dimanche 28 octobre 2007

The Frost

THE FROST « Live At The Grande Ballroom » 1969

The Frost a toujours été le parent pauvre de la scène de Detroit de la fin des années 60, considéré par les amateurs de décibels comme un groupe pop.
Il faut dire que la concurrence était rude : MC5, Stooges, Amboy Dukes, Bob Seger System, Mitch Ryder…
Il s’agit pourtant d’une grave erreur, et surtout, d’une vision totalement étriquée de cette scène. D’abord, parce que les groupes de Detroit ne furent pas que des sidérurgistes proto-punks. Il paraît réducteur de résumer la musique locale à tous cela. D’abord parce que la soul et le blues sont deux éléments décisifs dans la naissance du Rock de Detroit.
D’abord parce que la ville est le siège du label Motown. Les Bob Seger, Mitch Ryder, Rob Tyner ont tous biberonné avec ce son. L’expression de la musique noire au sein du Detroit Sound est manifeste, et se traduit sous plusieurs formes, plus ou moins violentes. L’essentiel du high-energy rock’n’roll est avant tout de traduire la puissance de la musique noire sous une forme blanche, propre au public blanc.
Tous, des Stooges aux Amboy Dukes, ont cherché à traduire cela. The Frost en fit partie. Sauf que le quatuor intégra des éléments soul plus commerciaux que chez les autres, plus proches de James Brown et John Lee Hooker.
Le groupe inclua ainsi les fameux chœurs des groupes vocaux que sont les Temptations, Isley Brothers, ou Parliament, voire les Beatles, également présents dans les mélodies.
Cela n’empêche pas que Frost fut une fantastique machine à Heavy-Blues. Et ce live en est la preuve flagrante. Originellement, cet enregistrement devait servir de base à la réalisation du second album du groupe, « Rock’N’Roll Music », paru en 1969.
Conscient que le studio avait bridé l’énergie, et que le premier album ne retranscrivait pas avec exactitude la puissance scénique du combo, on décida fort logiquement d’intégrer des extraits de concert.
Je me souviens m’être procuré « Rock’N’Roll Music » avant ce live paru en 2003. j’avais effectivement trouvé les titres studio un peu plats.
Lorsque j’ai vu ce live, j'ai compris qu’il s’agissait de l’enregistrement complet du concert à la Grande Ballroom. D’ailleurs le speaker annonce d’entrée : « bienvenue à l’enregistrement du second album de Frost ».
Bon, passé ces considérations, qu’est-ce que Frost ? C’est comme je le disais, une énorme machine à Heavy-Blues, avec des teintes psyché et soul.
C’est d’abord une guitare, celle de Dick Wagner, futur Lou Reed Band et Alice Cooper. C’est un son précis, fluide, clair et toujours chantant. C’est une sorte de Buck Dharma avant l’heure. C’est aussi une grosse basse ronflante, celle de Gordy Garris, et une batterie à la Keith Moon, celle de Bob Rigg.
C’est enfin trois voix qui s’unissent à merveille : celle de Don Hartman, la chanteur-guitariste, et celles de Wagner et Garris.
Frost, ce sont enfin des compositions épiques trempées dans le blues, la soul et le rock psyché. C’est un peu le commencement de ce heavy-rock héroïque, les guitares en érection vers le ciel.
Sauf qu’il y a une âme dans cette musique, celle qui anima le rock rageur de Detroit. Il n’y a pas d’esbrouffe ici. On vit le riff, on plane sur un nuage d’électricité et de mélodies, porté par les soli de Wagner, la grosse basse de Garris, et les cymbales de Rigg.
Le lyrisme est poussé à son paroxysme sur le magnifique blues « Donny’s Blues », « 1500 Miles (Through The Eye Of A Beatle) » ou le magnifique medley « Take My Hand/Mystery Man ».
Le final est lui orgasmique, avec l’intro de la reprise soul « We Gotta Get Out Of This Place » (avant Blue Oyster Cult, tiens, tiens !), sur laquelle Hartman et Wagner se livrent un duel dantesque de guitares. Seul petit bémol à ce titre, le solo de batterie un peu trop long, et sur lequel se termine le disque.
Autre bémol : il semble que le concert ne soit pas complet, puisqu’un titre figurant sur « Rock’N’Roll Music »,et non des moindres, « Help Me Baby », manque à l’appel.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Il est grand temps de réhabiliter The Frost dans l’histoire du Rock.
Il est grand temps que les « spécialistes » arrêtent de classer résumer l’histoire du rock à quelques groupes, et quelques formules simplistes du genre « Detroit berceau du punk » ; Tout cela serait trop réducteur, et surtout, passe sous silence des groupes d’une qualité incroyable au prix du soi-disant bon goût et du snobisme.
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jeudi 18 octobre 2007

