aux US et en GB, mais quelque chose s’est brisé. La tournée sera la plus grosse du Zep, la plus démentielle, la plus violente aussi. Carbonisé par sa propre musique, les cendres magnifiques du dirigeable finiront de rougeoyer durant quelques concerts, toujours meilleurs que n’importe quel groupe moderne, aussi porté au pinacle soit-il.
Et « Presence » reste le diamant noir d’un quatuor d’hommes perdus, poussés de leur pied d’estale de super-héros par le destin, la fatalité, et ce quelque chose d’humain qui ramène les plus grands vers le blues, quel qu’en soit la forme.

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vendredi 16 novembre 2007

ARMAGEDDON


ARMAGEDDON "Armageddon" 1975

La légende du Rock tue. Il faut le savoir. Et nombreux n’ont jamais survécu, alors que parfois, certains sont encore vivants. Nous parlons ici de vie artistique.

C’était en 1974. Keith Relf est l’illustre chanteur des mythiques Yardbirds, génial groupe de Blues-Rock anglais de 1964 à 1968. On comptera dans ses rangs pas moins que Eric Clapton, puis Jef Beck, et enfin Jimmy Page (oui, celui de Led Zeppelin). Parfois, on les retrouvera même simultanément : pendant deux mois, entre mai et juillet 1966, Jimmy Page et Jeff Beck se bouffent le nez à coup de décibels. Le pauvre second guitariste de toujours, Jimmy MacCarthy, décide alors sagement de se mettre à la basse.

Keith Relf, le chanteur des Yardbirds, subit alors les affres du Rock Business de l’époque. Comme la plupart des musiciens de cette époque, il se fait plumer financièrement par des producteurs sans scrupules. Et puis il y a les drogues de cette fin des années soixante en Grande-Bretagne : Haschich, LSD, acides en tous genres… Relf devient peu à peu psychotique et schizophrène, tout comme un certain Syd Barrett, le premier leader de Pink Floyd, sauf que ce dernier ne s’en remettra jamais.

Après une carrière solo Pop ratée, Relf fonde le groupe Renaissance avec sa femme de l’époque, un groupe mélangeant Rock, musique progressive, Jazz, et musique celtique. Ce fabuleux groupe, en avance de trente ans sur le reste de la scène musicale, vivote de concert en concert.
Keith Relf a alors embauché un fabuleux bassiste d’un non moins génial groupe de Blues-Rock du nom de Steamhammer. Son nom est Louis Cenammo. Sa basse est puissante est vrombissante, toujours poussée par une pédale d’Overdrive qui sature le son grave.

De l’autre côté de l’Atlantique, Bobby Caldwell, ancien batteur du groupe de Johnny Winter, au début des années 70, et qui joua sur les fabuleux « Second Winter » de 1969, « Johnny Winter And » de 1970, et le sublime « Johnny Winter And Live » de 1971, décide de partir pour fonder son propre groupe.
Il fonde Captain Beyond avec notamment Rhino de Iron Butterfly à la guitare, et Dave Evans, ancien chanteur de Deep Purple première formule (et pas des moindres). Lee Dorman à la basse complète le quatuor, et le Captain sort l’un des tout meilleurs albums de Hard-Rock des années 70 : « Capain Beyond » en 1972. Ce chef d’œuvre restera la bible de nombreux fans de bonne musique Hard, mais l’empreinte restera indélébile. Ainsi, Hank Shermann, le guitariste de Mercyful Fate, citera au milieu de AC/DC et Judas Priest, le premier album de Captain Beyond.

Caldwell s’en va après ce génial album, laissant ses camarades conclure l’aventure avec le pourtant excellent « Sufficiently Breathless » en 1973.

Entre temps, le guitariste Martin Pugh clôt l’aventure Steamhammer avec le sublimissime « Mountains » en 1972, quatrième album du groupe (écoutez donc pour voir les deux titres live enregistrés au Lyceum de Londres : « Riding On The L’n’N » et « Hold That Train »).

Caldwell veut fonder un nouveau groupe avec Keith Relf au chant. Depuis, le beau gosse des années soixante ressemble désormais à un Hobbit barbu, et à la voix voilée par le tabac et les drogues.
Relf rameute alors son génial bassiste Louis Cenammo. Il manque alors un guitariste, et Cenammo ne tarde pas à rameuter Martin Pugh.