UFO

UFO « FORCE IT » 1975

“J’ai toujours considéré UFO comme un groupe moins bons que les autres, surtout à l’époque”. Pete Way, le bassiste de UFO, n’a pas tort. Mais il faut bien dire que quand la concurrence s’appelle Led Zeppelin, Deep Purple ou Black Sabbath, il faut bien avouer qu’il faut être sacrément bon.
UFO n’est pourtant pas un mauvais groupe, bien au contraire. Il fait parti de cette seconde garde magnifique du Hard-Rock de la seconde moitié des années 70 composée de Aerosmith, Thin Lizzy, Judas Priest, Ted Nugent, ou encore Blue Oyster Cult. Si ces groupes ont connu le succès, il n’est en rien comparable aux trois maîtres du genre cités plus haut.
Pour sa part, UFO se prendra souvent les pieds dans le tapis à cause de ses propres musiciens : fêtards, je-m’en-foutistes, inconscients et naïfs ; ils connaîtront les arnaques des maisons de disques et des producteurs, les changements de line-ups à répétition et les pétages de plombs divers.
En attendant tout cela, UFO est une formation britannique laborieuse. Fondé en 1969, le groupe composé alors de Phil Mogg au chant, Pete Way à la basse, Andy Parker à la batterie, et Mick Bolton à la guitare, joue un mélange de boogie-rock et de rock psychédélique basé sur des gimmicks de wah-wah et de rock plombé.
Deux albums et un live paraissent entre 1970 et 1972, permettant même à UFO de devenir des stars au Japon où leur reprise de « C’Mon Everybody » d’Eddie Cochran fait un carton. Ils ne verront bien évidemment jamais la couleur de leur succès, à part en concerts.
C’est alors que le groupe joue en Allemagne, où ils ont un certain succès, qu’ils rencontrent LEUR guitariste. Un soir, Mick Bolton plantent ses camarades, et UFO décide de débaucher le jeune soliste d’un groupe allemand qui fait leur première partie, les Scorpions. Le guitariste, du nom de Michael Schenker, n’a que quinze ans, mais joue superbement bien. Il est aussitôt débaucher de Scorpions, et part en Grande-Bretagne.
UFO prend alors un tournant intéressant en évoluant vers un hard-rock mélodique efficace mais aux mélodies travaillées. Le premier album de ce renouveau s’appelle « Phenomenon », et contient déjà quelques classiques de concert comme « Rock Bottom » ou « Oh My ». Ce qui frappe, c’est la science du chorus qui tue chez Schenker, ce petit truc qui rend chaque solo poignant. On ne distingue pas chez lui, et malgré son jeune âge, un besoin d’épater la galerie par des effets de manche. Son feeling permet au contraire de faire que chaque solo de guitare apporte un plus émotionnel à la chanson, ce qui rare.
Fort de ce nouveau disque, UFO tourne en Grande-Bretagne, puis rentre rapidement en studio pour enfoncer le clou du succès relatif de « Phenomenon ».
Enregistré avec Leo Lyons, le bassiste de Ten Years After, « Force It » est une magnifique synthèse de la musique de UFO. Brut, électrique, aux mélodies magnifiques, on y découvre la définition même de l’excellent groupe de hard-rock. C’est bien simple, vous avez rêvé de ces chansons, vous les connaissez déjà, mais vous ne les avez jamais entendu sur disque. UFO l’a fait. Riffs tendus, soli sauvages, voix chaude et rythmique carrée, tout est là.
Chaque chanson est compacte, sans temps mort, mais avec toujours ce son très live, sans fioriture. Même les ballades n’en sont pas. Il y a toujours ce côté diamant brut, et puis un peu d’électricité qui traîne pour secouer le morceau. Les quarante minutes du disque défileront dans vos oreilles à la vitesse de l’éclair, comme ces comètes électriques que sont « Let It Roll », « Shoot Shoot », « Mother Mary », ou « Dance Your Life Away ».
Par la suite, UFO intègrera un clavier pour étoffer le son et de meilleurs producteurs poliront un peu le son. Ce sera certes de très grande qualité, mais il n’y aura pas ce côté « enregistré en une prise avec le feeling du moment ».
Ici, le groupe joue serré, avec l’énergie des jeunes loups qui ont faim de succès, et dont les veines sont encore remplies de Rock’N’Roll, et pas encore de mauvais whiskey et de drogues. Et par contre, avec « Force It », Pete, vous étiez à égalité avec les plus grands. Car à l’époque du Glam, du Rock Progressif et des concept-albums symphoniques, un peu d’énergie brute faisait du bien.
Et pour la bonne bouche un extrait live du quatuor en live en 1975. Ils interprètent un extrait de l'album d'avant, "Rock Bottom" de "Phenomenon" sorti 1974, mais c'est juste histoire de vous rendre compte de ce que ça donne en vrai : http://www.youtube.com/watch?v=E6H-uxXwdrg

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mardi 16 octobre 2007

Robin Trower

ROBIN TROWER « TWICE REMOVED FROM YESTERDAY » 1973

Putain, j’ai le bourdon. Ou plutôt, j’ai le Blues. Mais qu’est-ce que le Blues finalement ? Sans doute est-ce ce sentiment de tristesse et de mélancolie infinie, lorsque l’âme humaine est en suspens dans les brumes de la vie quotidienne. Lorsque rien ne va, et qu’il ne semble jamais y avoir d’échappatoire, à part la fuite. Le Blues a souvent parlé d’errance, d’amour déchu, de sexe et de religion. Mais finalement, peu ont réussi à retranscrire le sentiment, celui qui tiraille les tripes.
Robin Trower est l’ancien guitariste de Procol Harum, un fabuleux groupe précurseur du Rock Progressif et du Rock symphonique. Epris de Blues électrique, et notamment de Cream et de Jimi Hendrix, Trower forme un trio avec Reg Isidore à la batterie, et James Dewar à la basse et au chant. On est alors en 1972, et le grand Jimi est mort depuis deux ans. L’héritage musical et gigantesque, et parce qu’il s’en inpire grandement, Trower fut mis dans le vaste panier des suiveurs/copieurs d’Hendrix avec Randy California et Frank Marino de Mahogany Rush.
Si pour touts, cette étiquette est hautement crétine, pour Trower, c’est une insulte. Car, il fut le seul capable de continuer la voie du Cosmic-Blues, en lui donnant ses lettres de noblesse.
J’aurais pu prendre un autre disque, et notamment le « Live » de 1976, sur lequel sa technique instrumentale brille de mille feux, mais en l’occurrence, aujourd’hui, je m’en fous.