Le quatuor se nomme alors Armageddon, en souvenir des premières répétitions explosives du groupe, et ce rien qu’au plan musical.
L’album prend forme à Londres en 1974, et en 1975, paraît le premier et unique album : « Armageddon ». La pochette résume à elle-seule le disque : quatre soldats (les membres du groupe) assis dans la boue devant un paysage de cataclysme sur fond de ciel rouge et jaune.

Ce disque est une vraie baffe, notamment grâce au titre « Buzzard » qui ouvre l’album : une wah-wah entêtante, une basse lourde et saturée, une batterie démente, et la voix de Relf essouflée mais puissante et émouvante. Et lorsqu’il souffle dans son harmonica, on se tait.

Les cinq morceaux sont de longues pièces de Blues-Rock enragé, aux structures complexes porches du Rock Progressif de Genesis ou King Crimson. Mais l’on se rapproche davantage de Stray que de Pink Floyd. En ce sens, Armageddon est bien la fusion du Heavy-Blues harmonieux de Steamhammer et les rythmiques alambiquées de Captain Beyond.
Cependant, il faut ajouter à cela l’harmonica magique et la voix toujours superbe, pleine de grain, de Keith Relf.

La pochette, quant à elle, est une vraie merveille : les quatre musiciens posent en uniformes de soldats anglais de la Première Guerre Mondiale, assis dans a boue, sur fond de paysage désolé. Au loin, le ciel est rouge et jaune, en feu.

Il était pourtant prévisible que la presse Rock ne saurait que faire de ce groupe, archétype de la super réunion de loosers, à l’instar de Widowmaker ou encore Broken Glass. De fabuleux musiciens issus de la scène Heavy-Blues-Rock de la fin des années 60, début des années 70 se réunissent, enregistrent d’excellent albums, mais dont personne n’a que faire, parce que totalement hors mode.
Les yeux de la presse sont tournés vers les mégastars du Hard-Rock (Kiss, Led Zeppelin, Deep Purple, ou encore Black Sabbath), mais aussi sur les premiers groupes que l’on appellera Punk : les New York Dolls ou encore les Ramones.

En 1975, Armageddon est donc victime d’un blackout médiatique total. Seuls quelques connaisseurs font l’acquisition du disque, et ne s’en remettront jamais.
Relf aussi, ne s’en remettra jamais : après une poignée de concerts, Relf tombe malade, victime de ses excès passés et de sa santé fragile. Il meurt courant 1976 d’une sale pneumonie, et laisse ses trois compères désemparés.

L’aventure s’arrête alors là. Ce n’est qu’au début des années 80, et alors que le Heavy-Metal connaît un renouveau avec AC/DC, Motorhead, Van Halen, mais aussi la New Wave Of British Metal (Iron Maiden, Saxon, Def Leppard, Diamond Head…), que Armageddon connaît une certaine reconnaissance.

Un journaliste français, Denis Meyer, travaillant au magazine de Hard-Rock « Enfer », publie « L’Anthologie du Hard-Rock 1968-1980 ». Ce livre devient rapidement une bible pour tous les collectionneurs de Heavy-Rock des années 70, car il regroupe les discographie complètes de tous les groupes du genre, du plus connu au plus obscur, avec justement une prédilection pour les illustres inconnus. Les groupes sont notés selon la qualité de leurs enregistrements.
Meyer se paye le luxe de sélectionner une dizaine de groupes et d’albums, ses préférés. La plupart sont donc de fameux inconnus, ou presque : Cargo, Granmax, Road (le groupe de Noel Redding, ancien bassiste du Jimi Hendrix Experience)… Et bien sûr, il y a Armageddon.

Depuis, tous les amateurs s’arrachent le disque, et même la réédition CD se vend bien, car Armageddon est devenu un classique du Hard-Rock des années 70.
Les musiciens, eux, ne recevront que l’estime de leurs fans, ce qui fait peu : Louis Cenammo joue avec un guitariste celtique sur l’Ile de Wight, Martin Pugh continue de tourner avec son propre groupe, et Bobby Caldwell a reformé une énième fois Captain Beyond, sans grand intérêt. Relf, lui, joue sans doute encore le Blues avec son harmonica, assis au bord de son nuage.

D’ailleurs, parfois quand le vent souffle, on l’entend parfois. Et quand le vent est froid et puissant, il semble qu’il joue « Buzzard », d’Armageddon.
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