Si je choisis son premier album, c’est parce qu’il y a dessus des chansons somptueuses. A commencer par « I Can’t Wait Much Longer », écrit avec Frankie Miller (partenaire de l’épisode avorté Jude en 1972). Ce titre me retourne à chaque fois. Parce qu’il y a ce riff lourd et pesant, stellaire, comme le pas de l’homme désabusé qui s’apprête à prendre le train pour fuir. Et puis il y a ce solo, avec ces bends déchirants, guitare hululante dans le ciel gris. Difficile de succéder à un tel titre. Mais la force de Trower, c’est de réussir à surfer sur les sentiments humains les plus exacerbés : la colère, le désespoir, l’amour le plus fou, le courage.
Aussi, après une telle chanson, le trio aligne « Daydream », une vraie fausse chanson gaie. Comme si l’homme qui avait pris le train avait retrouvé un peu de quiétude quelque part ailleurs. Ou alors est-ce « Hannah », de la chanson suivante, qui lui brise à nouveau le cœur, parce que la belle ne veut pas de lui. Complainte sauvage, c’est l’homme en pleurs qui supplie, à genoux.
Après tant de souffrances, il est normal qu’il décide de crier combien il est un « Man Of The World ». Qu’il n’est qu’un homme, avec ses qualités, et surtout, ses défauts. Alors il reprend un peu de poil de la bête, et retourne voir sa chick pour lui dire « I Can’t Stand It » : c’en est trop, baby, tu vas t’en prendre une.
Est-ce parce que dans tous les films on se réconcilie sur l’oreiller. Mais Robin Trower enchaîne avec un « Rock Me Baby » de BB King somptueux. Poisseux, amer, vachard, cette version fait partie des meilleures reprises de blues de tous les temps. Même la version du live n’atteint pas cette intensité.
Et puis l’homme reprend sa route, désorienté. Il fait un point sur son passé dans « Twice Removed From Yesterday », compte les points, et fait le bilan de ses erreurs. Mais tout cela, c’est du passé. Et il explose dans un immense solo de guitare.
Après tout, tous les hommes sont des pêcheurs devant Dieu, et dans « Sinner Song », c’est une profession de foi. Electricité, Blues, et détermination. A moins que ce soit cette « Ballerina » qui lui fasse encore verser le cœur. Devant tant de beauté, la mélodie se fait délicate et minérale. Et c’est sur cette superbe ode que ce conclut ce magnifique album.
Je tenais également à signaler la voix de Jim Dewar. Car si la plupart des trios de guitaristes virtuoses mettent en lumière leurs leaders par des sidemen quelconques, Trower s’est adjoint un bassiste à la voix d’or. Le chant de Dewar est pour ainsi dire fait pour la musique de Trower : grave, chaude, profonde, puissante. Elle met en valeur les mélodies. Il faut également préciser que c’est Dewar qui écrivait les textes. Et puis lorsque la musique s’arrête, on reste abasourdi dans le silence. On ressort différent de cette expérience musicale. C’est avec le regard de l’homme qui a vécu que l’on regarde le monde. La mélancolie s’est mue expérience. Une part de naïveté disparaît en nous, et ce coup-ci, on se fera pas avoir. Juré. Putain, j’ai le Blues….
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dimanche 14 octobre 2007

Soft Machine

SOFT MACHINE « Third » 1970

Une clope, un whisky. L’affaire est sérieuse. Parler de Soft Machine, c’est se risquer à affronter l’intelligentsia du Rock et du bon goût en osant s’attaquer à un mythe, un groupe culte, et surtout se louper sur les références jazz de rigueur.
Le vrai défi, c’est de s’imprégner de cette musique géniale, et d’en ressortir intact. Car on n’affronte pas « Third » avec une oreille désinvolte. Double album de quatre morceaux, on passe par différentes humeurs, toutes introspectives et rugissantes, combustions intérieures de l’esprit. Il faut d’abord affronter ce « Facelift » enregistré live, musique carbonique et heurtée, coltranienne en diable, arrachant du cerveau des visions noires et visqueuses. L’orgue de Mike Ratledge attise la bave aux lèvres avant que le sax d’Elton Dean vous décolle du sol et vous fasse tournoyer dans l’air. On passe de la colère à la peur, et de la plénitude à l’angoisse. Car ici point de guitare riffue : Mike Ratledge au claviers, Hugh Hopper à la basse, Elton Dean au sax, et Robert Wyatt à la batterie et au chant.
De la lave en fusion de « Facelift », on s’immerge dans la beauté organique de « Slightly All The Time ». Un titre superbe, jazz cool traînant son spleen sur plus de dix minutes. Ce titre magnifique est une réussite totale, permettant un enchaînement de soli magnifiques de cuivre et claviers, cet orgue rugissant et rugueux, celui de Ratledge. Ecouter « Slightly All The Time », c’est se perdre dans ses propres pensées, c’est se sentir empli d’un bien-être et d’une mélancolie que peu de titres apportent à ce point. J’ai toujours profondément aimé ce morceau, parce qu’il est pour moi comme une sorte de catalyseur d’humeur, quand tout fout le camp et qu’il est tant de revenir à l’essentiel.
« Moon In June » est une affaire sérieuse. Sans doute parce que c’est l’un plus beaux titres chantés par Wyatt (et le seul sur ce disque). Etrange comptine voguant sur un nuage, mélodie vaporeuse et éthérée, cette lune de juin est la contemplation d’un enfant. La voix de Wyatt est d’ailleurs très enfantine, fragile et douce. Chantant la mélodie tout au long du morceau, elle suit par les paroles les heurts et les ambiances de la musique. Beauté bizarre, « Moon In June » est de loin le morceau le plus pop, vestige des deux premiers albums, hautement recommandés également.
Quand vient « Out Bloody Rageous », on retrouve l’atmosphère jazz de « Slightly All TheTime ». Le travail de batterie de Wyatt est proprement ébouriffant, tapis de percussions roulant comme les galets le long des plages de la Manche. Autre rêverie heurtée, alternant orages et éclaircies, cet autre titre rappelle certains Sonny Rollins. Le clavier déroule une partition minérale, chantant comme des cristaux de glace dans le vent. Derrière grogne l’Hammond, éternel rugissement rauque rappelant que ce disque se fait hautement introspectif. La colère dans l’âme derrière une apparente douceur.
Par la suite, Soft Machine plongera définitivement dans le jazz-rock sérieux, perdant ainsi une partie de sa personnalité, cette poésie douce amère, qui différencie la pop de Canterbury du rock pour intellos frigides. Pourtant, parfois, une étincelle de folie irradie certains titres, rappelant que Wyatt n’était pas le seul illuminé du groupe. Ratledge et Hopper contribueront énormément à l’ascension puis à la chute de la Machine.

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mardi 9 octobre 2007

Tank

TANK « Filth Hounds Of Hades » 1981

Le heavy-metal est décidément la seule vraie voie pour cracher à la gueule d’un système. C’est en tout cas chose vraie en 1980. A l’heure où la NWOBHM prend le pouvoir, le punk passe pour un con, les grandes figures du genres, Clash et Stranglers en tête, s’embourbent dans la musique new-wave ou world.
Algy Ward, le bassiste des Damned en 1978-1979, n’est pas trop du genre reggae. En fait, son truc à lui, c’est plutôt le coup de boule musical. Les Damned délivrèrent bien leur pesant de décibels, mais leur technique instrumentale un peu approximative brida un peu leurs ambitions. Ward veut du corrosif, du glaviot contre la société. Il trouve sa voie au sein de la NWOBHM naissante, et plus précisément en assistant à plusieurs concerts de Motorhead. Le trio de Lemmy est pour lui LA formule musicale : un son rock’n’roll, un esprit punk, de la vilence par tonneaux, et une attitude trash et agressive qui fait frémir la Grande-Bretagne, plus que les guignols des Sex Pistols.
Algy Ward fonde donc son trio en 1980 avec les frères Brabbs, Mark à la batterie et Peter à la guitare. Le combo tourne dés lors régulièrement avec Motorhead, Ward étant depuis les années Damned un ami de Lemmy. C’est également fort logiquement que Fast Eddie Clarke produit leur premier album, ce « Filth Hounds Of Hades ».
Ce disque est certes inspiré de la musique de Motorhead, mais cela serait trop facile. En effet, la Tête de Moteur est avant tout composé de vieux briscards ayant traîné leurs guêtres depuis les années dans le milieu rock, entre psychédélisme, blues et rock’n’roll. Et cela fait du trio de Lemmy un groupe affûté, bien plus riche et dense qu’il n’y paraît. Tank est un groupe jeune, qui n’a donc pas beaucoup d’expérience musicale, et cela fait la différence, son approche du heavy-metal est plus spontanée.
D’abord, il y a la voix de Ward, très punk. Ensuite, il y a les riffs et l’assise rythmique, très métallique. Ce qui fait de Tank un groupe moins rock’n’roll et plus métal que Motorhead. Tank n’est pas non plus un groupe au heavy-metal lyrique. On retrouve bien la concision punk, mais cela n’empêche pas la mélodie. Bien qu’ici l’efficacité soit privilégiée, découennant la musique de tout arrangement et enrobage superflu, on trouve ici de vraie chansons brutales, sans concession. Les climats sont imprégnés de ce ressentiment de la jeunesse de l’époque, ravagé par le chômage, les fermetures de mines, la rigueur Thatcherienne, et la désillusion des espoirs seventies.
Cela donne donc une musique compacte comme un pavé de granit, lancé de plein fouet dans une belle vitrine. C’est le remède idéal contre la fange branchouillarde. C’est le crachat prolo contre le capitalisme triomphant. Ca sent le cuir, le cambouis, la bière et la sueur. Ca flirte bon avec les murs de briques sales des faubourgs de Sheffield, le ciel gris, la crasse, et les bastons de rues.
Il faudrait citer tout les titres, mais un trio mortel s’impose souvent : « Shellshock » et son intro tribale, « Run Like Hell » et sa course folle, et le fantastique et maladif « That’s What The Dreams Are Made Of ». J’aime enfin cette production serrée mais claire, laissant bien luire chaque instrument. Ward et sa troupe ne retrouveront pas tout à fait l’urgence de ce premier disque, mais les suivant sont tout à fait recommandables, notamment « This Means War », compact brûlot de heavy-metal qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un Metallica. Il reste que ce disque est idéal quand on a les boules.

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The Pink Fairies


THE PINK FAIRIES “Never Never Land” 1971 et “What A Bunch Of Sweeties” 1972

La révolution, coûte que coûte. En ce début des années 70, le rêve hippie s’est dissipée sous la violence des assauts policiers, mais s’est aussi perdu dans les brumes des drogues dures. Ces dernières ont par ailleurs tué plusieurs héros : Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Al Wilson (de Canned Heat)… et combien d’autres périront par la suite.
La révolution, coûte que coûte. Face au hard-rock et sa débauche de décibels épiques, rien de politiquement incorrect ne se dessine. Les kids, désormais assommés de bière, de mauvais shit et de codéine, se laisse écraser par la rage oppressante de Black Sabbath ou de Deep Purple.
Suite à la tournée européenne de MC5 en 1971 et 1972, l’Europe découvre un rock brutal et contestataire, qui plaît à quelques groupes d’anarchistes à qui il manquait un vrai courant musical pour s’exprimer.
Un des précurseurs, Mick Farren, avait formé les Deviants à la fin des années 60, sur le modèle des Fugs. Ce groupe américain délivre alors un rock brutal et intellectuel, que Farren tente d’adapter en Grande-Bretagne en le mêlant au psychédélisme de l’époque.
Une fine équipe encadre bientôt Farren : Paul Rudolph à la guitare, Duncan Sanderson à la basse, et Russell Hunter à la batterie.
Les Deviants se séparent en 1969, et les trois compères de Farren forment rapidement un combo en compagnie d’un autre allumé notoire : Twink, l’ancien batteur des Pretty Things.
Nommé Pink Fairies en référence au club tenu par Steve Peregrine Took, l’ancien compagnon de route de Marc Bolan dans Tyrannosaurus Rex, le groupe répète d’arrache-pied.
Le but est de créer un rock sur le mode de Detroit, avec quelques relents psychédéliques. Le groupe aboutit à sa mixture finale en 1971 lors de l’enregistrement de « Never Never Land ». Le ton heavy est donné avec le brûlot « Do It », qui voit Rudolph calciné sa Les Paul dans de grandes zébrures de guitare heavy-blues.
En fait, cet album est la balance fragile entre les aspirations psychédéliques de Twink, et le son plus blues lourd de Rudolph. Dans les deux cas, les chansons sont magnifiques : l’aérien et fragile « Heavenly Man » contrebalance avec le heavy et presque Motorhead « Teenage Rebel ». Mais l’on sent que le proto-blues prend le dessu, notamment avec le monumental « Uncle Harry’s Last Freakout », pièce démoniaque de plus de dix minutes, propulsant l’auditeur dans une odyssée électrique alternant les ambiances mais ne relâchant en aucun cas la pression.
Les Pink Fairies écument alors les festivals gratuits, ceux de Wembley, de Phun City ou de Glastonbury Fayre, aux côtés d’utres agités anarchistes, Edgar Broughton Band et Hawkwind entre autres.
Twink se retire au début de l’année 1972 pour former un utopique groupe avec Syd Barrett (l’ancien leader de Pink Floyd) nommé Stars, qui ne jouera que cinq concerts avant que Barret ne rejoigne la cave de sa mère.
Rudolph a alors le champ libre et ne s’en prive pas. « What A Bunch Of Sweeties » est souvent mésestimé, car beaucoup plus blues. Il reste bien sûr cette touche psyché-croquignolesque, comme si les Fairies se moquaient d’eux-mêmes. Ce dés l’intro du dsique, mais aussi sur le countrysant « Pigs Of Uranus ».
Mais le meilleur, se sont ces plages où le talent de guitariste de Rudolph fait des étincelles : « Right On, Fight On », le blues propulsé hard-boogie « Walk Don’t Run », ou le lancinant « I Went Up, I Went Down ». Il y aussi le redoutable boogie « Portobello Shuffle », ou la reprise heavy hilarante de « I Saw Her Standing There » des Beatles.
Sur la version cd, il a été rajouté un « I’m Going Down », une reprise de Don Nix, absolument redoutable, bourrée de feeling, grasse et boueuse à souhait.
Ce magnifique disque permet aux Fairies de décrocher une 49ème place dans les charts britanniques, ce qui annonce au groupe un avenir plutôt radieux ; manque de bol, ces garçons-là ne sont pas du genre pépère, et Rudolph quitte le groupe fin 1972 pour laisser sa place à Larry Wallis. Ce dernier orientera les Fairies vers un son plus rock penchant vers le Punk sur « Pigs Of Oblivion » en 1973.
Rudolph jouera pour Bob Calvert et remplacera Lemmy… à la basse au sein d’Hawkwind en 1975. Depuis, l’homme a disparu.
Il jouera lors du concert de réunion des Pink Fairies à la Roundhouse de Londres en 1975, se permettant d’éclater son successeur à la guitare.
Il reste alors de ce combo génial une poignée d’albums ayant défini un son heavy-grunge, que l’on appellera Stoner, ainsi que les germes d’un mouvement Punk anarchiste qui prit naissance là. Il reste aussi et surtout une musique libre, loin des carcans de l’époque, et qui dégage une envie de jouer et une énergie contagieuse. Un OVNI quoi.
"Never Never Land" 1971


"What A Bunch Of Sweeties" 1972

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